Revue d'histoire littéraire de France (2023)

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titre:Revue d'histoire littéraire de France

Auteur :Société littéraire française. auteur du texte

Éditeur:Armand Colin (Paris)

Éditeur:PUFPUF (Paris)

Éditeur:Garnier ClassicsGarnier Classics (Paris)

Date de publication:01/11/1996

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Langue:Français

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Description :1er novembre 1996

Description :01.11.1996 (A96,N6) - 31.12.1996.

Description :Collection numérique : Art de la marionnette

Nomenclature :Disponible

Nomenclature :domaine public

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Ceux-là :Bibliothèque nationale de France, Service des collections numériques, 2009-33934

Archive numérique à long terme :Bibliothèque nationale de France

Date de sortie de :12.01.2010

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MAGAZINE

histoire

LITTÉRAIRE

en dehors de

FRANCE

ARON KIBEDI VARGA Réflexions sur le classicisme français : littérature et société au XVIIe siècle

EDWIGE KELLER Psyché découvre Cupidon

CÉCILE CAVILLAC L'esprit dans Arlequin Poli par l'Amour et La Dispute

FRANÇOIS ROSSET Les nœuds du langage dans les lettres d'un Péruvien

RENÉ TARIN La lettre sur les conquêtes dans les débats de l'Assemblée nationale constituante

BERTRAND VIBERT Du code civil au code pénal : une paraphrase de Villier à Stendhal

JAN M. MITCHELL Etude de l'ironie dans le Plaisir sacré de Mallarmé

DAVID DEGENER Votre nom mêlé au sien : première lettre connue de Mallarmé à Sarah Helen Whitman

Notes, documents, rapports

ARMAND COLIN NOVEMBRE - DÉCEMBRE 1996 ANNÉE 96 - Nº 6

avis posté par

de Paris

Revue d'histoire littéraire de France

Edité par la Société française d'histoire littéraire avec le soutien du CNRS et de la Ville de Paris

ADRESSE

Sylvain lidera

COMITÉ DE GESTION

Frau Madeleine Ambrière-Fargeaud, MM. Michel Autrand, Claude Duchet, Marc Fumaroli, Frau Mireille Huchon, MM. Sylvain Menant, Claude Pichois.

COMITÉ DE LECTURE

MILLIMÈTRES. Robert Aulotte, Mme. Marie-Claire Bancquart, MM. Pierre-Georges Castex, Jean Céard, Georges Forestier, Robert Jouanny, Jean-Louis Lecercle, Frau Christiane Mervaud, MM. René Pomeau, René Rancoeur, Jean Roussel, Roland Virolle, Roger Zuber.

COMITÉ DE JUGEMENT

Frau Madeleine Ambrière-Fargeaud, MM. Michel Autrand, Jean Céard, Claude Duchet, Georges Forestier, Sylvain Menant, Frau Christiane Mervaud, Herr Claude Pichois.

Secrétaires de rédaction : Mme. Catherine Bonfils, Sr. Dominique Quero.

POUR ÉCRIRE

Les manuscrits (en double exemplaire) et la correspondance de toute l'équipe éditoriale doivent être envoyés à :

Herr Sylvain Menant, R.H.L.F., 112, rue Monge, BP 173, 75005 Paris.

Les manuscrits non inclus ne seront pas retournés.

Les volumes soumis à révision doivent être adressés personnellement à la Revue d'Histoire littéraire de la France, 112, rue Monge, B.P. 173, 75005 Paris.

Ventes en librairie :

Dif Pop, 21 ter rue Voltaire, 75011 Paris Tel.: 01 40 24 21 31

NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1996 ANNÉE 96 - N° 6

MAGAZINE

d'HISTODRE

LITTÉRATURE FRANÇAISE

Résumé

RENSEIGNEMENTS 1062

ARTICLE

A. KIBEDI VARGA : Réflexions sur le classicisme français :

Littérature et société au XVIIe siècle 1063

E, KELLER : Psyché découvre Cupidon : Orientations symboliques

épisode symbolique, de La Roque à

la police 1069

C. CAVELLAC : Wit in Harlequin polido por

amour et lutte 1084

F. ROSSET : Les nœuds du langage dans les paroles

d'un Péruvien 1106

R. TARIN : Une lettre sur les spectacles dans les débats

à l'Assemblée nationale constituante 1128

B. VIBERT : Du code civil au code pénal : une nouvelle version

Paraphraser Stendhal 1137

J.-M. MITCHELL : Une étude de l'ironie dans le plaisir sacré

Von Mallarmé 1144

D. DEGENER : "Votre nom est mêlé au sien" ; la première

connu pour la première fois par Stéphane Mallarmé

d'après Sarah Helen Whitman 1166

RAPPORTS

16ème siècle 1176

17ème siècle 1178

18e siècle 1188

19ème siècle 1199

plongeur 1202

Procès-verbal de l'Assemblée Générale Ordinaire du 17 novembre

1995.... 1206

SOMMAIRE 1218

INDEX 1996 1221

INFORMATION

Un colloque « Permanence de Daudet ? a lieu les 21 et 22 mars 1997 dans le cadre des fêtes nationales à l'Université Paris X Nanterre. Il y a 20 conférences sur le narrateur, le romancier, le dramaturge et deux projections de films. Pour plus d'informations, contactez Colette Becker, Les Demeures du Plessis, 27 avenue du Plessis, 92290 Châtenay-Malabry.

Le Centre d'études du XXe siècle de l'Université Paul Valéry-Montpellier III organise un colloque sur Jean Cocteau et le théâtre qui se tiendra au printemps 1998 à l'Université Paul Valéry. Il y aura aussi des conférences sur le théâtre de Cocteau, mais sur le rapport de Jean Cocteau au théâtre de son temps (scénographie, scénographie, costumes, comédiens...). Les propositions doivent être adressées à M. Pierre Caizergues, Université Paul Valéry, B.P. 5043, 34032 Montpellier Cedex 1.

En mai 1996, la Voltaire Society of America est fondée aux États-Unis. L'entreprise cherche à développer l'esprit des Lumières et les valeurs de tolérance et de respect des droits de l'homme prônées par Voltaire et illustrées par ses contemporains, notamment les Pères fondateurs des États-Unis. L'entreprise s'intéressera au sort du Château de Ferney. Il souhaite qu'elle soit préservée et transformée en musée ouvert au public. Contactez M. Garry Apgar, trésorier, 40 Bennett Street, Black Rock, Connecticut 06605 ; Télécopieur (203) 367-8515.

Le "Groupe d'approche sérielle sur la littérature française du XVIIIe siècle" animé par Sylvain Menant au Centre d'études des XVIIe et XVIIIe siècles de l'Université Paris-Sorbonne (Paris-IV) organisé à la Sorbonne, salle de réunion, Annales, 1er mars, 1997, séance d'étude consacrée à l'une des romancières françaises les plus marquantes du XVIIIe siècle, intitulée « Mme Riccoboni, de la séquence au recueil ». L'étude de l'enchaînement de son œuvre avec différents éléments de contexte, ainsi que les implications de continuité entre ses romans, sont privilégiées dans l'esprit « sériel » des recherches du groupe, mais tous les aspects de son parcours et de son œuvre peuvent être abordés sur cette journée, qui offre l'occasion de faire le point sur les études sur Mme. Riccoboni.

Pour toute demande d'information et suggestion de communication, contactez Josette Chéry-Sobolewski (5, Villa Curial, 75020 Paris, Tél. 01 40 35 99 54).

RÉFLEXIONS SUR LE CLASSICISME FRANÇAIS : LITTÉRATURE ET SOCIÉTÉ AU XVIIe SIÈCLE

Le classicisme français, tel qu'il s'épanouit surtout dans la seconde moitié du XVIIe siècle, est un phénomène culturel très particulier car à la fois esthétique et social : des deux côtés, du côté des artistes et des écrivains, et, de l'autre, le même goût. Le côté public prime. La Cour et la Ville applaudit les grands écrivains, il n'y a pas de contradiction entre les chefs-d'œuvre et le goût général : plus de trois cents tragédies ont été écrites au premier siècle, mais nul ne doute que Corneille et Racine soient les plus grands : la correspondance de Madame de Sévigné témoin de cela. ce

Pour saisir ce caractère exceptionnel des classiques, le consensus entre les créateurs et leur public, il suffit de réfléchir un instant à la situation qui semble presque normale aujourd'hui, la séparation malheureuse qui existe depuis le romantisme entre les goûts du grand public et l'artiste ou le poète; Il ne représente plus les valeurs partagées par la société, mais se retrouve à l'écart, rejeté par elle : un homme incompris comme René de Chateaubriand ou un « poète maudit » comme Verlaine. Aujourd'hui, l'écart entre les « best-sellers » d'une part et la littérature enseignée dans les universités d'autre part se creuse.

Le classicisme ne connaît ni René ni Verlaine, il ignore l'individualisme et sa misère : l'artiste fait partie de la société. Mais cette situation idéale, la correspondance entre l'écrivain et son lecteur, entre le dramaturge et le spectateur, est éphémère. Diderot a sonné le glas du classicisme en qualifiant de bourgeois le théâtre, en inventant ce genre nouveau qui remplacerait la tragédie peuplée de princes et de rois : démocratiser le théâtre, c'est permettre la diversité des publics,

1. Voir Jacques Scherer, Dramaturgie classique en France, Nizet, s. D., S. 459. RHLF, 1996, no. 6, p. 1063-1068.

1064 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

Quel est ce public qui admire les chefs-d'œuvre du classicisme ? Une expression courante à l'époque, retrouvée sous la plume de Boileau, la qualifie de cour et de ville, c'est-à-dire Versailles et Paris 2. Les deux termes forment une unité, mais ils ne sont pas identiques. La cour précède la ville, la cour gouvernée par le goût du roi, qui suit de près les travaux de son chef-d'œuvre Versailles, « la petite maison, écrit Mademoiselle de Scudéry, le plus grand roi du monde » 3 , précède naturellement celle de la magistrats résidents de la ville.

Grâce à Louis XIV, la cour se confond avec un château et son parc, avec les fêtes somptueuses qui y sont organisées. Au milieu du XVIIe siècle, les châteaux les plus célèbres sont Vaux-le-Vicomte, Chantilly et Versailles. Depuis le Moyen Âge, les châteaux symbolisent un idéal aristocratique, une attitude à l'égard de la vie différente de celle des villes ; ce sont des lieux mythiques qui suggèrent une utopie 4. L'architecture des bâtiments fait sens, ainsi que la géométrie des jardins. Dans une utopie, la vie est différente : elle ne s'organise pas autour du travail quotidien, mais autour de fêtes, de ballets, de représentations allégoriques. A Versailles, Louis XIV participe activement à cette utopie artistique en tant que metteur en scène et acteur : il aime danser, il interprète l'allégorie du soleil dans un ballet qu'il organise en 1664, il a 22 ans ! - la célèbre Fête des Plaisirs de l'Ile enchantée, à laquelle assistèrent de nombreux artistes et musiciens, bien plus tard il écrivit une manière de montrer les Jardins de Versailles 5. Son goût personnel marqua ce qui se fit et se construisit dans la cour : ses tumultueuses les relations avec Bernini, le plus célèbre architecte et sculpteur italien de son temps, qui a travaillé pour lui mais dont il n'a pas accepté les suggestions, le prouvent 6.

2. Ver Erich Auerbach, "La Cour et la Ville", Four Studies in the History of French Education, Francke, Bern, 1951. - Para uma análise mais geral do conceito de público, ver Hélène Merlin, Public et literatur en France del século XVI, Les Belles Lettres, 1994.

3. Le front de mer de Versailles, Paris, 1669, p. 2. Ce livre contient également une description détaillée du parc à cette époque.

4. Ver Hanno-Walter Kruft, Cities of Utopia, Beck, Munique, 1989.

5. Louis XIV comme « metteur en scène » apparaît clairement dans le beau livre de Philippe Beaussant, Versailles, Opéra, Gallimard, 1981. Pour les ballets, voir Marie-Françoise Christout, Le Ballet de cour de Louis XIV, 1643-1672, Ed. A. et J. Picard, 1967. Pour le festival de 1664 et les festivals de cour en général, voir R. Alewyn et K. Sälzle, The Great World Theatre - The Epoch of the Court Festival, Rowohlt, Hamburg, 1959, en particulier pp. 98-102 (trad. française, L'Univers du Baroque, Gônthier, 1964, pp. 130-136). Il existe une édition moderne du « Guide » de Louis XIV : Mode de montrer les jardins de Versailles de Louis XIV, p. P. Simone Hoog, éditrice de la Réunion des Musées Nationaux, 1982.

6. Voir Simone Hoog, Bernin, Louis XIV, une statue « déplacée », Adam Biro, 1989.

RÉFLEXIONS SUR LE CLASSICISME FRANÇAIS 1065

L'activité de cour, telle que je viens de l'esquisser, ne correspond pas tout à fait à la conception imposée par l'histoire littéraire que nous avons du classicisme : clarté, naturel, recherche du mot juste. Dès lors, deux précisions s'imposent. Les activités artistiques évoquées ici se réfèrent principalement aux débuts du règne, il s'agit du jeune Louis XIV, tandis que le triomphe définitif de ce que l'on appelle désormais le classicisme viendra un peu plus tard. Par ailleurs - seconde précision - ballets et festivals exigent des lieux et impliquent des arts que la ville ne possède pas dans la même mesure : ainsi La Fontaine a le droit de mettre en scène au Songe de Vaux le château le plus prestigieux avant Versailles, pour célébrer l'Imitation entre quatre figures allégoriques de femmes, architecture, peinture, jardinage et poésie 7 : le château est en effet la réussite harmonieuse de ces quatre arts. De plus, la splendeur utopique de la cour exigeait des genres fondés non sur la véracité littéraire mais sur le merveilleux, c'est-à-dire des genres qui transcendaient la littérature en tant que telle, comme le ballet ; elle nécessite la collaboration de divers arts, la ville étant centrée avant tout sur la parole parlée, lue ou entendue. La parade nuptiale est un art total, bien avant Wagner, c'était une sorte « d'œuvre d'art totale » ; La ville est avant tout littérature.

La ville, qui contient l'autre partie du public, numériquement et intellectuellement plus importante, se manifeste dans trois espaces sociaux : l'église, le théâtre et le salon. Le public visite les deux premières places pour admirer le célèbre prédicateur ou le grand acteur qui leur présente des œuvres éloquentes ; D'autre part, le public s'active dans les salons : il discute des œuvres, interroge les poètes et les savants. Si l'éloquence règne dans les deux premières salles, la conversation règne dans les salles 8. On admire les héros, saints et princes proposés qui offrent des modèles de grandeur et d'humilité, bref de générosité, mais pour parler avec les autres il faut développer autres qualités qui caractérisent l'honnête homme : surtout celles de l'art fondé sur l'amitié. de conversation

L'amitié, c'est-à-dire la valorisation de l'autre, est un préalable à toute conversation. Et l'amitié intellectuelle qui règne dans les salons suppose un certain nombre de normes communes. Il

7. Ouvrages divers, p. F. Pierre Clarac, Paris, Gallimard, Bibliothèque des Pléiades, 1958, p. 84

8. A conversa literária persiste mesmo como tema da pintura! Ver Mary Vidal, Conversations peintes de Watteau - Art, littérature et conversation dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles, Yale University Press, 1992.

1066 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

il faut admettre de part et d'autre, par exemple, que l'artiste doit « imiter la nature », que la poésie est faite pour « ravir » et « éduquer ». Il y a donc pour le classicisme tout un système de normes acceptées par tous, précisément parce qu'elles ne sont pas inscrites dans nos cœurs, comme elles le feront plus tard chez Rousseau et les romantiques : elles sont indépendantes de notre appréciation individuelle, elles s'imposent sur nous par la religion et la morale, il est donc considéré comme utile pour la société.

Valoriser l'autre, c'est éviter tout ce qui pourrait le surprendre et le choquer : on refuse l'extravagance baroque ou le « précieux ridicule », on n'admet que le naturel. Les "règles" de base de la poétique classique, les fameuses règles de décence et de véracité, s'expliquent ainsi : rien ne doit être dit ou montré sur scène qui puisse choquer ou paraître étrange ou incroyable. La métaphore "audacieuse" des poètes de la Renaissance et du baroque -pour donner un autre exemple- est bannie de la poésie, nous préférons, comme Malherbe, les métaphores discrètes 9 ; et la prose, selon l'admirable formule du Père Bouhours, doit être comme « de l'eau pure sans goût ».

Le classicisme nous offre une littérature fondée sur un consensus social : les écrivains obéissent à des « règles » qui rendent leurs œuvres accessibles au public, les soumettent à la critique : Corneille lit des fragments dans les salons, Racine soumet ses œuvres au jugement avant d'être publiées. ils. Molière écrit au nom du roi. Le poète n'est pas un rebelle, il n'est pas un esprit protestant.

Les genres qui se pratiquent à la cour, ballets, jeux de machines, servent à admirer la splendeur des grands : le merveilleux s'annonce. C'est ce que l'on lit dans les Notes sur la direction des ballets (1658) à propos de la fable (intrigue) du ballet : « La fable des ballets n'est pas forcément très semblable, étant dirigée par des machines qui sont des opérations surnaturelles et extraordinaires. . Il ne nécessite aucune autre unité que la conception pour que les différentes entrées soient liées à un thème. L'unité de temps et de lieu que la tragédie observe avec tant de soin n'y est presque jamais conservée. On y mêle les différents temps et on y fait apparaître des choses naturellement incompatibles, comme les saisons, les heures, les siècles, les quatre parties du

9. Voir Jean Rousset, « La poésie baroque au temps de Malherbe », XVII. Siècle, 31 (avril 1956), p. 353-370.

RÉFLEXIONS SUR LE CLASSICISME FRANÇAIS 1067

Monde, les héros de tous les temps » 10. Ces réflexions paraissent très hérétiques à ceux qui pensent aujourd'hui à la littérature classique. D'autre part, les genres qui se pratiquent dans la cité, roman, tragédie, comédie, servent le bien public, ne demandent pas du miraculeux, mais du vrai, et qui, selon l'abbé Rapin, est « tout ce qui correspond à l'opinion publique" 11 .

À l'époque classique, le public lisait deux types de romans très différents. D'abord, le roman héroïque qui, de L'Astrée d'Honoré d'Urfé au Grand Cyrus de Mademoiselle de Scudéry, sert le double propos d'admirer le courage et la générosité des grands et d'enseigner des modèles de comportement social : comment parler en société, comment écrire des lettres. Puis, après le succès de La Princesse de Clèves en 1678, un autre type de roman commence à s'imposer, le roman psychologique, qui représente une rupture radicale : il permet de réfléchir sur les expressions de mécontentement, même avec certaines revendications, qui sont dans les Salons. , et pas seulement dans les salons précieux, formulée sur le thème de l'état d'esprit féminin : la question centrale qui est également débattue depuis la fin du Moyen Âge est : le mariage imposé par la famille est-il compatible avec « l'amour passionné » ? ? Ces débats dans les salles ont leur prolongement dans un genre caractéristique de l'époque et depuis oublié : le dialogue. Celui-ci imite la conversation entre personnes éduquées, en revenant aux thèmes principaux mais en unissant en même temps la salle et le théâtre en présentant une œuvre écrite qui imite l'œuvre parlée.

Sur scène, le public voit deux types d'œuvres : d'une part, la tragédie qui montre les grandes vertus et les grands vices, qualités extraordinaires et admirables ou abominables, personnifiées par les grands du passé, héros de la mythologie et de l'histoire - le courage du Cid, la fidélité d'Andromaque, mais aussi la faiblesse de Phèdre, la fureur aveugle de Cléopâtre contre Rodogune - ; d'autre part, la comédie, qui, disent les théoriciens, ridiculise les vices de la bourgeoisie contemporaine, mais qui, laissant les grands modèles à distance, pose en réalité les problèmes psychologiques dont nous avons l'habitude de discuter dans les salons ; résonnent les réflexions de La Bruyère et de La Rochefoucauld : l'hypocrisie de Don Juan, la cupidité d'Harpagon, la fausse dévotion de Tartuffe le Précurseur.

jangada10. Christout, op. cit., p. 222.

11. Réflexions sur la poétique de cette période, (1675, éd. Droz-Minard, Genève-Paris, 1970, p. 39). Cependant, la définition de la probabilité présente des problèmes ; voir mon article « Probabilité : problèmes de terminologie ; Problèmes de poétique », Critique et création littéraire dans la France du XVIIe siècle, Éditions du C.N.R.S., Paris, 1977.

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les intentions ridicules de M. Jourdain, ou le triomphe de l'amour dans le choix d'un époux.

Ainsi, les grands genres présentent un curieux parallélisme : on lit deux types de romans et on voit deux types de pièces de théâtre, pour les mêmes raisons : admirer et apprendre, puisque tous les thèmes peuvent être abordés en classe.

On écoute à l'église et au théâtre, on discute dans les salons : à l'époque classique, la littérature était rarement, comme aujourd'hui, une activité solitaire, celle de la lecture individuelle silencieuse ; c'est essentiellement une activité collective et orale : on l'entend et on le dit au lieu de le lire.

Argumenter dans les salons, c'est permettre à chacun de participer à la vie littéraire, quel que soit son sexe : le rôle des femmes est en effet beaucoup plus important à cette période qu'à d'autres (le romantisme, pour reprendre cet exemple, rend les femmes généralement réduites à la passivité). Certains genres, comme le roman psychologique, sont son territoire privilégié : ici presque tous les auteurs sont des femmes 12. Et les salons sont dominés par elles. Cette littérature est impensable sans une présence féminine active.

La littérature classique n'est pas l'affaire de l'individu, mais de la communauté : elle ne s'adresse pas aux individus, elle parle de problèmes, elle soulève des questions qui touchent la société dans son ensemble et pas seulement la société. veut être universel. L'influence du siècle Louis XIV est telle que, cent ans plus tard, Rivarol remporte le premier prix de l'Académie de Berlin avec un Discours sur l'universalité de la langue française (1784), dans lequel il tente de démontrer la supériorité de la langue française. langue. langue et civilisation, supériorité due à la grandeur du classicisme et du roi.

AARON KIBEDI VARGA*.

12. Ver Ian Maclean, Woman Triumphant - Feminism in French Literature 1610-1652, Clarendon Press, Oxford, 1977; meu artigo "Romance Romance, Classic Women's Novels", Revue des Sciences Humaines, 168, 1977; Renate Kroll-Margarete Zimmermann, éd., Littérature féministe dans les études romanes, Metzler, Stuttgart 1995; o catálogo da exposição The Gallery of Strong Women, Darmstadt, 1995.

* Université VU Amsterdam, Faculdade de Filosofia, De Boolean 1105, 1081 HV Amsterdam, Pays-Bas.

Psyché découvre Cupidon :

FEUILLES SYMBOLIQUES D'UN ÉPISODE,

VON LA ROQUE NACH LA FONTAINE

En privilégiant si durablement et si fréquemment la scène où Psyché contemple l'Amour endormi, l'iconographie, qu'elle soit par la peinture, le dessin ou la gravure1, confirme qu'il s'agit là d'un des mythes et de sa représentation littéraire. Dans Apulée, on se souvient qu'après la troisième visite des sœurs, l'héroïne prit la douloureuse décision de tuer le supposé monstre qui lui servait d'époux. A la tombée de la nuit, elle prend un couteau et une lampe à huile et « s'arme d'une audace atypique de son sexe » 2. Cependant, grâce à la lumière, elle reconnaît l'amour dont elle tombe amoureuse, blessée par l'une de ses Flèches ; flèches. . Une goutte d'huile brûle l'épaule droite du dieu qui s'envole aussitôt, laissant Psyché à son triste sort. Outre l'émotion esthétique et la tension dramatique qui les caractérisent, l'épisode est chargé de valeurs spirituelles qui donnent lieu à d'innombrables interprétations allégoriques et de fameuses observations exégétiques qui soulignent parfois son caractère platonique. , parfois d'origine chrétienne 3.

Lorsque La Fontaine publie Les Amours de Psyché et de Cupidon avec Claude Barbin en janvier 1669, il aborde le sujet

1. Voir l'étude iconographique au titre évocateur consacrée au mythe de Psyché par Christiane Noireau (La Lampe de Psyché, Paris, Flammarion, 1991).

2. Apulée, L'Âne d'or ou Les Métamorphoses, éd. et trans. par Pierre Grimal, Paris, folio, 1990, p. 129

3. Le mythographe Fulgentius (VIe siècle après JC) voit dans la fable que le désir valorise l'âme et s'unit à elle. Psyché incarnerait par son geste une curiosité nuisible et ainsi « révélerait la flamme du désir qui brûle dans son sein » (traduction proposée par Yves Giraud, « Un mythe lafontaine : Psyché », Studi di letteratura inglese, vol. 230, XVI, Firenze , Leo S. Olschki, 1990, p. 49-50). Pour un historique des différentes interprétations du mythe Psyché, nous vous renvoyons directement à cet article.

RHLF, 1996, no. 6, p. 1069-1083.

1070 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

même épisode, des choix esthétiques très différents de sa célèbre idole. attitude qui ne devrait surprendre personne qui déclare dans son prologue :

Pour être bon, il faut considérer mon ouvrage comme étranger à ce qu'Apulée a fait, et ce qu'Apulée a fait comme sans rapport avec mon livre, et puis céder à votre goût.

La dette envers Apulée n'est soulignée, semble-t-il, que pour être mieux rachetée. La Fontaine construit l'Apocalypse en deux actes au lieu d'un seul chez Apulée. Psyché prend la lampe et le poignard que ses sœurs ont mis à sa disposition et attend l'arrivée de Cupidon, « à la tombée de la nuit » 5. Après un combat intérieur qui la déchire, elle se décide et s'approche enfin du lit, « où le monstre se couche "il se couche, avance un pied, puis l'autre, en prenant soin de l'ajuster à sa taille, comme s'il marchait sur des pointes de diamant" 6. L'histoire de la découverte de la véritable identité de l'Amour et son incendie est interrompu par une intervention de Polyphile, le narrateur-auteur-figure 7. Il s'adresse d'ailleurs à ses amis, et en style direct, puis à l'aide d'un quatrain :

Épargnez-moi de vous raconter la suite : vous seriez très ému de l'histoire que je m'apprêtais à vous raconter.

Là finit le bonheur et la gloire de Psyché, et son plaisir peut aussi finir. Ce n'est pas mon talent de terminer une histoire qui se termine comme ça 8.

Fait intéressant, l'auteur ne termine pas la séquence et décide de déplacer le résultat quelques pages plus tard. Entre-temps, une digression célèbre a lieu qui juxtapose Ariste et Gélaste dans un débat platonicien sur les larmes et les rires, la tragédie et la comédie. A partir de là, l'intérêt romanesque de la scène semble menacé : en brisant ainsi l'illusion, La Fontaine opère un transfert punitif sur le lecteur et interrompt son désir d'histoire. IL

4. La Fontaine, Les Amours de Psyché et de Cupidon, in Œuvres complètes, éd. Jean Marmier, Paris, Seuil, "La Intégrale", 1996, p. 405, (nos références sont tirées de cette édition).

5. Éd., p. 421.

6. Éd., p. 422.

7. Siehe Jean Macary, "Interventions of the Fauteur-narrateur dans Les Amours de Psyché et de Cupidon de La Fontaine", Actas do 3er colóquio internacional da Society for the Analysis of Topics in Romanesque Works, Fordham University (25.- 28 de julho de 1989), Hrsg. von Jean Macary (Biblio 17-61), Paris-Seattle-Tübingen, P.F.S.C.L., p. 125-127.

8. La Fontaine, Amours..., op.cit., p. 423

9. Boris Donné en examine les détails avec une précision remarquable dans La Fontaine et la poétique du songe. Narration, rêverie et allégorie dans "Les Amours de Psyché et de Cupidon", Paris, Champion, 1995.

Psyché découvre Cupidon 1071

savoir que ce qui était autrefois accordé à Psyché est aujourd'hui nié est si vrai que l'intrusion du narrateur agit comme un rideau sur la scène. Dès lors, il convient de s'interroger sur le sens de cette manifestation démiurgique. Absent chez Apulée, est-il dans les versions de Psyché antérieures à celles de La Fontaine ? Notre intention n'est pas d'expliquer la genèse d'un épisode, encore moins d'aborder le problème de l'origine 10 , mais de mettre cet épisode en perspective pour voir comment il pourrait être traité. L'étude de différents textes narratifs, en vers et en prose, devrait permettre d'apprécier l'originalité et la portée de cette rupture d'équilibre narratif, dans Les Amours de Psyché et de Cupidon de La Fontaine.

Outre les références prestigieuses, notamment Adone (1623) de Giambattista Marino, de nombreux jalons, parfois mineurs, se distinguent dans l'histoire littéraire du mythe de Psyché 11, Trois versions narratives, écrit en France au XVIIe siècle. . siècle. En fait, ils représentent un condensé des différentes interprétations que l'on peut donner au thème, de la veine galante à la veine érotique, de la veine morale à la veine spirituelle. Ce sont les épithètes des titres qui attestent de cette richesse de sens (Les Amoursspirituelles (1600), de Pierre Joulet 12) ; Ailleurs, la simple inscription fournit de précieux indices sur les intentions de l'auteur dans un recueil : Siméon de La Roque, ami de Desportes et de Malherbe, inclut sa "Fable de Psiché" dans Les Amours de Caristée (1595) 13, tandis que Puget de La Serre ouvre Les Amours des Dieux (1624)14 qu'il dédia

10. Ce point a fait l'objet de nombreux articles, notamment de Françoise Graziani Giacobbi, « La Fontaine lecteur de Marin : Les Amours de Psiche, œuvre hybride », Revue de littérature comparée, octobre-décembre 1984, p. 389-397; celui de Françoise Charpentier, « De Colonna à La Fontaine : le nom de Poliphile », dans Intelligence du passé : faits, scénario et sens. Assemblages offerts à Jean Lafond, Université de Tours, 1988, p. 369-378; et plus récemment celle de Marc Fumaroli, « Politique et poétique de Vénus : Adone de Marino et Adonis de La Fontaine », Le Fablier. Revue des Amis de Jean de La Fontaine, nº 5, 1993, p. 11-16. Dans cet article, Marc Fumaroli met brillamment en lumière "la fidélité juvénile du poète à Marin", avant de conclure qu'"il faut supposer que le jeune La Fontaine a fait une traduction française de l'Adone en vers ou en prose et que cette traduction, restée en chantier , il est devenu son Zibaldone, dont, modifiant son goût littéraire et son érudition poétique, il a extrait des fragments, des thèmes, un esprit » (Art. cit., p. 16) .

11. Siehe Henri Le Maître, Essai sur le mythe de la psyché dans la littérature française des origines à 1890, Paris, Bovin, 1940.

12. Pierre Joulet, Les Amours spirituelles de Psyché, Paris, Abel L'Angelier, 1600, in-12.

13. Siméon-Guillaume de La Roque, „Fabel von Psiché“, em Les Amours de Caristee, Rouen, Raphaël du Petit-Val, 1595, in-12.

14. Jean Puget de La Serre, "L'Amour d'Amour et Psyché", dans L'Amour des dieux, d'Amour et Psyché, du Soleil et de Clytie, de Jupiter et Danaé, de Jupiter et Io, de Jupiter et Callisto, par Neptune et Amphitrite, avec ceux d'Orphée et sa descente aux enfers.

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La reine Anne d'Autriche, de "L'Amour de Cupidon et Psyché". Après tout, ce sont parfois les auteurs eux-mêmes qui dirigent la réception de leur histoire, que ce soit dans le commentaire qui l'accompagne ou dans leur « note au lecteur ».

Sous la forme d'une fable en alexandrin, la Psyché de La Roque maintient la structure narrative de l'histoire d'Apulée, puisque le poète raconte "une histoire d'amour" racontée par une "vieille femme" elle-même. cependant, il est représenté dans un style noble et raffiné qui exclut l'humour et l'ironie caractéristiques de la fable milésienne. La vieille femme qui s'enivre à Apulée ne s'enivre pas ici et n'interviendra pas non plus d'une autre manière, La Roque ne rentre pas dans le cadre narratif. En fait, le poète construit sa fable autour d'un seul épisode, celui précisément où Psyché découvre la véritable identité de son mari. Cette intensification dramatique lui donne un ton nettement plus pessimiste qu'Apulée. Il est possible de deviner son contenu à partir du discours de l'héroïne après la manifestation de l'oracle. Abandonnée par sa famille sur un rocher, elle formule une complainte lyrique empreinte de stoïcisme :

La vie n'est qu'un rêve, un fantôme, un acte Par lequel l'âme est emprisonnée dans le corps : N'aie plus pitié de moi, arrête de faire du bruit Et si je te devance là-bas, Tu viendras après moi, laisse que ce soit le destin, car l'Heure est proche, car le retard provoque la vengeance 16.

Les charmes du palais de l'amour ne risquent pas de nous faire oublier cette mélancolie, qui touche aussi Cupidon. Malheureusement, elle prévient rapidement Psyché que ses sœurs veulent la voir et qu'il en résultera "un changement d'état, un malheur extrême". La Roque : au lieu des trois visites des sœurs à Apulée, seul La Roque en décrit une, au cours de laquelle il a vu le projet serpent-monstre dans l'esprit de Psyché. Ce qui suit n'est pas le conflit intérieur qui ferait hésiter une héroïne, mais plutôt un bref exposé des moyens de « voir clairement ce qui est méprisé ». A la tombée de la nuit, Psyché prit un poignard et une lumière,

Le tout enrichi de figures dédiées à la Reine, par le Sieur de La Serre, Paris, E. d'Aubin, 1624, à -8°.

15. La Roque, "Fable de Psiche", op. cit., p. 48-49.

16. Éd., p. 52.

17. Éd., p. 62.

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Le lecteur n'en connaîtra pas l'origine et s'approche du lit. Le poète ne ménage pas le suspense et va droit à la révélation, formulée sans fioriture particulière :

Une peur l'envahit, elle est pleine de doutes, Qu'une des voix soit là ou n'écoute pas, En s'approchant de lui, elle vit que c'était l'amour, Dont les yeux endormis se couvraient un beau jour 18.

Cette formulation permet à La Roque de commencer la description de Cupidon, brève et sans originalité. Les exagérations des louanges restent vagues ("La voyante si parfaite, si belle, si gracieuse..." 19), et Cupidon se pare de l'imagerie traditionnelle : un garçon avec un arc et son carquois d'attributs. On le voit, le poète subordonne le récit à l'intrigue elle-même : en moins de trente vers, Psyché subit un revers (« sa colère alors détournée de son cœur »), maudit ses sœurs « inhumaines », est blessée par une flèche qui elle « chaleureusement amoureuse de l'amour de l'amour » en fait 20 avant de « lâcher une goutte de feu / Sur la hanche de l'amour se réveillant en sursaut ». Rapide, tendu et peu engageant, le mouvement est structuré comme un point dont l'effet est profondément trompeur :

Il sentit le mal flamboyer et brûler dans son cœur, Et effrayé par la colère du ciel, il s'envola, laissant Psyché seule et désolée au lit 21.

La fable se termine ainsi par le châtiment « La blessure est instantanée, réciproque, effective » 22 et prive Psyché de toute possibilité de salut. La familiarité du diminutif exclut une interprétation tragique, mais le désespoir et la dérision demeurent qui font de l'amour la force exigeante, redoutable et cruelle qu'aimait représenter la poésie pétrarquiste du XVIe siècle. Ainsi, à La Roque, l'économie des moyens est au service d'une manifestation destinée à dénoncer l'amour dans une histoire qui symbolise l'amour. Avec l'épisode de la transgression comme conséquence, la dénonciation est alors beaucoup plus virulente. Cinq ans plus tard, en 1600, Pierre Joulet publie une toute autre version de la Psyché d'Abel L'Angelier, bel exemple de recréation et de distraction spirituelle de la fable mythologique18.

Mitolo1 p. 64.

19. Ibid., op. citare

20. Éd., p. soixante-cinq.

21. Ibid., op. citare

22. Jeanne-Georgette Perkins, Siméon La Roque, Poètes de l'absence (1550-1615), Paris, Nizet, 1967, p. 179

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gic 23. Écrit en prose, il déroute le lecteur à première vue car thématiquement et dramaturgiquement il n'a rien à voir avec ce qu'il sait de l'amour entre Psyché et Cupidon. A priori il semble même difficile de parler de structure dans un récit sans trame narrative, présenté sous forme de paragraphes ou plus précisément de 178 "articles" à caractère anecdotique qui décrivent les contextes de Psyché, l'âme chrétienne, avec "son Seigneur Dieu". Ainsi, Pierre Joulet présente une héroïne proche de l'allégorie qui passe son temps à chercher celui qu'elle aime, à lui parler et à se consumer d'amour pour lui. Dieu, à son tour, expérimente cet amour en combattant l'orgueil du psychisme et en lui infligeant des souffrances physiques et mentales. Dans ces conditions, il serait vain de chercher un lien avec l'histoire d'Apulée dans cette version. Cependant, la scène dans laquelle Psyché découvre la véritable identité de son mari semble trouver un écho dans les Amores Espiruais de Joulet :

Psyché, réchauffée par les feux de la dévotion qu'elle éprouvait pour son bien-aimé, vint boire à une fontaine dont les eaux ont la propriété de donner l'amour aux vierges ; l'émotion de sa langueur habituelle.

Psyché doublement amoureuse peut sembler vaguement évoquer l'engouement de Psyché pour "l'amour de l'amour". Bien que l'eau ait remplacé la flèche de Cupidon, comme l'eau, elle a un pouvoir initiateur et purificateur. En effet, Psyché tomba malade peu de temps après et « entra en extase par la douce violence et les excès spirituels de leur amour » :

Son amant, qui le savait, vint aussitôt lui rendre visite : et sachant que sa maladie n'était causée que par la sanglante rancune qu'il éprouvait de son absence, il resta auprès d'elle, la nourrissant de sa grâce, et laissant l'amour même les lier, veillez sur eux. sur eux, et les dépose sur le lit de patience; puis, quand il fut complètement guéri, il la revêtit d'une robe d'innocence et d'humilité.

Ainsi, outre leur valeur anecdotique, ces articles ont une forte valeur didactique. En témoigne la présence d'un incipit

23. A la même époque (1599), et bien que partant d'un tout autre raisonnement, l'adaptation scénique de Louvan Géliot va dans le même sens. Généreuse et inconstante, sa Psyché (l'âme chrétienne) est sur le point de se marier : Anactye le Dauphin (Jésus-Christ), malgré son manque de ressources, la demande en mariage, mais Psyché renonce à son obligation et serre la main de cinq autres prétendants dans une rangée. (l'allégorie des sens). La rage d'Anactye n'a d'égal que sa vengeance, car Psyché est condamnée à être torturée. Géliot accompagne son œuvre d'une « mythologie » qui la configure a posteriori (Psyché, fable morale en cinq actes, en vers, avec chœur et prologue, Agen, Domaret, 1599, in-16).

24. Pierre Joulet, Les amours spirituelles de Psyché, op. cit., p. 15-1

25. Éd., p. 17

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Appelante - "Nous avons demandé à Psyché" - prétexte à des développements de ce type. Son propos édifiant est d'ailleurs indéniable et prend tout son sens dans l'article final qui le commémore. Conseils sur les arts moriendi, si répandus au temps de la Contre-Réforme : Psyché fait son testament quand elle est malade, se détourne des vanités de ce monde et ne pense qu'"à la vision des beautés divines de son bien-aimé". Seigneur bien-aimé et bien-aimé » 26. Pierre Joulet explique sa vision particulière de l'Amour de Psyché dans une note aux lecteurs. Il ne cache pas son intention de « détourner le cœur des hommes des choses mortelles » et présente son récit comme « un petit traité de l'angoisse sacrée éprouvée par les âmes pieuses dans leur affection pour leur Créateur »27. Mais surtout, il avertit les lecteurs de ne pas se méprendre sur son travail :

Ce sont des amours spirituelles, éloignées de toutes les pensées malhonnêtes et des désirs malveillants des pécheurs.

L'auteur renonce, sans concessions, à toute lecture érotique et profane de l'amour entre Psyché et Cupidon, si bien que son inscription dans la tradition littéraire se fait par rejet et opposition, aussi dogmatique que son parti pris « spirituel ». .

En revanche, Les Amours de Cupidon et de Psiché (1624) de Puget de La Serre revisitent la tradition apulienne et le charme des arguments mythologiques. Certains détails marquent l'histoire dès le début avec galanterie et raffinement précieux, pour être appréciés avec délice par un public aristocratique et essentiellement féminin. Dans le cadre d'un vaste projet -O Amor dos Deuses- elle est précédée d'une gravure dont le thème central est Psyché contemplant l'Amour endormi, tenant une lampe à huile. Les personnages sont nus dans une salle richement décorée, suggérant la puissance érotique de la fable. L'"argument" contribue également à renforcer cette impression, car l'auteur représente le point de vue opposé à la doctrine platonicienne de l'âme lorsqu'il soutient que "l'amour est le seul élément de nos âmes, et la seule douceur qu'elles trouvent dans leur servitude les rend apprécier la prison de leur corps. un tyran qui a fait la guerre au ciel

26. Éd., p. 108.

27. Ibid., « Aux lecteurs », sin paginar.

28. Éd.

29. Jean Puget de La Serre, « L'Amour d'Amour et de Psyché », « Argument », op.cit., p. 9-10

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et à la terre» 30. Enfin, la scène de l'Apocalypse ne devient jamais sérieuse parce qu'elle est traitée avec un certain enjouement. Au terme de leur unique visite, les sœurs de Psyché vengent leur bonne fortune en lui racontant le serpent qu'elles ont vu. Mais à aucun moment ils ne lui ont recommandé de le tuer, sa stratégie limitée à Psyché prenant une lampe "pour voir la vérité de ce que sa lumière y a découvert" n'a aucune conséquence, même si le pari symbolique n'a pas disparu de cette version. 32. Psyché tient sa promesse et, suivant le scénario habituel, découvre Cupidon endormi. Commence alors un récit amusant, dans lequel l'auteur met l'accent non pas sur la description secondaire de Cupidon, mais sur l'attitude trop zélée de Psyché :

Psyché le regarde, que dis-je, elle le regarde ; regarder c'est trop peu, elle l'admire, admirer ne suffit pas ; elle l'aime, l'aimer est une nécessité parce qu'il est amour, elle l'adore, l'adore, elle n'y peut rien parce que c'est un dieu. Alors disons plus franchement qu'elle l'admire, qu'elle l'admire, qu'elle l'admire, qu'elle l'aime et qu'elle l'adore, et qu'en l'adorant elle se délecte de tout, se donnant tout. tout. Mais plus que cela, elle le regarde comme la seule lumière dans ses yeux; il la considère comme l'unique objet de sa volonté ; il l'admire comme ce qui peut lui être le plus agréable ; aimez-le de toutes les affections de votre cœur, comme on aime les choses divines. Et enfin, elle l'adore avec un égal respect [...] Plus elle le regarde, plus son admiration grandit. Plus elle l'admire, plus son amour grandit. Plus elle l'aime, plus elle renforce sa résolution de l'adorer et dans son adoration de se sacrifier au pied de son autel.

Les réactions attendues de l'héroïne sont complètement moquées par le narrateur-auteur, qui la taquine dans une série de cinq verbes du registre commun (considérer, contempler, admirer, aimer, adorer) disposés en gradation ascendante et répétés quatre fois. Ils décrivent le passage de la sensation physique à l'émotion affective et développent les topoi de l'amour-vision et de l'amour déifié. L'ironie naît non seulement des interventions correctives du narrateur ("qu'est-ce que je dis ; exprimez-le ainsi"),

30. Éd., p. 17

31. Éd., p. 71.

32. L'auteur accompagne son récit d'un "Traité sur la morale de la fable" (pp. 144-194) destiné à souligner les enseignements moraux d'Apulée. Chaque grande phase du récit se prête à la discussion dans une sorte de syncrétisme philosophique, littéraire et biblique : Abraham et Isaac sont tour à tour invoqués pour imposer l'obéissance du père à l'oracle et l'obéissance de Psyché au père, mais aussi Ovide explique, Sénèque et Euripide , ou encore Aristote et Averroès, lorsqu'il s'agit d'expliquer "de quelle matière sont faits les cieux" (p. 166). Il s'avère cependant que la remarque sert de prétexte à un débat plus philosophique que moral, comme le montre la discussion finale sur la nature du plaisir.

33. Éd., p. 71-73.

Psyché découvre Cupidon 1077

et la répétition des verbes, mais aussi la logique fonctionnelle systématique de ces topoi, elle-même soulignée par les conjonctions subordonnantes, juxtaposées ou subordonnantes et par les adverbes utilisés dans la corrélation. Tout se résume à la description d'une situation amoureuse extrêmement banale, qui ne devient amusante que par une distance ironique. Un ton moqueur est également perçu dans le reste de la scène, lorsque Psyché tient la lampe devant le visage de Cupidon :

Et pourtant elle est jalouse que cette torche ait la même satisfaction que ses yeux : mais elle ne peut voir sans elle, alors elle est forcée d'utiliser sa lumière pour admirer son soleil.

Grâce à l'animisme de la scène, l'instrument devient un rival que Psyché prend très au sérieux, si bien que le vers ne rentrerait pas dans une comédie de mœurs. Enfin, la pitié excessive de l'auteur pour l'amour contribue à la même atmosphère :

Mais quel malheur, quand d'une main tremblante elle approcha cette lampe mortelle du pauvre Cupidon endormi, elle renversa sans réfléchir une goutte d'huile brûlante sur son petit bras nu, ce qui du même coup le réveilla. se leva et sentit la douleur s'envoler de lui avec les ailes de l'impermanence de Psyché 35.

Au lieu de continuer, le récit marque une pause pour permettre à l'auteur-narrateur d'intervenir :

Que dire maintenant pour exprimer la douleur de cette bien-aimée qui se retrouve soudain à tomber des hauteurs du bonheur aux profondeurs du malheur à cause de la perte de l'unique objet de son affection.

Bien qu'elle évoque un évanouissement d'éloquence, l'intrusion vise à dramatiser la scène et est plus surnaturelle. La résolution est immédiate de le confirmer : abandonnée, Psyché se lance dans un mélodrame dont l'expression est aussi caricaturale que son extase devant le visage de l'amour, pleurant, hurlant, s'arrachant les cheveux, s'incriminant et demandant pardon. Cupidon, à son tour, « se réfugie dans le palais de sa mère [...] pour se soigner en son absence » 37.

Dans l'ensemble, l'invocation de clichés par Puget de La Serre, sa théâtralité excessive et son ton joyeusement enjoué font de la scène de révélation un épisode amusant, mais sans grande profondeur.

34. Éd., p. 74.

35. Éd., p. 75.

36. Ibid., op. citare

37. Éd., p. 87.

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Ainsi, des trois versions narratives de Psyché antérieures à celle de La Fontaine, seules deux préservent expressément cet épisode avec leur propre traitement, l'une privilégiant la concision des faits, l'autre étalant malicieusement les stéréotypes qu'il contient. Encore, en 1669, comment La Fontaine pouvait-il songer à réécrire la scène de l'Apocalypse ? Ni conventionnelle ni édifiante 38 , son exécution est loin de celle de La Roque, pessimiste et sobre, mais ce serait celle de Puget de La Serre pour l'usage de l'humour et surtout pour l'intervention du narrateur. Cependant, là où le discours de Polyphiles conduit à une digression qui interrompt le flux, le discours de Puget de La Serre n'est qu'un effet rhétorique, n'ayant pas le pouvoir d'ébranler l'édifice romanesque ni de le détourner vers d'autres horizons narratifs. De plus, le traitement par les deux auteurs de la question stratégique du résultat diffère. Non seulement le Puget de La Serre n'est pas aussi repoussé que celui de La Fontaine, mais si son héroïne s'emporte véritablement contre l'évasion de Cupidon, celui de La Fontaine fait preuve d'une étrange immobilité :

Elle pouvait se jeter à genoux devant son mari ; il pourrait lui dire comment c'est arrivé; et s'il n'avait pas pleinement justifié son plan, il en aurait au moins blâmé ses deux sœurs. En tout cas, il pourrait demander pardon, se prosterner aux pieds de l'amour, les embrasser avec remords et les mouiller de ses larmes. Il y avait aussi un cours à compléter; c'était de lever le poignard par la pointe et de le présenter à son mari, en découvrant sa poitrine et en l'invitant à percer un cœur qui s'était révolté contre lui.

Le lecteur a dû attendre le début du deuxième livre pour connaître ce résultat, qui ne l'intéresse plus. Traité comme un simple épilogue, il marque simplement le passage d'une période de bonheur à une période de malheur40. L'obstination avec laquelle La Fontaine évoque la passivité et l'impuissance de Psyché est inhabituelle. Dans Apulée, Psyché tenta de tenir Cupidon par la jambe :

38. Cependant, Yves Giraud rappelle que La Fontaine ne pouvait ignorer ce type de lecture lorsqu'il écrivait son roman : « La Fontaine se trouve dans un réseau culturel très dense qui impose presque inévitablement diverses recommandations de lecture. En 1669, on ne peut plus raconter innocemment l'amour entre Cupidon et Psyché » (Art. cit., p. 52).

39. La Fontaine, Amours..., op.cit., p. 428

40. "La Pause. Psyché", Publications de la Modern Language Association of America, Vol. 84, Non. 3, 1969, p. 584).

Psyché découvre Cupidon 1079

Mais Psyché, lorsqu'il s'éleva dans les airs, lui saisit la jambe droite des deux mains et, suspendue dans les airs, pitoyable compagne de cette ascension, le suivit, épuisée, dans la région des nuages, sur laquelle elle retomba. 41ème étage,

Apulée dépeint avec humour les efforts désespérés de son héroïne pour éviter l'incurable, tandis que la psyché de La Fontaine « ne savait que dire » et « restait immobile »42. La séquence est grammaticalement et lexicalement notée par la négation, mais pour souligner l'indolence du personnage, La Fontaine élabore surtout des indices narratifs qui suggèrent autant de romances possibles que le lecteur est invité à construire. Tous ces enregistrements renvoient à la mise en scène d'une tragédie que l'on peut lire dans Puget de La Serre. Au contraire, la richesse de l'action présentée dans La Fontaine nous conduit à l'absence effective d'action. Outre ce parti pris attestant de l'originalité de La Fontaine, qui rejette l'émotion légère explorée par Puget de La Serre, il est sans doute le vestige d'une certaine forme d'ironie de sa part, puisque le manque de psyché est une métaphore. par le résultat, dans lequel rien ne se passe et à la fin rien n'est résolu. La Fontaine suggère que le lecteur aurait tort de s'attendre à y trouver toute la charge émotionnelle et dramatique de l'histoire. Ainsi, lorsque le poète vide la séquence de son contenu et l'annule avec l'intervention de Polyphile, c'est avec l'intention de reporter la fièvre du lecteur sur le récit lui-même.

En effet, pour traiter de la scène de l'Apocalypse, La Fontaine développe une dramaturgie du silence, qui est une célébration du spectacle et de la contemplation, ou plus précisément un éloge du langage, puisque l'illusion visuelle se réalise grâce à la médiation verbale. Cela explique les structures narratives de dédoublement dans la séquence, faisant répéter plusieurs énoncés pour répéter la même découverte. Ainsi, la poésie qui sert à décrire Cupidon se traduit directement de la prose qui évoque l'émotion de Psyché dans son intériorité. Sur un ton plus familier, il reprend essentiellement les termes du premier tableau. Peu de temps après, c'est le monologue intérieur qui retranscrit pour la seconde fois le remords de Psyché, si bien que l'analyse psychologique du personnage est nuancée selon les modalités du discours. Le plaisir de l'amour est aussi celui des mots et, comme dans l'échange d'amour, La Fontaine demande un partenaire (« Complète mon impuissance »43).

41. Apulée, La hache d'or, op. cit., p. 130

42. La Fontaine, Amours..., op.cit., p. 428

43. Éd., p. 422.

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Ce défi adressé au lecteur lui rappelle sa nécessaire participation à l'acte de lecture, qui est aussi un acte d'imagination. Ainsi, on observe un phénomène d'allongement de l'épisode, qui échappe pourtant à la redondance grâce à la mise en œuvre d'une esthétique de la diversité.

Paradoxalement donc, le rôle de l'intervention de Polyphile est avant tout d'affirmer le pouvoir de séduction du langage par sa répression pure et simple. Ce que le lecteur a pressenti à travers le clignement de la narration se confirme ici encore plus clairement : il s'agit de lui faire prendre conscience que l'essentiel est moins dans l'histoire elle-même que dans la narration de l'histoire, c'est-à-dire, dans l'éloquence, le pur le plaisir est. La démonstration prend tout son sens, non seulement avec un thème ancien 44 , prétexte à paraphraser, mais aussi avec un genre narratif, la narration, qui plus que tout autre entretient des relations consubstantielles avec le langage, que ce soit dans son oralité, dans sa tradition éternelle. , sa nécessaire mise en scène ou encore son protocole de séduction.

De ce point de vue, l'interruption du narrateur matérialise aussi le transfert d'intérêts qui conduit de l'anecdotique, du référentiel au poétique. De plus, si nous regardons les propos de Polyphile et les réactions d'Acante, nous verrons qu'ils n'affectent en rien le développement de l'intrigue. S'ils se fichent du sort de Psyché, c'est que les préoccupations des deux amis sont avant tout d'ordre esthétique. Rhéteur pleinement conscient de l'importance de l'éloquence, Polyphile s'inquiète de la réception de son message ("Tu serais très ému par l'histoire que je m'apprêtais à te raconter") avant de repousser ses limites en invoquant la création ("Ce n'est pas mon talent. « terminer une histoire / qui se termine ainsi »). Les assurances d'Acante apparaissent en revanche comme un encouragement et une réponse à la modestie probablement exagérée du narrateur (« peut-être as-tu fait mieux que tu ne le penses »). Vous verrez une belle fille souffrir"), de sorte que l'attention des interlocuteurs se tourne exclusivement vers des réflexions littéraires. Dès lors, le débat entre Ariste et Gélaste, loin d'être une parenthèse, risquerait de "aller complètement au-delà du thème" 45 dans lequel les quatre amis se rencontrent, la manifestation de La Fontaine à un niveau théorique, plus que les grandes lignes de l'histoire

44. "Comme si l'auteur voulait démontrer le pouvoir toujours renouvelé des meilleures histoires [...], dans Psyché il semble travailler pour que l'histoire mythologique antique garde tout son pouvoir de séduction." , (Boris Donné, La Fontaine et la poétique du rêve, op. cit., p. 94).

45. La Fontaine, Amours..., op.cit., p. 424

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tous convergent vers le même et l'unique : l'artistique. Il y a bien sûr une contradiction à présenter une discussion théâtrale pour démontrer la puissance du récit, mais il est possible de la résoudre, comme le fait Boris Donné, en postulant que, pour La Fontaine, « l'écriture et le jeu théâtraux conviennent peut-être mieux manifester la dignité et la puissance de l'expression littéraire" 46.

La leçon s'applique non seulement au lecteur, mais s'applique aussi intradiégétiquement à la psyché. Au passage, il est possible de voir en elle un autre visage de cette lectrice au « tempérament vif et vif » décrit par Du Plaisir en 1683 :

Nous haïssons tout ce qui s'oppose à notre curiosité ; ça donne presque envie de commencer à lire un tome à la fin, et on est toujours agacé par les auteurs qui n'économisent pas assez d'argent pour nous satisfaire à temps.

L'impatience de la psyché est celle du lecteur qui veut aller droit au bout de l'histoire, c'est-à-dire au sens, sans s'être arrêté pour le savourer. Avec son poignard, Psyché se prépare symboliquement à tuer son histoire, risquant de tuer le plaisir qui en découle. Les mises en garde de l'auteur Cupidon sont particulièrement claires à ce stade 48. Son rôle est alors de détourner Psyché de son plan meurtrier et de « freiner sa curiosité » 49 :

Soyez sûr qu'à partir du moment où vous cesserez d'en vouloir, vous vous ennuierez [...] la meilleure chose pour vous est l'incertitude, et après la possession vous aurez toujours quelque chose à désirer : c'est un secret que nous n'avions pas encore réalisé. Restons-en là, si vous me croyez : je sais ce qu'est l'amour et je le devrais.

La métaphorisation mutuelle de l'acte d'aimer et de l'acte d'écrire est complète et trouve sa pleine expression dans une formule paradoxale :

Elle l'a fait, demandant de mettre fin à son plaisir.

Dès lors, le parcours de la psyché de La Fontaine dépeint moins l'initiation de l'âme que celle du lecteur perçu dans ses troubles.

46. ​​​​Boris Donné, La Fontaine et la poétique du rêve, op.cit., p. o181.

47. Du Plaisir, Sentiments sur les lettres et l'histoire avec scrupules sur le style, Hrsg. Philippe Hourcade, Genève, Droz, 1975, p. 44.

48. À quoi ressemblera la vie de Polyphile ? "Et là son plaisir pourrait s'arrêter" (La Fontaine, Les Amours..., op. cit., p. 423).

49. Éd., p. 417.

50. Éd., p. 4l5.

51. Éd., p. 422.

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aime apprendre à lire. Quand une histoire contient vraiment un message, quand elle doit vraiment être interprétée, toute la difficulté est pour le poète de la transmettre avec tout le plaisir possible, et pour le lecteur de la recevoir comme telle. Là est le « pacte de lecture » de l'amour entre Psyché et Amor.L'intervention de la figure du narrateur-auteur dans la scène de la révélation est sans doute le signe de la profonde originalité de La Fontaine. Elle cherche moins à détériorer l'équilibre narratif qu'à créer un nouvel équilibre à partir de l'atelier dans lequel le roman a été écrit. Il remplace la flèche de Cupidon et est donc une invitation à succomber au charme d'éloquence utilisé pour décrire le dieu de l'amour. Cette lecture réflexive est confirmée par la comparaison avec le théâtre, en particulier Psyché, Corneille et Quinault 52 de Molière, créé le 17 janvier 1671. En effet, Molière choisit de sortir de la tradition de la contemplation subreptice et d'explorer les possibilités du langage dramatique : la révélation est régie par l'échange verbal, Psyché apprend de Cupidon qu'il avoue sa véritable identité. La magie, la magie et le suspense de l'histoire de La Fontaine s'estompent pour laisser les séquelles plus immédiates d'une diatribe sur l'amour du narrateur et la nécessité de "jouer" le personnage de Cupidon, mais T. Corneille et Fontenelle, dans leur Tragédie lyrique inspirée de la même thème54 reviendra au traitement conventionnel. Par conséquent, le choix de Molière n'est pas strictement guidé par des impératifs de genre. Au contraire, cela vient du désir de le faire.

52. Molière, Corneille, Quinault, Psyche, Tragödie-Ballett, Paris, P. Le Monnier, 1671, in12. Música de J. B. Lulli.

L'œuvre commandée par Louis XIV à Molière sera jouée pour le carnaval. On sait que le dramaturge travaillait sous la pression du temps pour élaborer le plan de la pièce et il n'a réussi qu'à mettre en vers le prologue, le premier acte et les scènes 1 des actes II et m. Il confie les parties chantées à Quinault et défie Corneille de coupler le reste de la pièce. Pour les modalités de cette collaboration, voir la note d'introduction de Psyché dans le tome II des Œuvres complètes de Molière, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, "Bibliothèque Pléiade", 1983, p. 791797.

53. "Maintenant, je suis le dieu le plus puissant des dieux, / Absolu sur la terre, Absolu dans le ciel; / Dans les eaux, dans l'air, mon pouvoir est suprême; / En un mot, je suis même l'amour, / Que par mes propres traits ils me blesse pour toi;/ et sans la violence, malheureusement !, que tu me fais/ et qui vient de transformer mon amour en colère,/ tu me voulais pour époux » 3, v. 1528-1535, p. 870).

54. Thomas Corneille et Bernard de Fontenelle, Psyché, tragédie lyrique, Paris, 1678, in4e. Musique de J.B. Lulli.

Psyché découvre Cupidon 1083

Scène la plus spectaculaire possible, avec ce parti pris dans la représentation au détriment de la description de Cupidon. La Fontaine semble donc avoir donné à la scène de l'Apocalypse une dimension réflexive qui renouvelle complètement la portée symbolique de l'épisode.

EDWIGE KELLER*.

* Université Jean Moulin-Lyon m, Faculté des Lettres et Civilisations, 74, rue Pasteur, B.P. 0638, 69239 Lyon Cedex 02.

L'intelligence dans l'arlequin, polie par l'amour et le combat

La production comique antérieure à celle de Marivaux, du théâtre italien de Gherardi à Dancourt, Dufresny ou Autreau, a abondamment épuisé les ressources du discours cynique, ainsi que celles du discours naïf, souvent similaires dans leur contenu, bien que le principe soit tout autre : l'un résiste à la morale, que l'autre doit ignorer. Marivaux n'a pas négligé le premier (Le Faux-Suivant peut être considéré comme un chef-d'œuvre tardif (1724) de la comédie cynique), mais il est particulièrement évident dans son traitement du second, qu'il attribuait à une profondeur de sens jusque-là inconnue supérieure à celle de ses prédécesseurs. lui utilisant les manœuvres de conscience avant les autres dans des échanges amoureux. En ce sens, le rapprochement entre deux ouvrages est fondamental, l'un qui marque un début brillant et l'autre le déclin d'une carrière : Arlequin poli par l'amour (1720) et La Dispute (1744)1, fictions humoristiques, où la tentative à force de l'appréhender dans son essence, à l'état « pur » (épithète assez problématique), il se radicalise de plus en plus ; Des fictions, ou plus précisément des utopies d'ingéniosité, puisque les deux intrigues se déroulent dans un lieu magique ou mythique, ce qui implique qu'un tel comportement est inobservable et ne pourrait être qu'une projection imaginaire issue de l'analyse de comportements réels. Outre « l'étude de la psychologie de l'amour » 2 , qui est le thème évident des deux comédies, le but

1. Ces deux ouvrages ont souvent été liés par la critique. Prenez, par exemple, Frédéric Deloffre, Marivaux et le marivaudage, Paris, Armand Colin, 1967 (deuxième édition), page 209, ou William H. Trapnell, « The Philosophical Implications of the Marivaux Dispute », Studies on Voltaire and the XVIII Century . , tome LXXIII, 1970, p. 194 et 195. Notre édition de référence est L'intégrale du Théâtre de Marivaux présentée par Henri Coulet et Michel Gilot, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1.1, 1993 ; T.II,

2. L'expression est de H. Coulet et M. Gilot, "Avis" in La Dispute, éd. cit., t. II, p. 1073

RHLF, 1996, no. 6, p. 1084-1105.

Esprit en arlequin poli par l'amour et la lutte 1085

Le dramaturge doit révéler la structure de base du moi relationnel et du travail d'amour de soi dans la « genèse du sujet » 3 trouvée à travers l'autre. Pour cette raison, il nous paraît difficile de parler d'innocence chez des gens aussi innocents, comme le font de nombreux commentateurs : l'irréalité de leur univers est précisément destinée à accentuer la présence irréductible de la vanité (pour reprendre le vocabulaire du « philosophe » chrétien de le Journal) de l'éveil de l'être à lui-même.

Pour définir plus précisément l'inventivité de Marivaux, il me paraît indispensable de la mettre en rapport avec les visions anthropologiques, aussi puissantes que cohérentes, qui imprègnent l'ensemble de son œuvre, sans toutefois donner lieu à une exposition périodique (on sait ce il pensait les "faiseurs de système [...] que le vernaculaire appelle philosophes"4). Gardant à l'esprit que son domaine d'étude est la dialectique des relations interpersonnelles (amoureuses et/ou sociales), nous emprunterons cependant à l'un de ces systémiers la notion de désir de reconnaissance, ou désir du désir du autre, qui permettra d'esquisser un résumé de la réflexion de Marivaud. On sait, en effet, que Hegel, pour être lui, appréciait les romans de Marivaux (Jacques d'Hondt le soulignait dans un long article5) et que sa pensée dans La Phénoménologie de l'esprit (1807) entendait contribuer à l'achèvement de la littérature occidentale , ainsi que la philosophie, avec une référence particulière aux Français du XVIIIe siècle, sur l'expérience de la connaissance développée par la conscience.

3. "C'est la genèse du sujet, présenté ici comme l'objet d'une démonstration pseudo-scientifique, qui détermine le type de société qui se dessine", écrit Walter Moser de La Dispute ("Le Prince, le Philosophe et la Femme Statue A Lecture de la Dispute », in Vérités à la Marivaux, Littérature, été 1991, p. 74).

4. Le Spectateur français, folio 21, en revues et ouvrages divers, édition de F. Deloffre et M. Gilot, Paris, Garnier, 1969, Pi 232.

5. "Hegel et Marivaux", Europe, novembre-décembre. 1966, p. 323-337. Du même auteur, Voir "Marivaux, le masque, l'habit et l'être", Marivaux d'hier, Marivaux d'aujourd'hui, Paris, Editions du C.N.R.S., 1991, p. 121-1 Parmi les articles sur Marivaux inspirés de la dialectique hégélienne de la reconnaissance, il convient de citer celui de Jean Molino : « Orgueil et condolência chez Marivaux », Século XVIII, 1982, n.14, p. 337-355.

6. Voir la traduction de Phénoménologie de Jean-Pierre Lefebvre (Paris, Aubier, 1991) pp. 148-158 (pp. 150-158 : « Autonomie et non-autonomie de la conscience de soi ; domination et servitude »). La traduction annotée de ce passage par Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière (Les Premiers Combats pour la reconnaissance, Paris : Aubier, 1987) est des plus révélatrices.

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outils conceptuels littéraires utiles; il en est de même des théories modernes d'inspiration hégélienne (celle de Sartre dans L'Être et le Néant, ou celle de Lacan7), dont l'œuvre de notre auteur offre une remarquable préfiguration.

Le principe du fait humain est donc, pour Marivaux, le désir de reconnaissance, condition de la moralité et de la sociabilité :

Je suppose que vous êtes jaloux de l'estime des gens et du droit de vous estimer ; si tu n'es pas ce que je dis, je ne te parlerai plus; vous n'êtes qu'à moitié humain; vous avez la vision et l'inclination vers le mal ; Ils n'ont ni dignité ni noblesse.

Mais le sain désir d'être reconnu pour ce qu'il vaut est perverti quand, par un détour presque imperceptible, la reconnaissance devient la valeur ultime ; De la reconnaissance de la valeur à la reconnaissance comme valeur elle-même, le souci de valoriser dégénère en arrogance chez les nobles, les riches et les gentilshommes, en coquetterie chez les femmes, en bêtise chez les hommes, en vanité chez tous : dégradation du respect de soi envers soi. -estime. estime, inscrite dans le cœur de la créature depuis la chute originelle. Ainsi commença le divorce entre la sociabilité et la morale. De plus, l'estime de soi est habitée par une contradiction interne : si l'être n'est digne de confiance qu'il dépend des autres, donc, admettre naïvement sa propre avidité pour l'avidité de l'autre équivaut à s'y soumettre et à se mettre en une position d'infériorité qui met en péril la reconnaissance tant attendue. Telle est la mésaventure de Coxcomb dépeinte par la Marquise dans Les Sincères (1739) : "Imaginez qu'il ait un objet très important en tête, et c'est de se montrer"... (sc.IV) Le personnage est complètement ridicule, car le supériorité La nature illusoire qui l'imprègne conduit à sa dégradation totale aux yeux du monde : il est abusé par un sens de soi grossièrement grossier. L'estime de soi affichée est discréditée, mais aussi les mendiants, dont la même scène dans Sincero offre un exemple non moins réjouissant avec la "nouvelle copine, la trentaine", percée de timidité. L'homme sociable doit toujours être en alerte pour se faire ami à son insu et se faire un avocat avisé de son estime de soi, capable de concilier habilement celle des autres. IL

7. « Aimer, c'est essentiellement le projet d'être aimé », écrit Sartre, de manière très hégélienne, dans L'Etre et le néant (Gallimard, Coll. T.E.L., p. 424) ; et Lacan : « Aimer, c'est vouloir être aimé » (Écrits, Paris, Éditions du Seuil, p. 853). On sait combien Lacan a influencé les cours de Kojève (1933-1939) sur la phénoménologie de l'esprit. La théorie du désir mimétique de René Girard est également d'origine hégélienne ; voir cet auteur : « Marivaudage and Hypocrisy », American Legion of Honor Magazine, New York, No. 3, 1963.

8. Le Spectateur français, page 4, éd. cit., p. 130

Wit au POU Harlequin via Love and Strife 1087

Le désir de plaire, qui caractérise l'activité relationnelle, impose une gestion réciproque des vanités, véritable jeu d'escrocs gâtés qui conduit les hommes à être "porteurs de visage", comme le dit la célèbre expression du Spectateur français 9, c'est-à-dire lui demander ensemble pour le masque de chair le plus adapté à la séduction ; elle impose aussi un usage du langage à la fois codifié et calculé, participant à la même stratégie, c'est-à-dire moduler l'expression du désir de reconnaissance de manière à attirer celle de l'interlocuteur.

Alors qu'en est-il de la relation entre le respect de soi et l'amour ? On a dit que leur conflit était le thème principal des comédies de Marivaux 10 ; En effet, l'amour-propre éveille et encourage l'amour autant qu'il l'entrave : c'est le conflit inhérent au premier qui hante le second, empoisonné par le fait que l'amour, contrairement au commerce mondain, ne se contente pas de gratifications. ils peuvent être. "On peut être hypocrite plus longtemps en amitié qu'en amour : on ne lui demande pas tout de suite de le démontrer", commente Jules Renard (auteur du Plaisir de rombre et du Pain de l'école de Marivaux ?). En amour, le désir doit être avoué, réalisé par des actes - et quels actes vous obligent à vous donner à l'autre charnel ! D'où le duel verbal, qui consiste à arracher au couple une confession sans trop en dire, les épreuves auxquelles il est soumis, les rencontres qui ont lieu sur le mode de l'apparition ou de la fuite, etc.11. On peut donc définir l'amour de Marivau comme la forme la plus complexe et la plus riche des possibilités contradictoires du désir humain, c'est-à-dire la symbiose entre le désir sexuel et le désir d'approbation, se renforçant mutuellement, mais avec des interactions de signe opposé : le désir sexuel le désir renforce les inhibitions que le désir inhérent d'approbation, inhibitions que le désir d'approbation cherche à combattre en sublimant le désir sexuel, convainquant chaque amant qu'il ne veut pas de l'autre

9. Feuille 3, p. 124..

10. Ce point de vue apparaît même dans l'essai de Michel Deguy, La Machine matrimoniale ou Marivaux, Gallimard, col. « Der Weg », 1981, riche en développements suggestifs : « Le principal contraste apparaît comme celui du désir et de l'amour-propre (p. 165).

11. « Chez tous ces êtres, écrivent H. Coulet et M. Gilot, il serait facile de discerner un besoin vital de se reconnaître dans l'approbation des autres : on a peur de son rejet et on a peur de donner, on se méfie les sentiments de l'autre [.. .]. Il s'agit d'aller jusqu'au bout du partenaire, de lever les masques, de se retrouver ou de se retrouver. » Marivaux, un humanisme expérimental, Université Larousse, collection "Thèmes et textes", 1973, p. 136. En ce sens, voir aussi l'étude d'Yves Moraud : "Le discours de la séduction au théâtre de Marivaux", L'Information littéraire, 1987, n.3, p. 107-113.

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instinct, mais pour ce que vaut sa personne ; car plus l'aimé est valorisé, plus son désir est désiré comme valeur.

Telle est du moins la manière d'aimer les hommes du monde, car celle de leurs serfs et de leurs paysans est remarquablement différente, et plus encore celle des simples, appartenant à une autre sphère, merveilleusement conservée. Mais protégé de quoi exactement ? Dans Arlequin poli par l'amour et La Dispute, la saudade apparaît chez des êtres dont l'expérience de la vie relationnelle est si réduite que la conscience qu'ils ont conscience de cette saudade, et qu'ils se désirent, relève d'un mouvement quasi «instinctif» non Affecté est le va-et-vient (guidé par un second instinct socialisé) qui conduit le civilisé à suspendre sa manifestation pour se rendre plus désirable. Ici, il n'y a pas de division du désir contre lui-même, donc il n'y a pas d'inhibitions, ni de disputes sur l'estime de soi. Ni les interdits de l'extérieur : le pasteur Silvia a dû entendre que c'était une « erreur » de serrer la main pour être embrassé, mais pour elle le code moral n'est qu'une règle formelle dont elle n'a pas intériorisé le sens ; il voudrait aussi le rompre s'il y trouvait son avantage sous forme de plaisir : « Comme c'est une faute, je ne le ferai que si je l'aime comme les autres » (sc. IV). Ainsi, la confession d'amour intervient au début des deux pièces au lieu de les conclure ; il n'y a pas de censure entre le sentiment et la conscience du sentiment ("Dès qu'il s'est approché de mon cœur il m'a dit qu'il l'aimait", Arlequim Pulido de Amor, sc. IX), ni entre la conscience du sentiment et son expression verbale : dès que désiré, aussi vite que dit.

Arlequin : Nous ne devons aimer personne d'autre que nous deux ; regarde si tu peux Silvia : Ah ! d'ailleurs, rien n'est facile pour moi 12. Azor : Mon cœur aspire à tes mains. Eglé : Tiens, elle te donne le mien.

Quel contraste avec « l'esprit cultivé »14 de l'homme du monde, qui emploie mille subtilités pour camoufler ce qu'il veut camoufler à l'autre, et inspire mille déviations de langage à ceux qui « savent ce qui se passe dans leur tête, mais ne le cacherait pas ou ne dirait pas "quinze !

12. Arlequin poli par l'amour, scène VII 13. La querelle, scène IV.

14. La Double Impermanence, III, 1 : « Les autres femmes qui aiment ont un esprit instruit », dit le Prince de Silvia.

15. Mise en garde contre les serments indiscrets, t. 1, p. 662.

Esprit en arlequin poli par l'amour et la lutte 1089

Dans A Disputa, où soif d'approbation et sensualité entretiennent un rapport particulièrement complexe, l'éventail du désir est incroyablement riche, donnant des formulations étonnamment dures : narcissisme ("Je passerais ma vie à penser que maintenant je vais m'aimer " , sc .III); dévalorisation des "autres" ("Vous autres qui êtes si noirs [...] avez dû fuir de peur quand vous vous êtes rencontrés", sc. VI); la coquetterie dans tous ses états (« J'aime ton cœur et son adoration encore plus que ta présence », sc. VII ; je ne veux rien manquer », sc. XVIII) ; « lutte à mort » entre l'estime de soi ("Mais tu n'es pas ravi de moi.- A cause de toi, c'est moi qui charme les autres", sc. IX) L'échec de l'ouvrage était dû au fait que les contemporains refusaient de se reconnaître dans un miroir aussi impudique, Héros et dialogues qui semblaient trop artificiels, comme s'ils étaient fabriqués à partir d'une "fiction théorique", ils incarnent en quelque sorte les pulsions refoulées qui façonnent secrètement les comportements sociaux et, par extension, l'univers pour lequel ils transfèrent le étrangeté familière du rêve.

Le statut du langage dans cet univers est des plus uniques. Aucun blocage n'empêche la perception des sentiments ou leur verbalisation, la parole appréhende immédiatement ce que la conscience perçoit, le pour soi est totalement réversible en elle pour les autres. Les innocents ne sont pas pudiques dans leurs sentiments ni dans leur vanité et ils parlent de leurs désirs comme personne d'autre dans la vie de tous les jours. Ils ressemblent en cela aux hommes du "monde réel" (récit allégorique des folios VI à XI du Cabinet du philosophe, 1734), dont les moindres intentions sont "très claires, très naïvement exprimées" dans le tête-à-tête. 17, à la différence essentielle qu'ils ne recourent pas à ce qui est linguistiquement désigné, mais inconsciemment à leur vérité "dans le style de leur parole, dans l'air qu'ils ont en parlant, dans leur ton, dans leurs gestes, jusque dans leurs yeux « prononcer » (ibid.) Ce langage corporel, que le narrateur de l'histoire traduit en mots, est celui d'arrière-pensées, de pulsions ou de ressentiments accordés ou inconscients envers autrui : l'indicible manège des désirs de toutes sortes .

16. Das Wort stammt von Patrice Pavis en Marivaux no palco, Publications de la Sorbonne, 1986: s. 349.

17. Feuille 8, p. 401

APERÇU DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE FRANÇAISE (96e Ann.) XCVI 35

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sa transcription en phrases explicites apparaît à la fois paradoxale et comique dans les dialogues du naïf, tant elle articule le non-dit et même l'impensé, et affiche crûment des motivations qui dépassent généralement le dicible. Les taquineries de la coquetterie ("Allez, un peu téméraire, dis-moi un truc un peu fort", p. 403), les disputes entre rivaux ("C'est pas que tu ne le mérites pas, mais [...] Men you va avec qui me ressemble, S. S'ils t'honorent, prends la pilule, p.414) sont des figures de style littéralement insoutenables dont la parenté avec les jeunes héros de La Dispute18 est évidente. heureux ? Comme tu es stupide de penser que je te loue sincèrement ! Mais j'ai besoin que tu fasses semblant", p. 408), qui nous ramène à Arlequin poli par l'amour, où les premières tentatives pour déguiser le désir produisent des formules pragmatiquement tortueuses : Arlequin à la fée : « oh ! Je ne suis pas idiote, je ne dis pas ce que je veux. » pense ! (sc.VII) ; Silvia serre la main d'Arlequin en plaisantant : « [Je le veux] plus que toi, mais je ne veux pas dire » (sc. XII) Dire que ce qui n'est pas dit est une dissimulation ouverte : les naïfs n'ont pas (encore) compris qu'il faut cacher le fait de se cacher, sous peine d'annuler l'acte.

Il est vrai que le dramaturge ne pouvait se permettre de multiplier, dans un dialogue théâtral où il y a de véritables conversations, les « extravagances » (p. 430) qui permettent de décrypter les messages tacites émis dans le monde réel, là où il se déroule. , il abonde que nous déclarions à la fois ce que nous affirmons et ce que nous ne savons pas (plus) : « Si je pouvais m'annuler au fond je ne sais pas quelle jalousie je ne veux même pas voir [...] » ( p. 410); "Maintenant, je te parle de bonne foi : j'en suis venu à croire que tu feras le bien pour faire le mal" (p. 436). Pour défier moins ouvertement la logique, les mots des génies comiques ne sont pas moins

18. D'autres parallèles sont possibles : M. Gilot signale la similitude entre les Folville du « Monde Vrai » et Rosimond dans Le Petit-Maîtrecorrecté (Les Journaux de Marivaux, Université Lille III, 1974, T.1, p. 714) . ). La bêtise est, en effet, l'une des principales raisons de la sincérité excessive du théâtre de Marivaux ; ce peut être aussi de l'insolence (notamment chez les domestiques) ou de la rusticité mêlée de cynisme (comme chez Pierre dans La Surprise de l'amour ou Biaise dans L'Héritier de village). F. Deloffre et M. Gilot écrivent correctement dans la « Notice » avant Le Cabinet du philosophe que les commentaires du Monde vrai « nous renseignent mieux que tout autre passage sur les sources de la comédie de Marivaux » (p. 353).

Intelligence en arlequin polie par l'amour et les conflits 1091

insolite car au lieu de passer par le « langage naturel » 19 , sensible et réactif, que la personne propose inconsciemment aux autres de déchiffrer, il est pris par la conscience et communiqué oralement. D'où l'extrême difficulté de trouver sur scène le ton juste pour interpréter les dialogues, où les mouvements d'intériorité sont originellement captés par une spontanéité scientifique, où l'ingéniosité rejoint le langage hyper-sophistiqué du cynisme, où chaque mot est un instrument de Réflexion. l'interaction est un facteur de socialisation et sape davantage l'ingéniosité précoce. L'équilibre entre l'expression corporelle et le langage verbal, admirablement atteint dans Arlequin poli par l'amour, écrit pour des acteurs principaux, est particulièrement difficile à maintenir dans le cas de La Dispute, où Patrice Pavis observe que « le langage de l'action tend à être immédiatement doublé ou relayé par le langage. savons ce qui est est, nous qui le sentons ne le comprenons pas, c'est infini » (sc. VI). Rien n'est moins naturel que ce discours vraiment inédit – qui ne justifie pas l'investigation pour le pousser vers l'inaudible, comme l'a fait Patrice Chéreau dans des productions d'une grande richesse sémiotique et plastique, mais où le texte a été écrasé par une diction « sauvage »21 : le le défi El est de faire entendre chaque mot de ce Mot de Cristal.

Cependant, la clarté supplémentaire du génie a ses limites. Nous avons vu qu'ils distinguent peu ou mal le pour-soi et le pour-autrui, ce qui ne veut pas dire qu'ils transmettent des impressions et des émotions sans influence ni supériorité, mais un pour-soi-pour-autrui. La conscience est médiatisée par le sentiment de la présence d'autrui et le désir subséquent de s'amuser. La bergère Silvia, initialement moins ignorante qu'Harlequim (elle a un prétendant et collectionne les intimités des autres bergères), bien qu'encore naïve, en offre un exemple exemplaire. Essayez de vous dire.

disons19. Le langage du vrai monde est « naturel et comme imposé à toutes les âmes », p. 401

20 janvier cit., p. 375

21. ven. Chéreau a eu le grand mérite d'actualiser la pièce, qui depuis n'a cessé de servir de texte expérimental, notamment pour les groupes d'amateurs et les jeunes compagnies. Arlequin, poli par l'amour, non seulement rencontra la même faveur, mais ne trouva pas encore d'interprètes comparables à ceux qui ravirent les premiers spectateurs. Dans la Revue Marivaux, retrouvez la précieuse « Chronique du Théâtre » qui rend compte des créations en France et à l'étranger.

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Coupable de ne rien ressentir pour son amant glacial, elle proteste de sa bienveillance 3 :

J'ai fait de mon mieux pour soupirer aussi, parce que je veux être à l'aise autant que n'importe qui ; s'il y avait un secret, regarde, du coup je te ferais plaisir parce que je suis bon de nature (sc. IV).

Il ne s'agit pas de déterminer si Silvia est vraiment bonne (sa dernière intervention pour apaiser la soif de vengeance d'Arlequin à cet égard), mais plutôt de savoir comment se produit en elle la conscience d'être bonne et ce que cette complaisance implique. Les deux phrases introduites symétriquement par « parce que » se complètent : Sílvia veut aimer, dit-elle, parce que ça la met « à l'aise » (elle sait que les bergères « prennent plaisir » à « soupirer ») et parce qu'elle est bonne de nature. Il est à noter que cette motivation vient en second et semble bien conditionnée par la première : Sílvia est pleinement disposée à faire une bonne action si elle en bénéficie et a un confondant hédonisme amoral, altruisme et intérêt personnel, paré de vertu. Dans le même esprit, quelques lignes plus loin, il explique que l'erreur ne vaut que si « ça fait plaisir » : une casuistique savoureuse où l'ingéniosité retrouve le sens de l'intention ! Mais Silvia se décrit comme meilleure que "bonne": "naturellement bonne". On ne peut que comparer cette prétention au naturel à celle de la fée, qui veut justifier son caprice auprès d'Arlequin : « Y a-t-il quelque chose de plus naturel que d'aimer le bien ? (sc. I) Or c'est le prétexte donné par une grande dame cynique (elle-même), et que Trivelin soulève avec une ironie amère : tomber amoureux d'un niais, violer la parole donnée au magicien Merlin pour elle, la fait attendre qui est bien "pure nature" (corrompue) ! De son côté, Hermiane invoque « la pudeur et la timidité naturelle » des femmes (sc. I) au début de La Dispute pour affirmer qu'elles ne sauraient être responsables de la première infidélité, et qu'au moins nous le saurons plus tard dans la La pudeur et la timidité ne lui donneront pas raison. Comparer le parler naïf à celui des célébrités montre combien la prétention au naturel comme critère d'authenticité et de garantie morale est culturelle et ce qu'elle peut recouvrir d'insouciance et de vanité : pour Marivaux, revendiquer une nature toujours déjà perdue ( dont le péché originel est cette perte initiale) est indicatif de la factualité. On y voit un avertissement à la conscience féminine soupçonnée de jouir du miroir faussement flatteur de la nature qu'offre la société.

Il convient également de s'interroger sur la sincérité de Silvia envers Arlequin : "Ah ! Je ne mens jamais"

Wit au POU Harlequin via Love and Strife 1093

(sc.V); Certes, elle ne sait pas mentir rationnellement, mais il s'avère qu'elle se flatte. De même, il ne faut pas prendre au pied de la lettre : « Ce serait dommage de se tromper car je suis si simple » : la phrase « Je suis si simple » constitue un renoncement (analogue autant qu'implicite au Monde Vrai que je -dénégations). ), car la vraie simplicité ne peut pas se penser 22. En effet, quand il dit : « Je suis bon par nature », « Oh ! Je ne mens jamais », « je suis si simple », pense Silvia pour les autres (le galant méprisé, l'arlequin) dans sa différence avec les autres (les bergères). Et quand il dit à la fée : « Arlequin dit que je suis beau, madame, je ne peux m'empêcher de le sentir ! (XVIIe siècle), le cri du cœur de toute sa bonne foi (là encore signalé par le point d'exclamation) en annonce un autre, un peu plus préparé, celui de Silvia, l'héroïne de A Dupla Inconstância, qui vient de découvrir le commerce et ce jeu de coquettes : « Si elles avaient la moitié de la beauté, il leur serait plus profitable qu'à moi d'être belle » (Acte II, sc. I). « Ici c'est le cœur pur qui me parle [...], son ingéniosité fait tout l'art » (III, I), commente le prince à propos de Silvia ; mais pour Flaminia, « cœur » s'accorde plus avec « vanité » qu'avec « naïveté » : « Elle a du cœur et par conséquent de la vanité » (I, II).

La naïveté est fondamentalement ambiguë parce qu'elle est teintée de vanité. Et nous revenons ici au monde réel, dont la leçon profonde n'est pas différente. Après avoir affirmé que le langage corporel « ne permet pas d'ambiguïtés 21 ; l'âme qui parle n'échange jamais un mot contre un autre » (p. 401), le narrateur est perplexe devant le jeu de Mlle Dinval :

Quant à elle, il est vrai qu'elle m'aimait, ou du moins croyait de bonne foi ; parce que c'était assez ambigu.

M'aimait-il parce qu'il venait de Paris, avait vu la cour et m'avait donné le bon air du grand monde ? Ou était-ce ma personne qu'il aimait ? C'est ce qu'elle avait du mal à décider et ce qu'elle n'aurait pu décider seule (p. 404).

Ce que dit « clairement » le langage du désir - ce désir qui est « l'âme » du corps parce qu'il l'anime -, c'est « l'ambiguïté » de la conscience de soi, qui n'est jamais purement elle-même ni ne se présente, puisqu'elle compose l'un après l'autre (le séducteur voyageur de Paris) sans perdre de vue les autres (société de province où un homme du « grand monde » est conquis.

22. Le glossaire de Silvia sur "Je suis si simple" dans le monde réel ressemblerait à ceci : "Ça ne me dérangerait pas si c'était vraiment moi, mais je le pense" ; mais la prétendue bonne foi est elle-même suspecte, d'où la nécessité d'une nouvelle glose, etc.

23. Nous soulignons (similaire dans la citation suivante).

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serait un titre de gloire). Il n'y a pas de « cœur simple » dans l'univers de Marivaux et « il n'y a pas plus de 'nature pure' que de vrai génie » 24.

C'est précisément de la duplication de la conscience naïve capturée dans sa création dont parle A Disputa, dont les héros, initialement sauvés de toute contamination par la société, doivent revivre "le premier âge du monde", "les premiers amours". (sc. II). P. Pavis et Walter Moser, en particulier 25, ont très bien montré comment l'expérience dite in vivo sur la "nature elle-même" (sc. I) est en fait une manipulation concertée d'instances de pouvoir présentes même dans (précisément formulé) langue. . ) que les quatre (ou six) disciplines étaient enseignées. Cela est très évident dans la scène d'ouverture, où Eglé découvre son reflet dans le ruisseau et « fait partie de l'acte auto-cognitif, subit la rupture de la présence à soi pour prendre aussitôt la pose narcissique »26. Nous voulons juste insister sur le facteur crucial qui a guidé cette découverte : la présence de deux éducatrices noires (Mesrou et Carise), la seule société qu'elles connaissaient, proche d'Eglé, « choisies pour la couleur de leur peau, dont elles sont la couleur de peau ». , de sorte que ses disciples s'étonnaient davantage de voir d'autres hommes" (sc. II) ; et surtout, qu'eux -mais "elle" est le plus approprié- s'étonnaient davantage de se retrouver avec toujours à l'esprit deux visages noirs qui faisaient office de présences paternelles, Eglé vit la sienne avec un éblouissement aussitôt ravi : "Mais elle sait très bien que c'est très beau, ce qui en fait un objet charmant" (sc. III).Le lecteur naïf soucieux de vraisemblance empirique ne peut que s'étonner d'une telle Étonné, Eglé à « dix-huit ou dix-neuf ans » (sc. II) n'a jamais eu l'occasion de se tenir debout sur une surface réfléchissante : c'est une prémisse purement factuelle qui donne à la scène son intensité poétique et symbolique27. elle a grandi dans un monde "noir" et y découvrir

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24. La formule vient de M. Gilot dans son « Introduction » au paysan arrivé (Paris, Garnier Flammarion, 1965, p. 15), qui se réfère (négativement) au titre de Flaubert « Un cœur simple » à propos des serfs du « Monde vrai » (Les Journaux de Marivaux, T.1, p. 716).

25. P. Pavis, cité ci-dessus, chap. CHAÎNE DE MONTAGNES; W. Moser, réf. mentionné ci-dessus

26. W. Moser, art. cit., p. 73

27. Sur la symbolique du miroir dans La Dispute, voir, outre les études de P. Pavis et W. Moser, celles de Pauline Lambert (Réalité et ironie : les jeux de l'illusion dans le théâtre de Marivaux, Fribourg , Éditions universitaires , 1973, p. 84-85) et Jean-Michel Racault ("Narcisse et ses miroirs : système de personnages et figures d'amour dans La Dispute de Marivaux", Revue d'histoire du théâtre, 1981, nº 2 , pages 103 à 115). Le « cours de lecture » de Sylvie Chalaye, La Dispute (Paris : Bertrand-Lacoste, 1992), contient des suggestions utiles.

Wit au POU Harlequin via Love and Strife 1095

« blanc » représente une hypothèse anthropologique qui, soit dit en passant, a du poids et contredit l'expérience : la non-conformité physique d'un enfant avec son environnement est vécue par ceux qui sont plus concernés avec inquiétude et interprétée comme une anomalie, Marivaux utilise un a priori ethnocentrique (blanc à peau fait appel au noir), pour arriver à ses fins : le noir n'est pas un « signe neutre »28 mais le contraste qui fait la différence et crée de la valeur : différencier c'est valoriser et valoriser c'est reconnaître. Bien qu'Eglé ne relie pas explicitement la beauté à la blancheur dans la scène du ruisseau, il ne fait aucun doute que la présence des deux bonnes noires à ses côtés entend matérialiser de façon spectaculaire le choc de la différence par lequel l'identité se constitue et dont l'essence même s'échappe. lui-même dès qu'il s'est reconnu : dès qu'il est tombé amoureux de sa peinture, Eglé spécule sur sa valeur et demande l'hommage des autres : « Ils ont dû bien aimer regarder Mesrou et vous » (ibid.).

Mais par le jeu des différenciations successives, Mesrou et Carise sont bientôt relégués à une sous-humanité négativement caractérisée dont l'apparence ou la présence n'importent plus (sc. VI), au profit de « l'homme » blanc, à la fois semblable et différent.

Eglé : [...] nous sommes égaux en tout.

Azor : Wow, quelle différence [...] Tu es si douce, si délicate. Eglé : Oui, mais je t'assure que c'est très bien que tu ne sois pas comme moi, je ne veux pas que tu sois différent, c'est une autre perfection.

La différence de genre qui évoque le désir d'excellence ne suffit pas à le satisfaire : un autre « autre » s'y ajoute et « l'avantage d'être nouveau venu » (XVe siècle), sans détermination qualificative, agit immédiatement dans une confusion radicale entre différence et qualité. . : "Le camarade est meilleur qu'Azor [...] il va m'aimer, j'espère qu'il a toujours cette qualité" (ibid.). L'insatiable désir du désir condamne la conscience à être constamment hors d'elle-même, à la recherche de sa propre différence, reflétée dans la différence potentiellement infinie des regards en miroir. La vanité naïve, dont l'attitude n'est qu'ébauchée dans Arlequin poli par l'amour, est portée à son assaut narcissique dans La Dispute ; C'est juste que, bien que les deux comédies contiennent essentiellement la même histoire (comment les gens naïfs cessent de l'être quand ils deviennent éduqués), ils ont un thème très différent.

2.8. W. Moser, Art.-No. cit., p. 71. 29. Échap. 4.

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Le titre affectueusement poli, Arlequin, est trompeur, attirant l'attention sur le rôle-titre, tandis que celui de Pastor Sílvia, loin d'être simplement utile, est travaillé avec une grande subtilité. Reste à dire que le sujet est l'éveil amoureux, la confiance en soi et la sociabilité d'un personnage masculin, qui détermine la problématique et la manière de jouer. Pas besoin de miroir pour déséquilibrer la léthargie dans laquelle il languit : comme chez Azor et Mesrin, la sensation de voir l'autre devient consciente et devient sentiment. "Chaque jour, je joue le moment où il peut me sentir et se sentir", dit la fée (sc. I). Alors pourquoi n'est-elle pas celle qui accomplit le miracle de transformer un jeune homme immature en un jeune homme qui « tremble », regarde, exprime le désir et rit (sc. V) ? C'est que les différences ne peuvent apparaître que sur fond de ressemblance et que c'est précisément par le raffinement de son luxe et de sa coquetterie que la fée reste étrangère à l'arlequin ; Les invitations de la séductrice passent inaperçues, perdues dans l'indifférence d'un monde d'ennui où tout s'impose et souffre, tandis que la présence de la bergère est un cadeau, une surprise mutuelle, une approbation instantanée grâce à un jeu doublement naïf (Silvia "fait semblant de se retirer" , ibid.). Dès lors, le processus se déroule dans une pureté de pureté : Après la découverte et la reconnaissance mutuelles, scellées par l'exclusion de l'intrus ("il ne faut aimer personne que nous deux", ibid.), arrive le moment de l'intériorisation , où en cours d'expérimentation, il se voit différent de lui-même et s'identifie à son désir (« Madame, me direz-vous ce que c'est que d'aimer vraiment quelqu'un ? [...] Me voici », sc VII), un mouvement immédiatement suivi d'un nouveau virage réflexif, celui de s'éloigner des autres pour préserver le mystère de soi. Arlequin apprend à faire semblant, il est « indifférent » à nier qu'il est amoureux et s'enfuit lorsque la fée lui demande : « Alors tu ne parles pas de moi ? - Oh! Je ne suis pas idiot, je ne dis pas ce que je pense ! (ibid.). En même temps que l'esprit va jusqu'à Arlequin pour le prouver, la vanité : l'estime de soi encore brute se partage entre deux attitudes sociales, la discrétion et l'autosuffisance, alliées d'un air moqueur à un défi démonstratif. Les scènes dans lesquelles Silvia reçoit des leçons de coquetterie de sa cousine et est incapable de les mettre en pratique, sauf pour jouer, sont essentielles à l'intrigue ; montrer comment la transparence entre les amants est maintenue même dans le "jeu de la coquetterie", où chacun rivalise avec la complicité de l'autre dans la tromperie : Arlequin réagit d'abord avec colère à la froideur feinte de Silvia

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réel, puis faux, auquel Silvia fait semblant de se tromper, qui se dissout dans les rires et les baisers. « Je vois bien que tu m'as attrapé, mais j'en profite aussi » (XIIe siècle), avoue Silvia, en un mot qui révèle toute la profondeur d'un cœur naïf, pour qui la spontanéité et le désir ne sont qu'un prétexte. faire exploser la réciprocité du désir. La fructification de l'amour, partagée dans la plénitude à la fois du sens et de l'ego, supprime toute susceptibilité à l'amour-propre et tous les obstacles à l'ordre intérieur ; ce moment de grâce marque l'aboutissement d'un génie ambigu qui pourtant, « poli » et comme libéré du bonheur de l'amour partagé, devient une exquise « délicatesse de sentiment » (VIIIe siècle) sans rien perdre de sa capacité de débordement. .

La deuxième partie de l'œuvre change l'innocent lors de la lutte que mènent les amants contre l'obstacle extérieur représenté par la fée, représentant la volonté des puissants. Contraints de pratiquer non seulement la dissimulation préventive, mais aussi l'art de tromper, les héros apprennent deux grands vices sociaux, le mensonge et la volonté de puissance. Arlequin, en particulier, déploie d'autant plus visiblement ses talents que sa bêtise initiale ne les annonce guère. Aux reproches de la fée, qui avait surpris sa tendre conversation avec Silvia, elle ne commet plus l'erreur de répondre par "je ne suis pas bête", mais feint d'être "tombée dans sa bêtise" (XIVe siècle), déguisée derrière son ancien moi. Malgré une rechute dans la sincérité lorsque la fée blesse son amour et son estime de soi en prétendant que Silvia ne l'aime pas (« Oh ! pour ce si fait, elle m'aime à la folie », ibid.), elle se rachète rapidement en par un contre-argument qui anticipe les plans de l'ennemi : il s'engage à jurer « par le Styx » qu'il n'espionnera pas l'interview dans laquelle Silvia, la nouvelle Atalide, dit au revoir à son amant. Après le fiasco héroïco-comique de l'adieu exigé par la fée et l'apparition de Trivelin en complice providentiel, Arlequin exécute avec un brio vertigineux le "tour de passe-passe" recommandé : voler à l'adversaire, sous couvert de plaisanterie, la magie la baguette qui est la sienne donne de la force. "Comme indifférente" (sc. XXI) dans le chapitre de Silvia, elle utilise avec éloquence le langage des mots et du corps (flexion douce, regards et gestes caressants) pour captiver la fée, passant imperceptiblement de séduction en séduction dans le jeu et le jeu innocent. au jeu dangereux qui le rend maître de la baguette. Bien entendu, la fin justifie les moyens : Arlequin et Silvia n'ont que la ruse, arme du faible, pour défendre leur amour d'une violence injuste. Mais les moyens nécessaires et suffisants, la neutralisation de la puissance adverse, sont détournés pour conquérir la puissance qui

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c'est encore la fin. Marivaux utilise habilement les conventions du royaume des fées ancrées dans l'imaginaire collectif (le triomphe des amants implique la conquête de la souveraineté) pour souligner l'ivresse qui s'empare de l'arlequin dès qu'il tient sa baguette. . Le mot magique "maître" prononcé par Trivelin (XVIIIe siècle) puis par la fée (XXIe siècle) achève de transformer l'innocent en un arrogant qui abuse grotesquement de sa position de force (il bat les esprits, les danseurs, les chanteurs et les "encore ' ' '). Trivelin lui-même », sc. XXII), et dont les coups de trompette clôturent la comédie : « Je suis le maître » 30, « nous irons nous faire roi quelque part ». magnanimité : « Soyons généreux : la compassion est une belle chose » par Silvia, le fil conducteur d'une belle âme qui se connaît et se valorise ; au moins cette transgression se fait en accédant aux valeurs morales, ce qui n'arrivera pas dans La Querelle.

Il n'y a aucune preuve de fidélité dans Arlequin poli par l'amour ; L'épreuve a lieu avant la rencontre des amants, lorsqu'Arlequin reste insensible aux avances de la fée et que Silvia rejette son premier prétendant : le choix mutuel est ainsi authentifié et la scène de la reconnaissance prend de l'importance. Pourtant, s'il fallait imaginer une suite de l'amour entre Arlequin et Silvia, il ne faudrait pas aller très loin : La Double Inconstance fournirait à peu près le modèle, à tel point que Marivaux signifie simplement le « mariage de la machine ». . Cependant, Arlequin poli par l'amour et La Dispute ont un point commun, outre que l'histoire d'amour commence par l'aveu que le mariage n'interfère finalement pas. Elle se manifeste pourtant dans deux pièces : l'une raconte comment l'amour innocent affronte la violence extérieure, l'autre comment il s'annihile sous l'action d'une dynamique interne constamment sollicitée, mais non directement déterminée par l'institution sociale. la femme responsable de la première infidélité dévoile (au moins) un autre eren beaucoup plus ambitieux : la définition d'un pôle féminin et masculin de la connaissance de soi. qui oppose les deux modes d'action du désir qui créent des rapports de force entre les sexes.

On a vu Eglé piégé insidieusement dans un monde où des miroirs de plus en plus puissants et désirables (les

30. Voir Lesage, Turcarel, III, VII : « M. Rafle : Pouvons-nous parler librement ici ? - Turcareta : Oui, vous pouvez ; Je suis le professeur. Parler. »

Intelligence en arlequin polie par l'amour et les conflits 1099

l'électricité, le miroir lui-même, le portrait, le regard et le désir d'Azor) l'instruisent dans une altérité réduite à la simple apparence, il tombe dans le piège du narcissisme, qui pervertit son rapport à lui-même (égocentrisme du « je m'aimerai », sc . III ) et son rapport à l'autre (coquetterie de « maître en m'admirant », sc. VI). Telle la coquette des Lettres contenant une aventure (1719-1720), elle-même la désire par la volonté des autres31, d'où la préférence absolue qu'elle attribue à leurs représentations (elle préfère son propre portrait à celui d'Azor, sc, vi) puis le relégation du plaisir sensuel de la co-présence au second plan (elle proteste lorsqu'Azor a « bousillé » son image dans le miroir avec un baiser, et décide de rompre avec lui pour devenir plus désirable : « J'aime encore plus ton cœur et votre adoration que votre présence, qui m'est très chère", VIIe siècle). Parallèlement, une hiérarchie des êtres se forme selon le degré de beauté, c'est-à-dire la valeur purement apparente : les blancs valent mieux que les noirs , l'homme est reconnu dès l'origine comme « l'amant » dans la femme (Gazor à Eglé : « J'obéis parce que je suis à toi », sc. IV ; « Je t'adore », sc. VI), et de là dérive un sentiment de domination possessive : « Je me suis approprié un objet que ma main tenait il y a un instant » (sc. V). Eglé est ainsi imbue de sa souveraineté quand Adine, l'autre « femme blanche », lui apparaît au bord du ruisseau tentateur, armée elle aussi d'un miroir et d'un moi hypertrophié. Sa ressemblance n'est ressentie que pour être niée ("Mais je crois qu'elle compare", esc. IX) et assimilée à une déficience, celle de la différence de valeur ("Je ne sais pas ce qu'elle a, elle a quelque chose de mauvais goût" , ibid. ) Ni trop différents ni trop similaires favorisent la reconnaissance : le premier reste étranger (la fée Arlequin) ou discrédité (Carise et Mesrou), le second est ressenti comme une menace pour l'unicité et l'identité de la personne, comme une présence concurrente qu'il faut réduire à tout prix est applicable. Chacune des deux jeunes femmes refuse la loyauté que l'autre exige, et elles ne peuvent manier que l'arme absolue de l'indifférence qui renvoie l'adversaire à l'inexistence : « Je ne parle plus. - Et je ne sais pas que tu es là » (ibid.). Adine ne prétend-il pas que le visage d'Eglé, ni noir ni blanc, est "de couleur indifférente" (XIIe siècle) ? Mais, comme la simplicité mentionnée, l'indifférence marquée ne peut être qu'inauthentique, et Adine expose

31. Voir le passage si souvent cité : "Tu vois, mon fils, quand j'ai quatre amants, j'ai pour moi le même amour qu'ils ont pour moi"..., Revues et Ouvrages Divers, p. 91

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Eglé s'exclame victorieusement : « Mon mérite est ton aversion » (sc. X), le mot opposé et symétrique de sa déclaration : « Je suis [...] l'admiration des trois autres hommes qui habitent le monde » (sc. IX ). : aversion, admiration, deux modes d'existence dans et par la conscience de l'autre, affirmant l'amour-propre dans la certitude de leur précieuse différence.

Le choc des vanités naïves était trop violent pour s'arrêter là ; il faut imposer un déni public au concurrent pour la suprématie, et quoi de mieux que de prendre à son adorateur, « ton Azor, qui m'est égal » (Adine), « imbécile Mesrin » (Eglé, sc. X ). ? C'est ainsi que le mécanisme de l'infidélité se déclenche sans même que l'idée germe dans la tête des gens ; Azor et Mesrin, méprisés comme admirateurs d'un objet indigne, ne sont convoités par Adine que pour déposséder Eglé, par Eglé que pour déposséder Adine. Il ne faut pas longtemps pour une manœuvre destinée à repousser les frasques de son rival et à défaire ses prétentions : Mesrin est averti de l'intrus et chargé de venger la blessure de sa « maîtresse » : « Je veux vraiment que tu tues ton méprisé, si tu peux. trouve-la, je veux qu'elle te fasse peur » (sc. xii). Sûre de son influence, Adine Mesrin s'affranchit au préalable de la luxure, mettant ainsi au jour la fragilité constitutive de la position féminine : élevée par l'homme au statut d'idole, la femme ne gouverne que par lui et se trouve à sa merci. opinion, risquant de décliner à tout moment. En ce qui concerne les reines esclaves, Azor et Mesrin sont les véritables maîtres, à la fois médiateurs et arbitres. L'homme est en réalité un intermédiaire entre la femme et elle-même, car le reflet de son regard atteste de sa valeur et fait office de médiateur entre elle et son entourage, la rendant totalement dépendante du suffrage masculin et la condamnant à n'entretenir qu'une relation aliénée avec elle-même, une relation hostile. relation avec leurs pairs. Les deux garçons, en revanche, sont indifférents à leur image (Azor : "Ce n'est que moi je pense", siècle VII) et, sans aucune prétention de souveraineté, sont disponibles pour une reconnaissance immédiate de leur similitude, ce qui réconforte dans son identité et débouche sur une cordialité parfaitement satisfaisante : « Mets ta main dans la mienne, il faut s'aimer ». - Oui-da, tu me rends heureux » (XIIIe siècle). La supériorité de la différence féminine acceptée par les deux sexes (Mesrin et Azor : « Tu n'es rien, je ne suis pas comme l'un des miens non plus, je sais », ibid.) assure paradoxalement l'autonomie des gouvernés consentants et la soumission de la domina. , prisonniers du culte dévoués et incapables d'une délivrance gratuite faisant appel à la liberté de l'autre.

Arlequin Polished Wit par Love and Strife 1101

Quant à la rivalité des seigneurs pour la possession des femmes, elle n'est esquissée que par le désir d'Eglé de Mesrin, auquel répond le geste de confiscation d'Azor (XIVe siècle). Marivaux s'intéresse plus à la naissance de mensonges chez les naïfs sous forme de justifications peu solides qu'Eglé et Mesrin prétendent laisser seuls, Azor, pour les éviter. La survenance de l'infidélité chez Eglé n'est pas sans problème : le dédoublement narcissique conduit à la duplicité et à un dédoublement de la conscience dans la « honte » de découvrir l'infidélité à l'autre et, pire encore, l'infidélité à soi-même : « C'est parce que je fais toujours semblant aime Azor, et j'ai peur de le perdre » (sc. xv). un amour-propre, entre l'humiliation d'avoir mal compris son désir et la perspective sereine de quelque chose de nouveau divisé est la conquête. Invité à consulter son « bon cœur » sur le sujet ("Vous sentirez qu'il condamne votre inconstance", dit Carise), Eglé elle ne comprend pas le sens lexicalisé de l'expression ("conscience morale"), qu'elle interprète littéralement comme une approbation donnée à tous ses sentiments, même si c'est contraire : "Mon bon cœur condamne, mon bon cœur approuve, dit oui, dit non, c'est encourageant, il n'y en a pas, alors vous n'avez qu'à décider pour eux ce qui est le plus confortable." La voix du (bon) cœur est, en définitive ce qui compte : nous sommes très loin de "la conscience, l'instinct divin, voix immortelle et céleste" que Rousseau célébrera. Rien dans les scènes du XVIe et du XVIIe, où Eglé opte consciemment pour l'impermanence renforcée par un esprit de vengeance, ne parle d'un éveil à la morale, ni même à la « piété naturelle », dont la seule vertu innée est le discours sur les origines de l'égalité. : aucun désir de « pitié » qui est sur le point de trahir ; les notions d'action bonne et mauvaise ne sont pas précisées, et le vocabulaire moral est redirigé vers son usage pour l'amour de soi (« bon cœur », mais aussi « mérite » et « qualités » dans la scène XVI). Jamais l'orgueil blessé ne fut plus ignorant du remords, ni l'intelligence plus éloignée de l'innocence.

"En colère" contre elle-même, Eglé n'en est pas moins en colère contre Azor, qui l'a privée de la compagnie de Mesrin "sans consulter [son] désir" (XVe siècle), et depuis elle ressent le caractère artificiel de son domaine ("Ainsi, je ne suis pas mon amant », ibid.), tout en annonçant son inépuisable soif de plaisir, forme dégradée de la volonté de puissance : « Au lieu d'un camarade, j'en avais cent, je

32. J. M. Racault, art. cit., p. 113.

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Je veux que tout le monde m'aime, c'est un plaisir » (ibid.). Il ne rate donc pas l'occasion lorsque Mesrin réapparaît de retrouver son pouvoir et même de l'étendre aux trois "blancs" de son univers. En sécurisant "l'ami d'Adine" (XVIe siècle), il espère lui porter un triple coup, car il gouvernera simultanément Adine, privée de son homme de main et donc réduite à rien, et Azor, privé de lui-même et condamné. repentez-vous ("Ma beauté le mérite", ibid.). Sa déception est encore plus amère lorsqu'il découvre qu'Azor accepte avec joie une infidélité qui lui donne droit à la sienne : "Je m'en fous de toi non plus" (XVIIe siècle). Mais le "no more" est de trop, comme les deux garçons pratiquent l'échange sans arrière-pensées, les deux filles ne peuvent se contenter de voir un de leurs admirateurs s'enfuir à un carrefour, ce qui pour elles est un coup cruel pour rien. vanité. Eglé fait alors une confession qui pourrait être la devise de tous les flirts de Marivaud : « Je ne veux rien manquer » (XVIIIe siècle). Le thème est significatif car il donne la clé du désir féminin et laisse présager une incompatibilité fondamentale avec le désir masculin incarné par Azor et Mesrin, qui n'autorise que de brèves rencontres dues à des malentendus : en amour, la primauté de la femme est le désir de reconnaissance, la ce qui les conduit à assurer constamment une augmentation de l'être par l'accumulation des désirs masculins, chez l'homme le désir de plaisir concret, qui entraîne le renouvellement des partenaires ; La série de passages de l'homme inconstant correspond au cercle qui cerne idéalement la frigidité narcissique de la coquette.

Hermiane interrompt le jeu en s'en prenant violemment aux seules filles (XXe et siècle dernier), attitude dérivée de l'intolérance envers l'autre -quelque chose de semblable est attribué aux femmes- ; et apparemment peu convaincue par l'apparition inattendue d'un couple fidèle (Dina et Meslis), elle conclut par un amer "Croyez-moi, nous n'avons pas de place pour les blagues", indiquant que la comédie ne l'est pas. Pourtant, la leçon du comportement de Dina et Meslis, qui ont immédiatement refusé la proposition de changer de partenaire, n'est pas négligeable : elle laisse penser que, lorsqu'il s'agit de sentiments, tout est affaire de circonstances et de réaction à l'environnement. . Les amants "fidèles" sont soumis à une autre épreuve et manipulation que les quatre "inconstants": présentés ensemble à un rendez-vous. nombreux et agités, où ils ne font pas la distinction entre homme et femme, ils sont subitement et publiquement invités à se faire un autre « ami », ils sont rejetés, effrayés et solidaires les uns des autres. Transplanté à la cour en tant qu'Arlequin dans le palais des fées, en tant que Silvia et Arlequin dans les premières scènes de La Doble

Wit in Arlequin poli par l'amour et le combat 1103

Impermanence, ils restent insensibles aux tentations d'un monde extraterrestre. La fidélité et l'infidélité ne sont pas des attitudes naturelles, mais des attitudes sociales qui dépendent beaucoup du degré et du type d'acculturation : l'affirmation faite au début de la pièce de questionner « la nature elle-même », l'essence de l'être humain, est une chimère. tu es culture Quant aux principaux responsables de l'infidélité, le bref échange qui clôt l'ouvrage est très révélateur. Au prince, qui envoie les deux sexes l'un contre l'autre, Hermione répond, un peu hypocritement, qu'il faut faire une "différence" car l'homme va "pour". pour rien, sans même chercher d'excuse", avec cet aveu ironique : "je reconnais, le comportement [de votre sexe] est au moins plus hypocrite et donc plus décent, il est plus à la mode avec leur conscience qu'avec la nôtre". En fait, la « différence » est moins une question d'antiquité que de « conscience » (au sens phénoménologique et non au sens moral du terme : l'usage du prince est ambigu) : l'infidélité masculine vient de la réflexion, l'infidélité féminine, l'infidélité de la réflexion, vient de plus loin et prend des chemins beaucoup plus inclinés. l'impermanence alignée sur l'intrigue de The Dispute contrairement à Arlequin, qui est poli par l'amour et l'amour sincère d'un rôle masculin opposé par un obstacle externe, complètement intériorisé .

Il en résulte dans La Dispute un déséquilibre très accentué dans le traitement des personnages féminins et masculins, le premier monopolisant l'intérêt du dramaturge et moraliste au détriment du second, dont le comportement est sommairement marqué (d'où la rébellion de Mesrin contre l'autorité). dans la Scène XVI : « Messieurs, qu'est-ce qu'un professeur ? »). A noter également la rigidité des rôles de genre, qui fait du narcissisme un attribut exclusif des femmes et de l'hétérosexualité plus stricte la norme, et la vision pour le moins mystifiée du féminin. vouloir plaire et forger son propre asservissement au désir masculin33. Les femmes jouent de beaux rôles sur le plan dramatique, mais n'est-ce pas un don empoisonné ? rejet

33. W. Moser définit l'arrangement conçu par le prince dans La Dispute comme une « machine à savoir-pouvoir phallocratique » (Art. cit., p. 77) et reconnaît les propres préjugés de l'auteur par rapport aux « différents comportements sexuels » (p. 76, note 26). Ce n'est pas sans raison que Sylvie Chalaye dans La Dispute (loc. cit., pp. 65 et 75) juge le regard sur les femmes et l'amour comme « sexiste » et « cynique ». Reste à savoir quelle part d'auto-analyse et d'autocensure le sexisme de Marivaux cache ici,

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pulsions sexuelles ambivalentes catégoriques ("J'aime te voir sans charmes", explique Azor à Mesrin, XIIIe siècle) n'a rien d'étonnant compte tenu des bonnes mœurs en vigueur au théâtre à l'époque. La réduction drastique de la féminité à la coquetterie et, surtout, le rapport qui s'établit entre féminité et pouvoir sont d'autant plus fascinants qu'il n'a pas échappé à Marivaux, brillant dialecticien, que ce rapport peut être imaginé de manière très différente : au lieu Trouver une base ontologique dans la conscience de la femme narcissique, le pouvoir masculin apparaît comme la source de l'histoire sociale. Il s'agit de la thèse développée, reflétant les idées de Mme. de Lambert 34 en cinquième page du Cabinet du philosophe, à travers une magnifique prosopopée qui fait entendre la voix des femmes :

Si notre coquetterie est un défaut, tyrans que vous êtes [...] qui faut-il blâmer sinon le peuple ?

Nous avez-vous légué d'autres ressources que la tâche pathétique de vous plaire ?

[...]

Nous n'avons pas plus de chance que de trouver grâce devant leurs yeux. [...] Nous venons tout simplement de rien, nous ne pouvons pas vous respecter, faire figure, être autre chose que nous insulter, substituer des qualités au travail humiliant et parfois des vices. , vertus que nous avons dont vous ne faites rien et dont vous êtes captif 35.

Faut-il comprendre qu'en 1744 Marivaux répudie (sans apparemment adopter) le point de vue exprimé dix ans plus tôt dans Le Cabinet du philosophe ? Dans la fiction La Dispute, son approche est sans doute plus secrète. La définition consciente des deux sexes et même le débat sur l'impermanence apparaissent comme des écrans destinés à cacher la fascination personnelle de l'auteur pour la coquetterie, non pas un défaut féminin, mais une tentation permanente de soi envers les autres, ou plutôt une attitude consciencieuse. la femme pour mieux disculper l'homme est un moyen de le tenir à distance et de l'exorciser par l'analyse

34. Voir l'apparat critique qui accompagne la section « Des femmes mariées » du Cabinet du philosophe dans l'édition Deloffre-Gilot, notamment la note 139 p. 653, ainsi que M. Gilot, Les Journaux de Marivaux, t.1, p. 651-658. Sur la situation des femmes au théâtre de Marivaux (notamment à La Colonie), par exemple, les explications convergentes de Valentini Papadopoulou Brady (Amour au théâtre de Marivaux, Genève, Droz, 1970) et H. Coulet ("Le pouvoir politique dans l'œuvre des comédies de Marivaux », Información Literaria, 1983, nº 5, pp. 190-195).

35. Art. 377-378.

36. De nombreux exégètes ont souligné la portée universelle de l'analyse marivauxienne de la coquetterie ; comme M. Gilot, pour qui la coquetterie est une « figure d'homme » (Les Journaux de Marivaux, T.1, p. 208), ou Mario Matucci, pour qui la coquetterie est une « irrésistible source d'être » (« Von de la vanité à coquetterie", Marivaux d'hier, Marivaux d'aujourd'hui, p. 69).

Wit au POU Harlequin via Love and Strife 1105

justifier; mais c'est aussi une excuse pour s'y admirer incognito. L'écrivain qui, dans Lettres sur les habitats de Paris (1717-1718), comparait la vulnérabilité de « l'orgueil d'auteur » à la vanité d'une « belle femme » 37 savait mieux que personne qu'il subissait le calvaire du regard réfléchi - ce thème obsédé par son travail; mais le génie (relatif) de la confession contenue dans une écriture juvénile ne correspondait plus à la respectabilité que l'âge et l'académie lui confèrent.

CÉCILE CAVILLAG*.

37. Périodiques et ouvrages divers, p. 37. Ce passage est justement commenté par Raymond Joly dans son article : « La haine du philosophe. Notes pour une lecture psychanalytique du triomphe de l'amour », in Vérités à la Marivaux, p. 59. G. P. Bennington, in « Les Machines de l'opéra : le jeu du signe dans Le Spectateur français de Marivaux » (French Studies, vol. . . . . . . . . . . 2, avril 1982) précise que dans le célèbre épisode de Flirting in the Mirror (première page du Spectateur), Marivaux condamne le flirt "tout en rejetant ce qui pourrait être le flirt dans son écriture elle-même et l'écriture en général » (p. 155). Catherine Gallouët-Schutter, pour sa part, écrit dans une remarquable étude : « Quand on parle des autres, et en particulier des femmes, on ne parle que de soi : narcissisme ultime du texte de la l'autre, qui devient autotexte » (« Aux marges du texte : Die Frau in Le Spectateur français de Marivaux », Revue Marivaux, 1994, nº 4, p. 15).

* Universität Michel de Montaigne, Burdeos m, U.F.R. de Lettres, 33405 Talence Cedex.

Nœuds linguistiques dans les lettres d'un Péruvien

Les Lettres d'un Péruvien, de Françoise de Grafigny, connurent un grand succès en leur temps : entre 1747 et 1836 il n'y eut pas moins de cent quarante-sept éditions, traductions et adaptations 1 ; Montesquieu, pour ne citer que lui, compare le succès de ce roman auprès des lecteurs européens à celui de Pamela 2. On appréciait sa beauté, son esprit, sa débrouillardise ; Il était infiniment agréable à lire et son succès a apporté une immense renommée à l'auteur - l'anglais Showalter Jr. il va jusqu'à dire qu'elle était « l'une des plus grandes savantes de l'Europe »3 en son temps – renommée si grande que l'abbé Laporte semble presque déplacé : « Heureuse la femme qui a assez d'intelligence pour surmonter les préjugés de son sexe ! (...) Madame de Grafigny ne se contente pas d'égaler les plus grands hommes en talents d'esprit, elle veut aussi les surpasser en qualités de cœur, leur enseignant dans ses écrits des leçons de fermeté et de courage » 4 .

1. Le recensement présenté par G. Nicoletti dans son édition critique des Lettres d'une Péruvienne, Bari, Adriatica, 1967 a été récemment révisé et complété par D.Smith, « The Popularity of the Lettres d'une Péruvienne by Mme de Grafigny. Preuve bibliographique », Fiction du XVIIIe siècle, III, 1990, p. 1-20

2. Voir Pensées, #2033, dans Pensées. Le Spicilège, Paris, Laffont "Livres", 1991, p. 624 ; De son côté, Goldoni, dans ses mémoires de 1787 et dans l'"Avis au lecteur" de sa propre Peruana, qualifie le roman de Mme de Grafigny de "le plus beau petit roman du monde", cité par G. Herry, "De du court roman à la comédie en vers : La Peruana de Goldoni » in Virgen del Sol/Hija de las Luces, Strasbourg, Travaux du Groupe d'étude du XVIIIe siècle, vol. 5, 1989, pp. 145-173.

3. Madame de Graffigny et Rousseau, entre los dos Discours, Oxford, The Voltaire Foundation, 1978, p. ces six.

4. Observations sur la littérature moderne, La Haye, 1752, p. 54 et 85. Quelques années plus tard, en 1758, peu avant la mort de Madame de Grafigny, Rousseau en parle de la même manière ; est une note de la lettre à d'Alembert où Rousseau fait allusion à la comédie Cénie jouée par Madame de Grafigny en 1750 : "Ce n'est pas pour rien que je cite Cénie ici, bien que cette œuvre délicieuse soit l'œuvre

RHLF, 1996, no. 6, p. 1106-1127.

Noeud de langue dans les lettres d'un péruvien 1107

L'auteure, qu'elle appelait affectueusement "La Grosse", était reconnue par ses contemporains comme une concurrente dans la compétition entre les sexes, et aujourd'hui encore l'auteure des Cartas de uma Peruana apporte une contribution fructueuse aux discours féministes inspirants, ce qui débouche sur des critiques ou déclarations à visée plus politique, elle préfère l'orthographe de son nom avec un double f) en tant que première écrivaine européenne. Il est vrai que Madame de Grafigny a pleinement justifié ces orientations, que la première édition de son roman, publiée en 1747, avait enrichies de fragments critiques, voire polémiques, sur la situation et la formation des femmes dans une société dominée par les hommes, fragments que la la version finale de 1752 donne son caractère spécifique 6.

Aussi légitimes soient-elles, ces lectures ont l'inconvénient de focaliser l'attention exclusivement sur un seul aspect du roman, qui soulève pourtant des questions bien plus nombreuses et variées que l'unique question, certes importante, de la place des femmes dans le monde. . du feuilleton. XVIIIe siècle On tentera d'aborder ces différentes questions, qui relèvent principalement de l'anthropologie, de la linguistique et de la poétique.

d'une femme; parce que je cherche la vérité de bonne foi, je ne sais pas cacher ce qui va à l'encontre de mes sentiments ; et ce n'est pas aux femmes, mais aux femmes, que je refuse les talents des hommes. D'autant plus que j'honore particulièrement ceux de l'auteur de Cenie qui, après avoir eu à se plaindre de ses discours, lui rendent un hommage pur et désintéressé, comme tous les hymnes de louange qui sortent de ma plume », Œuvre complète, Paris, Gallimard , « Bibliothèque des Pléiades », t. V, 1995, p. 44

5. Voir PSV Dewey, Mesdames de Tencin et de Graffigny. Deux romanciers oubliés de l'école des cœurs tendres. thèse de doctorat à l'Université de Houston, 1976, UMI, 1991 ; NK Miller, « Le nœud, la lettre et le livre : les lettres péruviennes de Graffigny » Sous réserve de modifications. Feminist Writing Reading, New York, Columbia University Press, 1988, p. 125-161 ; JV Douthwaite, "Voix de femmes et stratégies critiques. Montesquieu, Mme de Grafigny et Mme de Charrière" in Feminism, French Literature Series, XVI, 1989, p. 64-77 gravé avec nouveauté dans Exotic Women. Literary Heroines and Cultural Strategies at France's Old Regime, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1992, lighting pp.", Romance Quarterly, XXXVIII, 1991, p. 261-272 ; P. Placella Sommella, Dimore di donne, Fasano, Schene, 1993, p. 43-54 ; Introduction par J : De Jean et N.K. Miller dans son édition de Letters from a Peruvian, New York, PMLA "MLA Texts and Translations", 1993.

6. Sur cette amplification du message féminin, voir J. von Stackelberg, « La critique de la société civilisée du point de vue d'un bon sauvage : Mme de Grafigny et ses Lettres d'une Péruvienne » in R : Bader et D. Fricke (dir.), L'auteur français, Du Moyen Âge à nos jours, Wiesbaden, Athenaion, 1979, p. 131-145.

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non seulement pour élargir la lecture des lettres d'une femme péruvienne, mais surtout pour souligner l'énergie poétique et l'engagement culturel qui caractérisent le langage de la romancière, y compris ses manifestations ouvertement féministes.

Le Journal de Trévoux, dans son édition de février 1752, publie un compte rendu d'un ouvrage publié en Italie en 1750, c'est-à-dire entre la première et la seconde version des Lettres d'un Péruvien, dont le titre en français est : Apologie des Lettres péruviennes concernant la Quipos. L'auteur (il n'est autre que le célèbre et capricieux érudit Raimondi di Sangro, prince de Sansevero 7) entend, à travers des travaux académiques, engager un dialogue qui aurait été entretenu avec une duchesse érudite de son entourage. L'objet de la dispute est le quipu, célèbre forme de communication « écrite » propre à la culture inca et honorée par Mme de Grafigny dans son roman. Au passage, rappelons que l'héroïne, qui est en même temps l'auteur des lettres, communique avec l'amant dont elle se sépare en nouant ces fameux khipus. L'introduction historique placée au début du roman dit que « les quipu sont arrivés [les Incas] à l'endroit de notre écriture. Des cordes de coton ou de catgut, auxquelles étaient attachées d'autres cordes de couleurs différentes, leur rappelaient par des nœuds placés à intervalles les choses dont ils voulaient se souvenir. Ils servaient d'annales, de codes, de rituels, de cérémonies, etc. (...) Les finances, les comptes, les impôts, toutes les transactions, toutes les combinaisons étaient traitées avec les khipus aussi simplement qu'elles l'auraient été avec l'usage de l'écriture. 8.

Le seigneur de Sansevero était tellement fasciné par le quipu qu'il s'est engagé à récupérer tout le code inscrit dans ce système de matérialisation des énoncés pratiqué par les Incas, démontrant ainsi l'efficacité et la richesse de ce mode d'expression particulier. Selon le Journal de Trévoux, « L'auteur fait une sorte de dictionnaire de tous les mots qu'il a réussi à extraire de la langue péruvienne ; il les place sur des tables sur les quipu sculptés et coloriés qu'ils représentent ; donne à la fin de votre livre un

7. Le titre original de l'ouvrage se présente comme tendre : Lettre d'excuses de l'armée, Académico de Crusca, avec la défense du livre Lettere d'una Peruana, par respect pour l'hypothèse de Quipu, écrite à la duchesse de S. . . , Naples, 1750.

8. Lettres portugaises, Lettres d'un Péruvien et autres romans de Lettres, Paris, Gambier-Flammarion, 1983, p. 255. Les pages de l'édition sont indiquées ci-dessous entre parenthèses après les citations.

Noeud de langue dans les lettres d'un péruvien 1109

une sorte d'alphabet pour se familiariser avec l'utilisation de quipu ; et il avoue qu'il s'était tellement habitué à ces petits cordons et nœuds qu'il pouvait se passer d'écriture, d'encre et de papier. Grasigny nous raconte, entre autres, comment une Péruvienne apprend à parler et à écrire en français, son lecteur italien. Je me suis amusé à aller dans l'autre sens et à essayer d'analyser puis de maîtriser le système de communication inca, qui était certes nommé dans Romain 10 mais n'était en aucun cas précisé.

Le savant italien (dont Lalande disait qu'il aurait pu servir à lui seul toute une académie) fabrique très sérieusement une démonstration toute imaginative, avec l'intention principale de contredire son interlocuteur, qui accusait Mme. de Grafigny de violer le principe de véracité, en attribuant le discernement aux équipes, le discernement affecte11. Cependant, on peut facilement en déduire que la revendication de l'Italien renvoyait, consciemment ou inconsciemment, à des enjeux bien différents de la simple défense d'un romancier. Car attribuer aux Incas la capacité d'exprimer des expressions de toutes sortes (comptables et affectives, administratives et intimes, législatives et morales) de manière transférable et durable, c'était bien plus que postuler la probabilité d'une idylle : il faudrait par une démonstration supposée irréfutable confirment la maturité et la richesse d'une civilisation décimée par la conquête espagnole des années 1530.

Sansevero se rangea ainsi du côté de Garcilaso de La Vega, dont les Commentaires royaux, publiés en 1609, puis traduits et publiés en France sous le titre Histoire des Incas, restent pour beaucoup, dont Madame de Grafigny, la principale source d'information sur l'Empire inca représenté. et l'histoire de la conquête. Garcilaso, dont les origines étaient très emblématiques.

emblème9 de Trévoux, février 1752, p. 294-2

10. On peut renvoyer ici aux observations pertinentes de J.-P. Point Schneider sur le sujet ; Des noms propres des protagonistes du roman, qui invitent à parcourir l'alphabet de A à Z ("Les lettres d'un Péruvien : roman ouvert ou fermé", Virgen del Sol / Hija de las Luces, op. cit., p .11) ; On peut ajouter que l'œuvre de Sansevero serait ainsi le complément indispensable du roman, qui contiendrait la splendeur du quipus représenté dans Aza et Zilia, l'Alpha et l'Oméga, le Commencement et la Fin.

11. Les invraisemblances liées non seulement au quipus, mais plus généralement au caractère de Zilia et à son rapport au monde, ont été notamment pointées par P. S. V. Dewey (op. cit., pp. 179-204) et par S Roth, « Zilia : Volonté d'être ou de savoir ? », Vierge du Soleil / Fille des Lumières, op.cit., p. 77-92. La critique assez sévère de H. Coulet à l'égard du roman repose en revanche sur le contenu des commentaires de Zilia, devenus imprécis et vagues en raison du langage « descriptif et approximatif » que la romancière donne à son personnage, Le Roman à front. de la révolution. , Paris, A. Colin, 1967, p. 382-384.

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Né du mariage d'un conquérant espagnol avec une princesse inca, il rapporta la brillante histoire des Incas, selon les récits de ses ancêtres maternels, eux-mêmes enfants du soleil. il a donné une première forme écrite aux annales, qui n'ont certainement pas été consignées seulement dans le quipu ; ceux-ci, comme Garcilaso l'admet lui-même, ne représentaient qu'un écran, un support de mémoire, où étaient gravés des chiffres et des dates ; ils ont dû être interprétés pour que l'histoire soit découverte et transmise sous forme de récit. Pour cette raison, Voltaire recommandait la plus grande prudence dans la lecture de Garcilaso : le chroniqueur ne disposait pas de sources fiables car, selon l'auteur de l'essai costumbrista, « aucun peuple en Amérique n'avait connu l'art d'écrire ; Comme les anciens peuples tartares à cette époque, les Sud-Africains, nos ancêtres celtes, les peuples du nord, aucune de ces nations n'avait quoi que ce soit pour remplacer l'histoire. Les Péruviens transmettaient à la postérité les faits les plus importants par des nœuds qu'ils nouaient avec des cordes ; mais en général les lois fondamentales, l'essentiel de la religion, les grandes actions, séparées des détails, sont fidèlement transmises de bouche en bouche. Par conséquent, les quipus n'étaient pas vus par Voltaire comme un moyen de communication permettant d'enregistrer et de transmettre des énoncés complexes, abstraits ou affectifs. En tout cas, de ce point de vue, ils ne pouvaient occulter l'histoire de la nation, qui ne pouvait être transmise qu'oralement et restituée chaque fois qu'elle était écrite. après lui, par Madame de Grafigny puis par Marmontel : ce sont donc des récits dont les conditions de prononciation correspondent à celles applicables à l'écriture des romans.

Le livre fondateur de Garcilaso a même été décrit comme une "romance dénuée de sens" par Cornelius de Pauw dans les Recherches philosophiques concernant les Américains en 1773. ), de Pauw a confirmé que l'image flatteuse de la civilisation inca était l'œuvre de la vanité espagnole, qui s'efforçait d'augmenter l'importance de ses conquêtes ; elle résultait aussi des descriptions partielles, voire imaginaires, de Garcilaso. En ce sens, la question du quipus revêt une importance particulière, car démontrer la présence ou l'absence d'un code écrit élaboré équivaut à lui attribuer ou à nier la notion même de ce qu'il est.

12. Voltaire, Essai de morale, Paris : Garnier, 1963, p. II, p. 355.

Noeud de langue dans les lettres d'un 1111 péruvien

Mirabeau décrira bientôt la civilisation comme l'idée d'un "peuple encadré" qui ne saurait contenir ni sens moral ni raisonnement cohérent, et peu importe comment on enchaîne les nœuds et les couleurs de ces ficelles, ils ne pouvaient qu'être habitués au calcul et mémoire. d'un simple événement de renouvellement(...). Garcilaso convient également que si les quipu n'étaient pas interprétés et soutenus par la tradition verbale des Cayamos, ils devenaient muets et inutiles. 14. Concernant le quipu, l'érudition moderne rejoint Cornelius de Pauw 15 ; Nous savons maintenant que la combinaison de cordons et de nœuds colorés ne permettait que le stockage de données cryptées, mais cela ne signifie pas que la civilisation inca devrait être disqualifiée pour cela. Ce sont les critères d'évaluation qu'il convient d'utiliser. Vérification, et particulièrement celle qui pose un lien nécessaire entre code écrit et civilisation.

Or, du temps de madame de Grafigny, ce rapprochement semblait accepté de tous. De plus, il est intéressant de noter que de Pauw n'attaque pas l'écrivain péruvien mais son lecteur italien Sansevero, alors que la perspicacité de base du romancier était exactement ce que de Pauw essayait de combattre. En créant un personnage qui exprime l'intimité la plus intime de son cœur à travers les khipus, Madame de Grafigny a donné au peuple inca un équivalent complet de l'écriture occidentale, une diction élaborée, signe évident et tangible d'un haut degré de civilisation chez les hommes. pour l'utiliser régulièrement. Bien que les quipu aient été présentés par la romancière d'une manière emphatique qui ne correspondait pas à sa propre réalité, ils consacraient l'idée principale du roman, à savoir, comme dans les lettres persanes revendiquées par Madame de Grafigny à la première page du texte, la rencontre et le dialogue entre deux civilisations

13. L'usage anachronique du terme de civilisation par Madame de Grafigny (mais plus par Pauw) soulève des questions qui ne peuvent être discutées dans le cadre de ce texte ; pour une distinction précise entre civilisation, courtoisie et courtoisie, voir J. Starobinski, « Le mot civilisation », Le Remède dans le mal, Paris, Gallimard, 1989, p. 11-59.

14. C. de Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, Paris, J.-M. Lugar, 1990, t. Euh, S. 124-125.

15. Voir M et R Asher, Quipu Code. A Study of Media, Mathematics and Culture, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1981. Le rapport des auteurs sur cet article montre que de Pauw avait raison de limiter la conquête de Quippus à l'enregistrement de données numériques ; mais l'extrême complexité du système et sa rigueur logique conduisent à des conclusions opposées à celles de de Pauw, à savoir qu'un tel système ne peut être inventé et pratiqué que dans une civilisation avancée.

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différent. L'étranger devait donc être reconnu comme civilisé. Sa nationalité péruvienne pourrait a priori orienter le jugement du lecteur dans cette direction 16 ; Les équipes ont terminé la démo.

Ils ont si bien fait cette démonstration, en effet, que le chevalier de Jaucourt, dans un élan un peu bizarre, a dû faire reposer la définition de son article d'encyclopédie « quipos » sur l'autorité d'un expert nommé Zilia : « Au milieu de mon agitation, je Je ne sais pas pourquoi j'ai gardé mon équipement. Je les ai, mon cher Aza, aujourd'hui ils sont le seul trésor de mon cœur, car ils serviront d'interprètes à la fois à ton amour et au mien. Les mêmes nœuds qui t'apprendront mon existence, changeant de forme entre tes mains, m'informeront de ton destin (...) Ces nœuds, touchant mes sens, semblent donner plus d'existence à mes discours. Le genre de ressemblance que j'imagine à la lettre me donne une illusion qui dément ma douleur (...) Je me suis empressé de rembourrer mes quipus et de bien les nouer pour que mes sentiments durent éternellement (...)". , n'est autre que l'héroïne des Lettres d'un Péruvien.La citation d'un roman du Dictionnaire universel des sciences, des arts et des métiers attire l'attention, d'une part, elle confirme le succès de l'œuvre de Madame de Grafigny au milieu du XVIIIe siècle ( Zilia est cité sans que Jaucourt n'éprouve le besoin de donner le titre du roman ou le nom de son auteur), mais en revanche il suffirait à lui seul à expliquer la réaction violente de de Pauw pour motiver

16. Dans son ouvrage // Mythe du Pérou, (Milan, F. Angeli, 1988) A. Gerbi montre comment il s'est structuré, d'Erasme à Spinoza, en passant par Montaigne (auquel Mme de Grafigny se réfère expressément ailleurs), Bacon et Grotius, l'image du Péruvien, modèle du bon sauvage, parce que civilisé, contrairement aux barbares incultes. Au siècle des Lumières, la figure de l'Inca, dépeinte comme scandaleuse, et le récit de la conquête du Pérou servaient de moquerie à toute société réveillée par le « fanatisme ». Le roman de Madame de Grafigny, très voltairien en ce sens (comme Marmontel le sera plus tard dans Les Incas), s'inscrit évidemment dans cette perspective. Dans son « Prologue » aux Lettres édifiantes et curieuses des Missions d'Amérique du Sud (Paris, Utz, 1992), C. Reichler rappelle que chez les jésuites du XVIIIe siècle, les jésuites ne doutaient pas que les sauvages soient des hommes. (...) ils divisent les barbares en trois classes selon leur degré d'aliénation des principes de la raison. Les Chinois et les Japonais qui savent lire et écrire et qui ont des règles juridiques appartiennent à la première classe ; Mexicains et Péruviens (c'est-à-dire Aztèques et Incas) font partie (...) de la seconde, qui rassemble des peuples dotés d'une structure de pouvoir et d'une organisation religieuse, mais sans système documenté de savoir ou de littérature ; au bas de l'échelle se trouvent les sauvages, proches des animaux dans leur mode de vie, dans leur nudité, dans leur sexualité brutale, en l'absence d'organisation sociale et de tout processus de représentation », pp. 7-8. Il est clair que l'attribution à Mrs. de Grafigny impliquait une évaluation très positive de la civilisation inca.

Noeud de langue dans les lettres d'un 1113 péruvien

destiné à éclaircir l'ombre du romantisme qu'il sentait planer sur certains discours supposés historiques.

Pourtant, une lecture attentive de cette longue citation tirée des lettres d'un Péruvien (nous n'en reproduisons que des extraits ci-dessus) peut être tentante pour expliquer, sinon justifier, l'opération suspecte de Jaucourt. Certes, entre soupirs et tristesse ! de Zilia il y a trace d'une réflexion claire sur le quipu comme moyen d'expression et de communication. Les énoncés de Zilia désignent au moins deux objets très différents : les sentiments du locuteur, c'est-à-dire le contenu des énoncés, et le support de communication, le quipus. Langage et métalangage sont liés dans un même discours ; l'ampleur du premier montrait bien l'inconvenance du choix de Jaucourt, mais le second l'excusait tant bien que mal, voire le justifiait 17 , comme pouvait expliquer l'élaboration par l'illustre Sansevero en Italie d'un « exercice académique » en Sciences Appliquées. linguistique. Mais on peut aussi dire, en inversant l'argument, que le contenu du roman est, à vrai dire, moins sentimental que philosophique et social, en plus d'autoriser pleinement le genre littéraire que Mme de Grafigny a inversé, un peu trop fabriqué en laissant la les équipes avaient des possibilités linguistiques beaucoup plus riches qu'elles n'en avaient en réalité. Ainsi, les nœuds du roman ne révèlent pas de sérieuses préoccupations anthropologiques de la part du romancier, mais offrent l'occasion d'une réflexion très profonde sur les instruments et les pratiques du langage.

Comme la duchesse italienne, interlocutrice du prince de Sansevero, Mme. de Grafigny a rencontré un problème de plausibilité lors de la création d'un rédacteur de lettres à l'aide de Quipos. Mais il ne s'agissait pas vraiment des quipus eux-mêmes et de leur capacité à exprimer tout le contenu des messages de Zília ; Il s'agissait plutôt de maîtriser les dates de la communication amoureuse, particulièrement complexe du fait de l'utilisation de deux langues différentes : le péruvien, évoqué par les Quipos, et le français écrit. En effet, il faut se rappeler que Zília, loin de sa patrie et de son amant Aza, « écrivit » les dix-sept premières lettres à Aza avec l'aide des khipus ; on apprend que seul le premier a provoqué une réaction dont on ne connaîtra jamais le contenu. Ainsi, dès son arrivée en France, Zilia

17. On pourrait ajouter en faveur de Jaucourt qu'il écrit « terme de ratio » pour désigner la catégorie de classement dans laquelle tombe l'article « Quipos » ; De cela, nous pouvons conclure qu'il a traité de manière intensive le problème de la communication d'équipe.

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il apprend le français et quand les lacets de couleur sont épuisés il continue sa correspondance en écrivant des lettres en français. Dans les deux cas, l'un des destinataires est exclu de l'échange ; c'est d'abord le lecteur qui ne comprend pas le code Quipos, puis c'est Aza qui ne connaît pas le français. Paradoxalement, le problème d'Aza n'apparaît pas dans le roman : Zília dit qu'elle trouvera quelqu'un pour lui traduire les lettres. Le lecteur ne peut se contenter de ces vagues conjectures ; il faut lui fournir des textes déjà traduits, et la seule interprète possible parmi les personnages est Zília elle-même, qui ne peut rendre ce service qu'après coup, longtemps après qu'elle a relié les premières lettres et les a envoyées lorsqu'elle a appris le français. Ainsi, il faudra inventer des circonstances pour justifier le retour du quipu à son expéditeur, et Zília devra également être motivée pour traduire des lettres d'amour pour quelqu'un qui n'en était pas le destinataire. . La tendresse exige que le romancier se retrouve dans la notice, puis dans les lettres, non sans courir le risque d'abolir la tension de l'intrigue amoureuse dès la première page. Et si vous deviez le trouver, ce serait une raison suffisante pour se désintéresser de cette intrigue : plongés dans le roman, les quipos, qui devraient authentifier la relation entre deux Péruviens, incitent le lecteur à faire abstraction des protagonistes de l'histoire d'amour. . , pour attirer l'attention sur l'objet réellement problématique : le langage.

Pour Aza, qui ne lira jamais ses lettres, et pour le lecteur, qui remplacera volontiers l'amant ingrat, Zília raconte en détail le processus d'apprentissage de la langue française. Les premières conversations avec Déterville, le jeune Français qui l'emmène d'Amérique, sont des « entretiens silencieux » fondés sur « des signes qui, dit-elle, commencent à me familiariser » (276). Puis les premiers mots : « Il y a deux jours, j'ai entendu plusieurs mots dans la langue principale que je pensais ne pas connaître. Ceux-ci ne restent que des noms d'objet : ils n'expriment pas ma pensée et ne me permettent pas de comprendre celle des autres ; cependant, ils m'ont déjà apporté les éclaircissements dont j'avais besoin» (277). Les phrases les plus complexes sont simplement répétées mécaniquement avant que leur contenu ne soit compris, au grand bonheur du professeur Déterville : il s'agit de dire "oui, je t'aime" ou "je promets d'être à toi".

Noeud de langue dans les lettres d'un 1115 péruvien

qui produisent un tel effet sur le maître que l'élève croit qu'il est devenu un objet d'adoration. A ce stade de l'apprentissage, de simples « signes » juxtaposés continuent à compléter les phrases : « La coutume en a fait une sorte de langage qui nous sert au moins à exprimer nos volontés » (281).

Nommez les objets puis exprimez les désirs ; il ne reste plus qu'à apprendre à formuler des pensées, ou, comme le dit si bien Zilia, « à donner aux pensées une sorte d'existence » (295) ; Atteindre ce stade signifie acquérir l'habileté que Zília maîtrisait avec ses quipus, ces nœuds qui, comme nous l'avons vu, "donnent plus de réalité à mes pensées" (270). Voilà donc l'usage de l'écriture qui sera désormais enseigné par un professeur que Zília, certes naïve mais bon personnage de roman, ne manquera pas de mettre en scène d'une manière que les pédants de Molière resurgiront immanquablement à ses yeux, le lecteur . , Sorel ou Cyrano. Mais les détails de l'apprentissage importent peu, car l'essentiel est dans le résultat : apprendre une façon de parler, d'écrire, l'équivalent de quipu.

Dans ce processus, Zilia, confrontée d'abord à l'espagnol puis au français, constate que les langues diffèrent par leur débit et leur inflexion, mais que certains usages différents d'une même langue sont possibles. Prononcez un grand nombre de mots. qui ne ressemblent pas à la langue commune de votre nation. Le son est plus doux, plus clair, plus mesuré ; il ajoute cet air touché qui précède les larmes, ces soupirs qui expriment les besoins de l'âme, ces accents qui sont presque des lamentations » (272). Ces modérateurs expressifs, communs à toutes les langues en ce qui concerne l'expressivité corporelle immédiate, permettent à Zília d'établir le lien entre son vécu et la langue inconnue. Il s'aperçoit aussi que : Les hommes s'expriment par le langage, mais aussi par leurs actes facilement déchiffrables : "Je n'entends pas leur langage (...), je vois leurs actes" (262). Le caractère humain ou inhumain de ses interlocuteurs est alors déchiffré sans le secours du langage ; Les seules actions, manifestement bonnes ou mauvaises, et la sensibilité ou l'indifférence aux signes de la souffrance des autres (larmes, grimaces, gémissements, etc.) permettent à Zilia d'exercer un premier instinct chez les hommes qui l'entourent. La maîtrise de la langue donne accès aux nuances, aux détails, aux circonstances ; Cela vous permettra non seulement d'apprendre à connaître le monde qui vous entoure, mais aussi de pratiquer des distinctions parfois subtiles, comme l'inévitable distinction

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entre « amour » et « amitié » (311) et, parfois, il fait également preuve d'une sensibilité rhétorique exacerbée : « Je cherchais des termes qui exprimeraient la vérité de mon cœur sans blesser la sensibilité du vôtre » (317).

Comme nous venons de l'esquisser, l'acquisition de la langue française par Zília ne représente rien d'extraordinaire, ni au regard des grandes théories de l'époque 18 ni au regard du simple bon sens ; L'apprentissage de Zília suit un cours totalement naturel, commençant par le sensible et le concret et se terminant dans le domaine de l'abstrait. Mais, importe-t-il que la langue d'origine soit le péruvien et surtout ce code "écrit" particulier que représentent les quipos ? La description du passage du domaine d'un code à celui d'un autre code fondé sur des principes de symbolisation différents ne doit rien au caractère spécifique du quipus. Mais ce que ces derniers offrent au romancier, c'est un champ métaphorique particulièrement suggestif : « Pendant que je travaillais, l'entreprise me paraissait moins difficile ; d'instant en instant cette masse innombrable de fils sous mes doigts devenait le reflet fidèle de nos actions et de nos sentiments, comme autrefois elle était l'interprète de nos pensées pendant les longues pauses où nous passions sans nous voir » (258). Quoi de plus impressionnant que ce « travail » qui donne forme et sens à la masse enchevêtrée du langage ? L'homo scriptor est un homo faber, et le geste est facilement transférable, puisque Zília peut aisément être représentée en France, sous la régence de son maître scribe 19 , exerçant sa main dans le geste austère de la calligraphie. Le travail, l'effort, la maîtrise du corps ne sont pas

18. Outre cette simple question à F.-AT. Devaux dans une lettre du 24 septembre 1741 : « Monsieur Rolin est mort, vous savez ? », Correspondance de Mme de Grafigny, Oxford, The Voltaire Foundation, t. Aussi, 1992, p. 258. On pourrait penser, avec J. Sgard ("Language obstacle and love trade", // Genio delle lingue, Rome, Istituto della Enciclopedia Italiana, 1989, pp. 65-72) que Mme de Grafigny lisait ou peut-être, plus il probablement entendu l'Essai sur l'origine de la connaissance humaine de Condillac, publié un an avant la première édition des Lettres d'un Péruvien, où le récit des étapes supposées de l'acquisition du langage par les premiers humains correspond étroitement au développement des cils ; mais nous verrons plus loin que l'écho de Condillac est perceptible non seulement par rapport à l'apprentissage, mais plus largement dans la notion même de langage. Les mêmes observations peuvent être faites à propos de l'essai sur l'origine des langues de J.J. Rousseau, bien qu'évidemment Madame de Grafigny n'ait pas pu le savoir. D. Foumy, "Langage et réalité dans les Lettres d'une Péruvienne de Françoise de Grafigny", Eighteenth Century Fiction, Vol. 4, Non. 3, propose un parallèle entre Rousseau et Madame de Grafigny sur la théorie du développement du langage. , avril 1992 , p. 221-238.

19. Zília exprime la difficulté d'apprendre ; Apprendre à écrire demande des sacrifices et de la persévérance, c'est un véritable effort, à la fois physique et intellectuel : « Je suis encore si maladroit dans l'art d'écrire, mon cher aza, qu'il me faut un temps infini pour former quelques lignes. Il arrive souvent que, ayant beaucoup écrit, je ne devine pas moi-même ce que

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mais pas réservé à ceux qui tissent leur message dans la solitude ; car le décryptage et la réponse impliquent une participation : « Les mêmes nœuds qui t'apprendront mon existence m'apprendront ton destin, changeant de forme entre tes mains » (260). La communication suppose un va-et-vient de matériel, qui est édité et révisé, façonné et transformé par des partenaires d'échange ; Ici, selon la formule de Pierre Hartmann, « la représentation étonnamment plastique d'une communication qui ne s'établit que lorsqu'elle se dissout ». Et « ces nœuds, qui me semblaient une chaîne de communication de mon cœur au tien », confie encore Aza : « Dévoilant les mystères de ton cœur, le mien baigne dans une mer odorante » (260, 299, 261). Les quipus sont bien des « textes » au sens strict du terme. Ainsi, on peut comprendre que le passage de Quipos à un système graphique complexe basé sur la combinaison de ces signes abstraits, les lettres, équivaut à explorer une nouvelle dimension du langage dans laquelle la relation entre les signes et l'univers de référence n'est plus plus immédiate. , mais dépassé et troublé par les nombreux obstacles qui surgissent lorsque l'on révèle la complexité du langage et donc l'aléatoire du rapport entre les mots et les choses : "Cela se fait à l'aide d'un stylo pour dessiner de petites figures, les soi-disant 'lettres', tracer une matière blanche dite "papier" sur du papier fin ; ces figures ont des noms ; ces noms, mélangés, représentent des sons de mots ; mais ces noms et ces sons me paraissent si indiscernables que, si je peux, je les entends tous à une fois. n'arrivera certainement pas sans beaucoup d'efforts" (295).

Au fur et à mesure qu'elle progresse dans l'apprentissage des mots français, Zilia découvre de nouvelles choses. Le rapport au monde, le rapport à l'autre, passe nécessairement par le langage. Le Péruvien avait déjà réalisé cette vérité quand il vivait pour eux

Je pensais exprimer. Cette honte embrouille mes pensées, me fait oublier ce dont je m'étais péniblement souvenu ; Je recommence, je ne m'améliore pas, mais j'avance » (300301). Outre ces réflexions sur la pratique du code, on peut aussi voir le geste de Zília nouer son quipus lorsque N.K. Miller (« Le nœud, la lettre et le livre : les lettres péruviennes de Graffigny », op. cit.), signe symbolique de l'identité féminine du personnage, ainsi dérivé de Pénélope, Arachnè, princesse de Clèves.

20. P. Hartmann, « Lettres d'un Péruvien dans l'histoire du roman épistolaire », Virgen del Sol/Fille des Lumières, op. cit., p. 109

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la première fois l'expérience de la relation à l'autre, quand les portes du temple où elle était emprisonnée s'ouvrirent enfin pour laisser entrer Aza : « Tremblante, confuse, la timidité m'a volé la voix ; Enfin encouragé par la douceur de tes propos, j'ai osé lever les yeux vers toi, j'ai rencontré les tiens. Non, même la mort n'effacera pas de ma mémoire les tendres mouvements de nos âmes qui se sont rencontrées et fusionnées en un instant" (263). Zilia ne pourra jamais le regretter. C'est une attaque dont le souvenir nostalgique justifiera toute l'affaire de Zilia. Mais en célébrant cette harmonie perdue sous la forme d'un rituel (qui suggère l'ouverture et la fermeture répétées des cartes), le Péruvien raconte une nouvelle expérience, une nouvelle relation qui ne se limite plus à être seul dans l'espace clos de le Temple du Soleil. , mais a explosé dans l'univers du multiple 21. La confusion du monde apparaît à Zília en même temps que la confusion des signes d'une langue inconnue. On pense que l'acquisition de cette langue doit s'accompagner d'acquisition, ou du moins de maîtrise du monde.

En tout cas, ce que nous avons trouvé, c'est que les lettres de Zília, outre l'histoire de l'apprentissage des langues avec ses étapes successives, ses difficultés, ses succès et ses échecs, retracent les étapes d'un processus cognitif essentiellement basé sur des expériences perceptives. "De même que dans l'enfance seuls les objets ont pouvoir sur nous, il semble que la vue soit le seul de nos sens qui ait un lien intime avec notre âme" (359). Ainsi, à la fin du roman, Zilia analyse l'état dans lequel elle se trouve jetée par la douleur résultant de la séparation définitive d'avec Aza. Rétrospectivement, cela semble faire référence à cet état de perception enfantin qu'il avait face à des objets inconnus. Mais contrairement à un enfant, Zília est très soucieuse de la « communication » des sensations « avec notre âme » ; Elle ne place pas l'objet connu ou inconnu au centre du processus perceptif, mais plutôt le sujet potentiellement affecté par tous les conditionnements possibles.

21. Pour une analyse exhaustive de ce sujet (et de bien d'autres), voir l'excellent article de J.-P. Schneider, "Les Lettres d'une Péruvienne : roman ouvert ou roman fermé", op. pour. cit., p. 7-48, et E.J. MacArthur, "Dishonest Narratives: Negative Closure in Two Eighteenth-Century Epistolary Novels," Eighteenth-Century Studies, 21 (1987), pp. 1-20 et J. Undank, "Graffigny's Room of Her Own", French Forum, 13, 1988, p. 297-318.

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C'est surtout la révélation de l'amour qui produit une transformation radicale, non des objets eux-mêmes, mais de leur perception : « Quel changement, ma chère Aza, ta présence a opéré en moi ! tous les objets me semblaient nouveaux ; Je croyais voir mes compagnons pour la première fois » (264). L'ingérence d'Aza dans la vie de Zilia marque une étape fondamentale de maturation, comme si la jeune femme prenait soudain conscience de la force créatrice de sa propre subjectivité. Ainsi voit-on bientôt l'imagination à l'œuvre : « Mon imagination a peint si vivement ce qui devait arriver que la vérité elle-même n'aurait plus de pouvoir » (267). L'amour, inspiration de l'imagination créatrice, d'un esprit projeté en avant de la réalité, sera à jamais lié à la figure absente d'Aza et de la terre déserte ; Au contraire, le nouveau monde (en l'occurrence c'est l'ancien : l'Europe) sera d'abord une source d'étonnement, un sentiment qui provoque le retour de la pensée, l'éloignement du sujet assailli par le doute : « tout ce que j'imagine ressemble chez moi, me surprend, m'étonne, et ne me laisse qu'une vague impression, une impuissance stupide dont je n'essaie même pas de me débarrasser; mes erreurs suppriment mes jugements, je reste précaire, je doute presque de quoi Je vois" (279). Le Péruvien ira jusqu'à formuler théoriquement la relation entre l'objet et l'espace intérieur du sujet : « Lorsqu'un seul objet réunit toutes nos pensées, mon cher Aza, les événements ne nous intéressent que pour les relations que nous y trouvons avec lui. » (276 ) et encore plus clair : « Combien y a-t-il de jours quand tu les comptes, mon cher Aza ! le temps et l'espace ne sont connus que par leurs limites. Nos idées et nos regards se perdent également dans l'uniformité constante les uns des autres : Quand les objets marquent les limites de l'espace, il me semble que nos espérances marquent celles du temps ; et que lorsqu'ils nous quittent, ou lorsqu'ils ne sont pas sensiblement marqués, nous ne percevons pas plus la durée du temps que l'air qui remplit tout l'espace. espace (277).

Organisée selon les axes combinés du temps et de l'espace, la perception est déterminée conjointement (mais pas toujours de manière égale) par les objets extérieurs et le conditionnement interne du sujet. Ecrivant la mémoire d'Aza, d'abord naïve et immédiate, puis artistique et abstraite, Zilia représente la dimension temporelle de son expérience dans le monde, matérialisée par un déplacement spatial. Ses lamentations, ses soupirs, son désir, c'est-à-dire plus généralement sa parole sont, en définitive, les garants de sa subjectivité, subjectivité sans laquelle il n'y aurait pas de regard critique sur le monde, comme il n'y aurait pas de perception. Ainsi, plus que l'histoire d'un échec ou

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22 impuissants, le rapport purement intériorisé, voire intellectualisé, que Zilia entretient avec le monde extérieur, renseigne le lecteur sur la constitution d'un jury crédible.

C'est précisément la langue qui s'avère être l'un des premiers sujets entrant dans le champ de cette évaluation. Objet, mais aussi instrument, car on ne peut pas juger sans connaître le code : « Quand je suis arrivé en France, sans connaître la langue, je ne jugeais que sur les apparences. Quand j'ai commencé à l'utiliser, j'étais dans la maison religieuse : vous savez que j'y trouvais peu d'aide pour ma formation ; Je n'ai vu qu'un type particulier de société dans le pays : maintenant qu'elle est si répandue dans le soi-disant grand monde, je vois toute la nation et je peux l'examiner librement » (337). Confrontée d'abord à la diversité des langues, puis à la diversité des pratiques au sein d'une même langue, Zilia aura acquis suffisamment d'expérience pour pouvoir « étudier sans entraves » les modes de communication verbale. On ne s'étonnera donc pas qu'il reproduise, à propos du langage, la distinction qu'il avait établie à propos de la perception entre l'objet extérieur et l'intériorité du sujet ; la langue écrite s'y oppose à la langue orale : « Ses livres sont la critique générale des mœurs et le divertissement de chacun » (338). La solidité immuable des objets correspond à la constance des jugements généraux consignés dans les livres ; l'instabilité du sujet affecté par ses sentiments changeants correspond à la particularité des discours des personnes impliquées dans la conversation.

Pour Zília, les livres sont la découverte la plus admirable qu'elle ait pu faire en France ; il y trouve non seulement les jugements qu'il se bat pour obtenir, mais aussi le refuge de l'instruction et de la réflexion au moment de conjurer le duel : « Je lis d'abord avec difficulté, imperceptiblement les idées nouvelles impliquent la terrible vérité qui gît au fond de mon cœur se réjouit et soulage enfin ma douleur" (360). Le mot écrit contient un message sûr, sûr, capable de réconforter et d'instruire ; c'est l'exact opposé du mot sur lequel se fondent « les liens de votre société ». "Une infinité de mots sans

22. Voici l'opinion de S. Roth : « Zilia : Désir d'être ou de savoir ? », op. cit., p. 82 m2

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Importance, abondance de mots, verbosité, louanges superflues, flatteries outrageantes », sont les qualificatifs de l'échange oral, qui impliquent à la fois une habileté de formulation et de réception : « Se faire une réputation... les différents sens des mots et en changer l'usage. Il faut attirer l'attention des auditeurs par la subtilité de pensées souvent impénétrables, ou cacher leur obscurité sous une abondance d'expressions frivoles » (332). Ces nombreux mots creux exaspèrent Zília qui, bien qu'elle maîtrise déjà parfaitement le français, se sait incapable de pratiquer cet art tortueux et futile de l'emphase, de l'esprit et de la sagacité : « quel manque de hâte à parler, quelle chose désagréable La simplicité de mes expressions doit paraître devant eux ! Je ne crois pas que mon esprit leur inspire plus d'estime" (331-2).

Capable d'interroger et d'évaluer les Français et leur société, en plus de s'exprimer à travers leur langue, Zilia retiendra de ses origines péruviennes la vertu de ce qu'elle appelle la "simplicité". En termes linguistiques, la simplicité n'est rien d'autre que la transparence, c'est-à-dire la stabilité du lien qui doit unir les mots et les choses. Les Péruviens, comme nous l'avons appris dans le roman, avaient l'originalité de n'avoir jamais menti avant l'invasion des conquérants espagnols : « Mon cher Aza ! Je pourrais vous convaincre, ce que je ne comprends pas moi-même, si vous n'étiez pas sûr que le mensonge n'a jamais souillé les lèvres d'un fils du soleil ! (266). Une déclaration si surprenante que Madame de Grafigny a cru bon d'insérer ici une note explicative : « Il était acquis qu'un Péruvien ne mentait jamais. Chez les Péruviens, le mot est doré, les couleurs des cordes sont ouvertes, et la taille et l'espacement des nœuds sont fixes. Il n'y a pas d'hésitation entre les "différents sens d'un mot" car chaque caractère correspond à un sens unique ; Il n'y a pas non plus de raison de douter de la sincérité du locuteur, car chaque énoncé repose fondamentalement sur la notion de vérité. inca et objets

.23. Marmontel. qui dans Les Incas ne montre pas un intérêt particulier pour le quipu (dans lequel on peut voir une différence fondamentale entre son projet et celui de Mme de Grafigny) ne peut cesser de les rattacher à cette idée de "simplicité" "Ce livre [est le Livre des Lois] est fait de cordes de mille couleurs, les nœuds en sont les signes; et ils suffisent pour exprimer des lois simples telles que les coutumes et les intérêts de ces peuples. Le Pape le lit, le prince et les sujets entendent de son quels sont leurs devoirs et leurs droits.", Œuvres complètes, Genève, Slatkine, 1968 (réimpression de l'édition parisienne, 1819-1820), vol. III, p. 338

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Cultes sacrés coulés dans l'or massif, les décorations artificielles du Palais de Déterville répondent lamentablement : « Ce que je vois, ce que j'apprends des gens de ce pays me rend suspecte de leur parole en général ; Tes vertus, mon cher Aza, n'ont pas plus de réalité que tes richesses. Le meuble que je croyais en or n'a que la surface ; sa véritable substance est le bois ; de même ce qu'ils appellent la courtoisie cache frivolement ses défauts sous le manteau de la vertu ; mais avec un peu d'attention leurs ruses se découvrent aussi facilement que celles de leurs fausses richesses » (305).

La critique de Zilia s'applique au luxe, au consumérisme, à la répartition inégale des biens et, en général, aux formes artificielles de sociabilité. Partout, le fondement de la critique repose sur l'incohérence et la fausseté des signes traditionnels, qu'ils soient linguistiques, économiques ou même rituels (critique de la religion), et là-dessus, le trait le plus saillant qui tient à la position et à l'éducation des femmes dans Les effets de la société française, sont encore une fois dépendants de l'usage des signes, plus précisément de la langue et encore plus précisément de la langue en question.

Pour les Incas, comme pour les Français, la malédiction des femmes réside dans ce seul mot : ignorance. Heureusement, Zilia s'était échappée, car Aza lui avait réservé un destin particulier : « Tu ne tolérerais pas qu'un être comme le tien soit limité au bénéfice humiliant de donner vie à ta postérité. Vous avez voulu que nos divins amautas ornent mon entendement de leur sublime savoir" (261). Arrivée en France et éclairée par ses premières observations, elle se rend compte de l'ignorance dans laquelle les jeunes femmes qui l'entourent sont enfermées dans le couvent où elle séjourne provisoirement, alors elle s'aperçoit que la sœur de Déterville, la belle Céline, elle peut lire certains livres, mais elle n'arrive pas à raisonner dessus : « elle n'a pas assez d'instruction » (305), dit Zília. Quant à la conduite des hommes, la Le décalage fondamental est flagrant entre les principes de courtoisie, de galanterie, de « vain respect » et, d'autre part, le mépris, la tromperie et l'outrage que les hommes infligent. Cette situation n'est pas due à une méchanceté naturelle de certains, ni à une non moins faiblesse naturelle des autres ; elle résulte d'une éducation « si contraire à notre destination qu'elle me paraît le chef-d'œuvre de l'inconséquence française » (341). Là aussi, des signes sont en cause : « La régulation des mouvements corporels, la l'agencement des mouvements du visage, le dessin de l'extérieur sont les points essentiels de l'éducation" (342). Il en résulte un sérieux manque de maîtrise du code qui fournit l'essentiel

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Echanges entre personnes, langage verbal : "Ils attendent de leurs femmes l'exercice de vertus qu'ils ne leur communiquent pas, ni même elles ne leur donnent une idée adéquate des termes qui les désignent" (343). Lorsque Zilia parle à ses compagnes "d'émotions, de gentillesse, de discrétion, de modération, d'honnêteté morale, d'équité avec les inférieurs, de fermeté dans la fuite et de mépris du mal", elle note la "honte" de ses interlocuteurs, qui "à l'époque soupçonnés de parler Péruvien" (334). Pire encore, « ils ne savent même pas se servir de leur langue naturelle ; il est rare qu'ils la parlent correctement, et je trouve, non sans grande surprise, que je suis maintenant plus sage qu'eux à cet égard » (343). les rôles sont désormais inversés : le Péruvien n'est pas celui qu'il croit être, c'est la femme en général qui est étrangère à cette société, une femme naïve qui n'a pas encore appris à apprécier la valeur des signes qui composent les différents codes (habillement, économie, langue, etc.) sur lesquels la société, toutes les relations entre les personnes sont fondées Cette femme, cette étrangère au savoir, à la réflexion, au langage, a vécu l'expérience fondamentale de vivre à Zilia, qui devrait être la présidence pour la Péruvienne , pas conscient de soi. La scène se déroule lorsque Zilia arrive en France. Conduite par Déterville dans une chambre qu'elle lui avait louée, la Péruvienne aperçoit une jeune femme qui, comme elle, porte la tunique des filles du soleil. Elle court à la rencontre de ce compatriote, mais ne rencontre qu'une "résistance impénétrable où j'ai vu une figure humaine se déplacer dans un très grand espace !" L'étonnement me tenait immobile, les yeux fixés sur cette ombre, tandis que Déterville me montrait son propre visage. à celui qui occupait toute mon attention : je l'ai touché, je lui ai parlé, et je l'ai vu de près et de loin de moi... (...) Le chef m'a fait comprendre que le visage que je voyais était le mien ; mais qu'est-ce que ça m'apprend? (280) C'est exactement la question qu'aucune des femmes ignorantes de France ne s'est jamais posée. Pour ceux qui n'ont appris qu'à « inventer l'extérieur », l'identité et l'image de soi sont hors de question. il n'y a aucun doute : je suis ma propre image. A travers l'expérience du miroir, Zilia a été amenée à établir une relation entre elle-même et l'image renvoyée par "l'ingénieuse machine à dupliquer les objets". elle vivait, et très bien, sans se rendre compte de sa propre image, sans soigner son apparence, sans chercher à se faire une image flatteuse et peut-être trompeuse, car elle n'avait jamais pratiqué auparavant que « l'écriture » immédiate. . les équipes.

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L'apprentissage complet d'un code écrit plus élaboré n'annule pas la compétence dans l'utilisation de l'équipement; il s'appuie plutôt sur ce niveau primitif de langage transparent ; De même, maîtriser sa propre image, celle des autres et du monde, c'est savoir se distinguer de sa propre image, comme quelqu'un qui prend d'abord conscience de lui-même avant de découvrir sa propre image.

Il est ainsi très clair que les quipus n'ont pas été mis en place par le romancier pour des raisons ethnographiques, mais simplement pour sacrifier le goût de l'exotisme qui ne pouvait évidemment pas échapper à cette touche colorée du folklore péruvien. Au fond, qu'il le sache ou non, Cornelius de Pauw a eu raison de ne pas porter le roman de Madame de Grafigny devant le tribunal américain qu'il avait institué dans son livre. Ni le Pérou en tant que tel, ni les Incas n'ont vraiment intéressé l'écrivain. Il avait tiré ses données d'ouvrages plus récents et l'idée du Pérou était sans doute celle de Voltaire d'Alzire ou des Américains (drame auquel il fait expressément référence dans l'Avertissement) et peut-être aussi celle de Voltaire, qu'il eut à l'hiver 1738. - Travaille avec lui pendant six semaines à Cirey en 1739 chez Madame du Châtelet. De plus, si vous aviez besoin d'une preuve du caractère non documentaire des lettres d'un Péruvien, vous pouviez trouver Voltaire ; en effet, bien qu'en contact régulier avec Madame de Grafigny alors qu'il travaillait à l'essai sur les Moeurs, le futur auteur de Cándido ne fait aucune allusion au roman dans ses pages sur la conquête du Pérou ; contrairement au chevalier de Jaucourt, il évoque le quipu de manière très réservée et évasive, sans revendiquer l'autorité d'un personnage de fiction qu'il connaît pourtant très bien.

Le manque de précision dans l'évocation de l'univers inca suscitera de nombreuses critiques de la part de Mme. de Grafigny. Ainsi peut-on apprendre de la mention au demeurant très flatteuse dans la biographie universelle ancienne et moderne de Michaud que les Lettres d'une Péruvienne « contiennent des malentendus de noms et de notions péruviens, qui sont pardonnables pour une femme ».

24.J.-P. Schneider s'étonne que « le Pérou, auquel Zilia continue de penser, soit évoqué par elle de manière très abstraite [alors qu'en 1747, le Pérou était à la mode, et que les relations de Bouguer et de La Condamine pendant deux ou trois ans ont contribué à transmettre à au public tout un monde visuel de la Cordillère des Andes et des merveilleuses régions qu'elle renferme entre ses montagnes », op.cit., p. 20. Mais est-ce vraiment génial ?

25. Paris, Michaud, 1811-1828, t. XVIII (1817), p. 263.

NŒUDS DE LANGUE DANS LES LETTRES D'A PERUANA 1125

il ne serait que légèrement surprenant qu'elle n'ait pas été formulée par l'une des rares contributrices à la biographie universelle, Madame Vannoz. Le point de vue de cette dernière est clair : si vous êtes une femme et que vous écrivez, vous pouvez vous permettre de faire attention à l'exactitude. Quand une femme parle, la vérité ne se trouve pas dans l'authenticité documentaire, mais ailleurs. Que cela veut-il dire ?

Sans aucun doute, Françoise de Grafigny n'hésitera pas à inclure Madame Vannoz parmi les femmes ignorantes avec lesquelles Zília avait appris à sympathiser en France. En fait, la réflexion sur le langage qui apparaît dans les lettres de Zília nous montre que l'adaptation du sujet à son objet n'est pas affaire de genre, mais de discours, même poétique. Lorsque la femme péruvienne se rend compte que la chaise de F. Inca a été fondue et transformée en pièces d'or, elle ne proteste pas ; au contraire, il s'inscrit dans cette métamorphose. Car ce qui compte c'est que l'or soit préservé dans sa pureté. Elle devient chaise sacrée à Cuzco et monnaie à Paris, le tout selon la coutume. Tant que la chaise n'est pas usurpée par les barbares conquérants et que les monnaies ne sont pas contrefaites comme la richesse des Français, ces "magnifiques indigents" (321). L'or est la matière de cette langue, qui transcende toutes les langues et tous les usages et qui, selon les mots de Zilia, est « la langue universelle des cœurs charitables » (289).

La fin, il faut bien l'avouer, ne se distingue ni par sa profondeur ni par son originalité. Madame de Grafigny n'a certainement pas favorisé l'enquête passionnée de ses contemporains sur les origines du langage, la recherche de la langue universelle originelle ; cependant, il a témoigné en tant que romancier. Pour cette raison, il n'a pas manqué d'offrir à Zilia l'expérience d'un langage à la fois immédiat et complexe, capable d'émouvoir l'individu tout en assurant une communication efficace. C'est cette langue que Zilia découvre au théâtre, plus précisément à l'opéra, où Déterville l'emmène peu après son arrivée à Paris, alors que Zilia ne connaît toujours pas le français : « Il faut, ma chère Aza, que la compréhension des sons est général, car il ne m'était pas plus difficile de m'imprégner des diverses passions représentées que si elles s'exprimaient dans notre langue, et cela me paraît tout à fait naturel. Le langage humain est sans aucun doute une invention humaine car il diffère d'une nation à l'autre. La nature, plus puissante et plus attentive aux besoins et aux plaisirs de ses créatures, leur a donné des moyens généraux de les exprimer, qui sont très bien imités par les chants que j'ai entendus. (...) Est-ce dans un langage expressif ?

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Qu'est-ce qui peut transmettre avec autant de succès un plaisir décomplexé que les jeux naïfs des animaux ? Il semble que les danses veulent l'imiter ; du moins évoquent-ils à peu près le même sentiment. Enfin, ma chère Aza, dans ce spectacle tout correspond à la nature et à l'humanité » (297-8).

Comme le souligne Isabelle Landy-Houillon, Madame de Grafigny n'associe pas le thème de l'opéra à « une réflexion sur la situation sociale des acteurs, comme dans Lettres persanes, ni à un nouvel épisode de la Querelle des Bouffons, comme dans Nouvelle Héloïse » . . 26. On y verra plus bien une référence très claire à la deuxième partie de l'Essai sur l'origine de la connaissance humaine, où Condillac revisite les origines du langage, identifiant précisément le "langage d'action", la "danza", et la « prosodie », la musique ». En évoquant la simplicité primordiale d'un simple langage naturel, Zilia n'incarne pas la négation de la civilisation. Au contraire, elle parle d'une compréhension des codes, d'une maîtrise de la langue, d'une connaissance des la langue, des compétences indissociables Élevée parmi un peuple qui ne connaissait pas le mensonge, Zília a fini par parler mieux le français que les Français, qui, dit-elle, prononcent « une infinité de mots sans sens » (331) ; car avec la mémoire des quipos elle sera toujours être attentif à faire le lien entre le "langage de l'action" et le langage des mots, entre le chant et les mots, entre les choses et les mots.

Voilà donc, à grands traits, le message que Madame de Grafigny transmet à ses lecteurs au sujet des quipus et du langage en général. Symboliquement cohérent, bien sûr, ce message est sujet à débat, voire à réfutation, tout comme l'intrigue du roman elle-même, on l'a vu, ne résiste pas aux critiques sévères de véracité. Il serait alors juste de se demander si le code quipus peut vraiment être considéré comme un mode d'expression immédiat, dans lequel, du point de vue du romancier, signes et choses sont liés par des relations stables et transparentes. Lorsque Madame de Grafigny associe ce type de relation à la notion de simplicité et de nature, elle semble ne pas se rendre compte que le système quipus lui-même repose sur une convention qui implique également un degré d'abstraction encore plus grand que la relation caractéristique entre les sons et les mots. écrire des lettres. est suffisant pour

26. "Introduction" à la littérature portugaise, Cartas de uma Peruana et autres romans romantiques de Cartas, op.cit., p. 49. Mais faut-il rappeler que toutes les œuvres de Rousseau reposent sur l'écriture manuscrite d'un Péruvien ?

Noeud de langue dans les lettres d'un péruvien 1127

Pour vous en convaincre, lisez l'ouvrage de M. et R. Asher (Code of the Quipu. A Study of Media, Mathematics and Culture, op. cit.) qui montre que le code quipus repose sur des mathématiques combinatoires basées sur des modèles .extrêmement complexe. Suivant le raisonnement de Rousseau dans son Essai sur l'origine des langues, il faut considérer « l'écriture » des Incas comme une forme de langue dérivée dans laquelle « il y a une différence croissante entre la langue parlée et la langue écrite - « l'écriture va » comme dans laquelle elle devient presque autonome et ressemble aux signes de l'algèbre » 27. Nous voici aux antipodes du langage primitif, de la « simplicité », de la « nature ».

Mais à l'intérieur du roman lui-même, les quipus s'imposent par la force de leur pouvoir évocateur, par la valeur métaphorique qui leur est clairement attribuée et, par conséquent, malgré leur complexité positive, ils sont capables de représenter un état antérieur du langage fondé sur le postulat de transparence. Et on peut résoudre le problème de la véracité d'une manière analogue en constatant que la véracité intérieure du roman, déjà appuyée par la solidité de l'instance de dire et de juger et la cohérence des configurations symboliques, compense les carences d'un extérieur ou général, probabilité absolue.

En tout cas, la vérité est que grâce à Quipos, Mrs. de Grafigny s'est donné la peine, certes sans système et même sans beaucoup d'ordre, d'explorer le champ de la réflexion sur le langage, ses origines, ses formes et ses potentialités. : entre le Pérou de Zilia et la France de Déterville on voit se former clandestinement des couples antagonistes, tels que chant-langage, oralité-écriture, émotion-raison, expression-précision, individu-collectif, nature-artificiel, leitmotiv d'un siècle de ce nom, sera le siècle de Rousseau plus que celui de Voltaire.

FRANÇOIS ROSSET*

27. J. Starobinski, « Introduction » à l'Essai sur l'origine des langues, in Œuvres complètes, t. V, op. cit., p. CLXXXI.

* Université de Lausanne, Ecole de français moderne, BF SH2, CH. - 1015 Lausanne, Suisse.

O MENU LES SPECTACLES

DEBATTRE AVEC NOUS

À L'ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE

La mauvaise réputation des acteurs contribue à discréditer le théâtre, puisqu'il se présente comme une école de morale. Dans l'excitation de préparer les États généraux à analyser les maux du royaume, les Cadernos de Reclamações insistent sur la corruption de la morale. Au moment d'en expliquer les causes, un préjugé défavorable pèse sur les comédiens et le théâtre : « Chaque jour de nouveaux se reproduisent, ils se répandent dans les provinces [...] fermées, ils se répartissent dans les petites villes et même les villages, où avec des représentations profanes ils détournent les fidèles des actes religieux qu'ils doivent pratiquer.Lorsque la révolution s'organise, les dramaturges proclamèrent avec enthousiasme et conviction la mission didactique du théâtre;l'ambition généreuse se heurte toujours à l'existence d'un préjugé tenace et enracinéUn exemple, le histoire d'une brochure sur les petits spectacles à Paris, publiée dans le Moniteur du lundi 1er mars 1790. le rôle du théâtre comme instrument de formation des mœurs publiques... 2 Mais cette brochure en dit long sur le crédit

1. Beschwerdeheft des Clerus der Vogtei von Orléans (citado después de Jacques Godechot, La Pensée Révolutionnaire 1780-1799, Paris, A. Colin, 1964, p. 100),

2. Mercier met l'accent sur le fait d'attirer les foules pour des représentations dramatiques et des spectacles. Il y voit tous les bienfaits que l'on peut tirer de ce "goût universel". Pour cela, il faudrait arrêter de présenter des farces maladroites et privilégier les morceaux "raisonnables". Seule la liberté du théâtre pouvait le permettre. L'intervention de l'État doit se limiter à n'exiger que la décence, car : « Les petits spectacles sont des lieux de prostitution précoce, et nous enquêtons sur ce

RHLF, 1996, no. 6, p. 1128-1136.

LETTRE SUR LE MODÈLE DE CONSTITUTION 1129

Moralité attribuée aux acteurs. L'image du facteur qu'il propose est caractéristique de la mentalité de l'époque :

« Les petits spectacles sont certainement dangereux à plus d'un titre […]. S'il est vrai que les législateurs les plus avisés ont toujours considéré l'instruction publique et toutes les institutions qui influent directement sur l'opinion, les goûts, la conduite et le travail du peuple, comme l'un des premiers objets de leur préoccupation, ils doivent admettre que les petits spectacles méritent l'attention de la direction plus que vous ne le pensez [...]. Mais ces institutions offensent encore plus la morale que le bon goût. Tout en lui respire la corruption, dit l'anonyme, tout en lui est scandaleux. Les acteurs, certains d'âge mûr, d'autres sont des enfants : les premiers sont les hommes les plus odieux qui existent à Paris [...]. Les plus jeunes, même les enfants, ne nous suivent que dans l'expérience, pas dans l'imitation....[...]" 3.

Dans ce débat, le célèbre texte de Rousseau servira de référence. Les différents orateurs de l'Assemblée nationale parlaient pour ou contre lui quand, en décembre 1789, il fallut se prononcer sur la probité et la « citoyenneté » des comédiens.

Sur celle-ci comme sur les autres questions, Rousseau, dénonçant les affirmations de d'Alembert dans son article Genève 4 de l'Encyclopédie, rendit un jugement ferme et définitif : « En commençant par l'observation des faits, avant de considérer les causes, je vois en général, l'état est un état de liberté et de mauvaises mœurs [...] je vois aussi que votre métier est déshonorant dans tous les pays : que ceux qui l'exercent, excommuniés ou non, sont partout méprisés, et même à Paris, où ils ont plus considération et de meilleures manières que partout ailleurs, un bourgeois s'en détourne. Ce sont généralement les mêmes acteurs que nous voyons tous les jours à la grande table [...]. Ce sont des faits incontestables [...] » 5 Le statut religieux des acteurs en France brille

ces farceurs l'étalage scandaleux de tous les éhontés" (Tableau de Paris [1781-1788]. Nous utilisons ici l'édition de J.C. Bonnet, Paris, Mercure de France, 1994, T. 2, Ch. DCXII : "Treteaux des Boulevards" , p. 286-287).

3. Lettre à un père de famille à propos de petites expositions à Paris par un honnête homme. A Paris, chez la Gamery, libraire, Quai des Augustins, 1789. Dans le 8e livret de 46 pages.

4. Dans Lettre à M. d'Alembert sur les spectacles (1758), Rousseau cite ce passage de l'Encyclopédiste : Le progrès et la promotion des arts est certainement une des principales causes contribuant au désordre qu'on leur reproche : vous chercher à compenser par des plaisirs l'estime que sa condition ne peut atteindre. (op. cit., p. 124, pour l'édition Garnier de 1975, qui nous sert de référence). Mercier écrit à peu près la même chose dans Tableau de Paris (voir T. 2, ch. DCCCXCI : « Café de la rue des Boucheries », p. 1139).

5. Rousseau, op. O., p.183.

1130 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

une particularité française au XVIIIe siècle 6. Ils sont les seuls en Europe soumis à cette séparation. En France même, le clergé est plus indulgent avec les acteurs italiens, leur accordant une série de privilèges7. La disgrâce civile dont sont victimes les acteurs français sous l'ancien régime tire sa légitimité de l'excommunication. La Déclaration des droits de 1789 provoquera la reprise de ce débat.

L'Assemblée, qui proclame en août 1789 l'égalité des droits de tous les Français dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en précisera l'application. Quelles limites mettre aux principes universels ? La question se pose avec force en décembre 1789. Les juristes de l'Assemblée constituante, responsables de la nouvelle réalité sociale en France, n'hésitent pas à extraire de l'arsenal des préjugés sociaux les arguments nécessaires pour limiter les droits de certaines catégories françaises 8 . Les acteurs en faisaient partie.

La loi du 22 décembre 1789 avait établi les droits politiques d'une minorité, réservant le droit de vote aux propriétaires terriens. Elle divise les citoyens en trois catégories 9 et fixe les conditions d'éligibilité aux assemblées administratives. Cependant, les clauses d'éligibilité semblent poser quelques problèmes dans l'application de la loi. Ainsi dit le procès-verbal de la séance de l'Assemblée nationale, publié au Moniteur du 23 décembre 1789. A l'ordre du jour figure la motion du comte de Clermont-Tonnerre sur les juifs, les protestants et les comédiens. Il s'agit d'examiner l'admissibilité ou l'inadmissibilité des restrictions supplémentaires des clauses recevables qui surgissent ici et là, qui n'étaient pas prévues par la loi. Il parle d'« exclusion religieuse » et d'« exclusion professionnelle »10.

6. Désactivée depuis la fin du Moyen Âge, l'excommunication a été récupérée par le clergé gallican dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

7. Voir Table de Paris, t. 1, chap. CCVIII : "Comédiens", p. 520 et t. 2, chap. CMXXXVII : « Bureau de la législation dramatique », p. 1259.

8. Le 24 septembre 1789, l'Assemblée constituante reconnaît les protestants comme citoyens. Mais le préjugé contre les Juifs était plus obstiné. En 1789, l'abbé Grégoire, dans sa motion pour les juifs, reprenant les idées de son essai de 1787 sur la renaissance physique, politique et morale des juifs, leur demande de devenir citoyens. L'Assemblée constituante ne l'accorda qu'en septembre 1791.

9. Siehe A. Soboul, Précis d'histoire de la Révolution française, Paris, Éditions Sociales, 1975 (Cap. III, 1.2, „Die verletzten Grundsätze“, S. 148).

10. Acteurs et interprètes se côtoient dans un pays de honte. 26/12/1789 Charles Henri Sanson, bourreau de Paris, bourreau des hautes et basses charges, dans une lettre à l'Assemblée nationale, revendique les droits du citoyen car : « Il serait injuste de déclarer notoire

LETTRE SUR L'EXEMPLE DE CONSTITUTION 1131

Lors du débat sur la loi électorale en décembre 1789, les électeurs sont confrontés à la fois aux espoirs des minorités, tous les exclus de l'ancien et du nouveau régime, et à leurs propres préjugés. Un consensus positif se forme rapidement en faveur des protestants. Le problème était plus difficile pour les autres candidats à la citoyenneté. Le Juif a traditionnellement été évité pour son comportement antisocial. L'humoriste touché par les atrocités est régulièrement cité comme facteur de corruption. Relégué au rang des intouchables, le bourreau était méprisé, victime de l'humiliation de sa condition :

« Les métiers sont nocifs ou ils ne le sont pas. Si tel est le cas, il s'agit d'un crime coutumier que la justice doit annuler. S'ils ne le sont pas, alors la loi doit se conformer à la justice, qui est la source de la loi. [...] Parmi ces métiers, il y en a deux dont je souffre quand je les compare [...]. Je fais référence aux exécuteurs de jugements et aux personnes qui composent leurs théâtres [...]. D'honnêtes citoyens peuvent nous présenter sur des théâtres les chefs-d'œuvre de l'esprit humain, des œuvres imprégnées de cette saine philosophie qui, ainsi mise à la portée de tous les hommes, a préparé avec succès la prochaine révolution. le théâtre de la nation, tu es notoire. La loi ne doit pas permettre la perfidie. Si les verres, au lieu d'être une école de bonnes manières, vous causent des dépravations, nettoyez-les ; ennoblissez-les et ne méprisez pas les hommes qui ont des talents inestimables; mais, disent-ils, voulez-vous nommer des acteurs pour les fonctions de la Magistrature, de l'Assemblée Nationale ? Je veux qu'ils soient capables de le faire, si cela en vaut la peine. Je fais confiance au choix du peuple et je n'ai pas peur ; Je ne veux stigmatiser personne ni interdire un travail que la loi n'a jamais interdit ». onze.

Pour le comte de Clermont-Tonnerre, le malheur lié à l'exercice du métier n'est qu'une perte, car la loi n'a jamais interdit le métier. Dans la même séance, Robespierre soutient cette opinion en insistant sur le rôle social du théâtre : « Les acteurs méritent plus d'estime publique lorsqu'ils ne s'opposent plus à un préjugé absurde, alors les vertus de l'individu contribueront à purifier spectacles et théâtres. sur une

que des hommes impeccables ont l'habitude de pratiquer » (cité par Manuel Carcassonne dans Le Monde de la Révolution n. 12, décembre 1989, p. 4).

11. Proposition du comte de Clermont-Tonnerre, Moniteur n° 123 du mercredi 23 décembre 1789, p. 500

1132 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

sortira des écoles publiques des principes, des bonnes manières et du patriotisme" 12.

M. Duport et d'autres intervenants défendent les mêmes positions en faveur des acteurs. Il y a même une "Lettre des Acteurs au Président de l'Assemblée Nationale", dans laquelle ils s'inquiètent de la "légitimité de leur Etat", proclament haut et fort leurs lois sur la citoyenneté déclarant les acteurs infâmes et réitérant que l'opinion n'est qu'un préjugé « fils de l'ignorance et de la superstition ». M. de Baumetz rejette finalement les positions de Rousseau sur les spectacles car le parti anti-acteurs tirera en partie ses arguments de ce texte : « Je ne connais aucune loi qui déclare des acteurs notoires ; Ils sont marqués par des préjugés ... A Rome même, ceux qui condamnent les acteurs vivent avec eux, et souvent dans une intime intimité. Cette familiarité n'existerait pas si les acteurs étaient reconnus comme des droits de citoyens notoires"14 ?

Ces observations démentent les thèses du citoyen de Genève. Rousseau justifiait le préjugé de honte qui s'abat sur les acteurs lorsqu'il affirmait l'existence de lois préchrétiennes chez les Romains, lois qui leur refusaient la citoyenneté : « Je pourrais attribuer ces préjugés aux déclamations des prêtres, si je ne les trouvais ils seraient établis. chez les Romains avant la naissance du christianisme, et non seulement circulait vaguement dans l'esprit du peuple, mais était autorisée par des lois expresses déclarant les acteurs notoires, les dépouillant du titre et des droits de citoyens romains, et plaçant les actrices dans la catégorie des comédiens. les prostituées. 15 .

Rousseau, qui s'oppose à l'établissement d'un théâtre en république et voit dans le spectacle un élément de dissolution du corps social, oppose à Baumetz le besoin de divertissement du peuple, mais aussi le poids de la tradition : « Les Français ont besoin de divertissement , il est juste qu'ils apprécient ceux qui leur font plaisir. Diriez-vous à vos compatriotes ce que Guenièvre a dit aux siens : ne construisez jamais de théâtres dans vos murs, vous feriez un

12. Moniteur, suite de la séance du 23 décembre 1789, n. 124 du jeudi 24 décembre 1789, p. 503

13. La lecture de ce document provoqua de violentes protestations de l'abbé Maury, scandalisé par l'indécence de la procédure (voir Moniteur n° 124 du jeudi 24 décembre 1789).

14. Moniteur, n° 124 du 24 décembre 1789 ; Réunion du jeudi 24 décembre, p. 504

15. Rousseau, op. cit., p. 184.

LETTRE SUR LE MODÈLE DE CONSTITUTION 1133

premier pas vers la corruption ? Vous n'avez pas vos femmes et vos enfants ? Hé! Messieurs, pouvons-nous nous exprimer ainsi dans notre monarchie, où les coupes sont déjà établies, où elles s'aiment depuis longtemps ?

Mirabeau prend M. de Baumetz et rappelle l'absence de texte légal. L'accusation de honte portée contre les acteurs n'a donc aucune base légale. La Tribune précise que les États généraux tenus à Orléans ont expressément prévu la participation des acteurs aux tâches civiles et sociales. Les provinces françaises semblent avoir précédé l'Assemblée nationale dans la destruction de ce préjugé. Mirabeau précise que les lettres de créance du Député de Metz sont signées par deux acteurs : « Il serait donc absurde, voire apolitique, de dénier aux acteurs le titre de citoyen que la nation leur attribue devant nous et que chacun a plus de droits que ce que il est peut-être vrai qu'il n'a jamais mérité d'en être privé" n.

A l'issue des débats, il donnera lecture du décret sur la qualification des comédiens. Il constitue la base juridique de sa réhabilitation. En voici un passage essentiel : « [.,.] L'éligibilité de tout citoyen n'exclut pas d'autres causes d'exclusion que celles découlant des décrets constitutionnels [...] » 18. Le législateur avait accordé la citoyenneté aux comédiens selon le principe de citoyenneté égaux en droits au sens de la loi. L'Église les a rejetés au nom de la morale.

Pour les adeptes de Rousseau, l'existence d'un préjugé répandu et persistant qui considère l'agir comme une activité contraire à la morale sociale justifie pleinement l'éloignement irrévocable des acteurs des affaires publiques. Lorsque s'ouvre le débat du 23 décembre 1789, l'abbé Maury affirme que la morale est la première loi. L'exercice de cette profession est contraire aux bonnes mœurs, il n'est donc pas préjudiciable de la condamner. Par conséquent, les acteurs ne peuvent pas être élus dans les municipalités pour des raisons d'immoralité : « La morale est la première loi : la profession théâtrale viole essentiellement cette loi [...]. Les révolutions dans l'opinion publique ne peuvent pas être aussi rapides que nos décrets [...]. Nous avons peur de dégrader les communes

16. Moniteur n°124 du 24 décembre 1789, séance du jeudi 24 décembre, p. 504

17. Moniteur n° 125 du vendredi 25 décembre 1789, suite de la séance du jeudi 24, p. 508

18. Éd.

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s'il faut les rendre dignes de respect pour gagner leur confiance »19.

Cette thèse est reprise par l'évêque de Nancy, M. de la Fare, qui appuie les arguments de l'abbé Maury. Ceux qui s'opposent à l'éligibilité des acteurs sont essentiellement des gens d'église. Mais c'est dans la séance du lendemain, jeudi 24 décembre 1789, que le marquis de Marnezia prépare et utilise le noyau de ce dossier. L'orateur propose à l'Assemblée d'examiner les thèses du Citoyen de Genève. Il considère les arguments développés dans la lettre à d'Alembert comme des vérités irréfutables et demande à l'Assemblée nationale de s'en inspirer avant de se prononcer sur l'éligibilité des acteurs : "Tous les membres de cette assemblée semblent avoir des opinions différentes dans leur esprit , auteur immortel du contrat social. Mais, messieurs, Rousseau n'est pas pleinement inclus dans ce livre, on le retrouve dans ses autres ouvrages. Lisez sa Lettre sur le sujet qui le concerne : vous y verrez ce qu'il pense des comédiens, et peut-être alors vous sentirez-vous qu'elle ne devrait pas leur accorder le droit de participer à ses assemblées administratives" 20.

L'immoralité des acteurs était incompatible avec l'élection à des fonctions publiques. La deuxième raison invoquée par le Genevois est le public et l'influence pernicieuse du personnel du théâtre. Le marquis de Marnezia pensait sans doute aux célèbres vers de la lettre à d'Alembert sur les spectacles où Rousseau dépeint les acteurs et surtout les actrices comme des agents de la dissolution du corps social, mais aussi et surtout comme le facteur principal de la corruption du corps politique : « Après tout, je ne vous donne pas trente ans pour être les arbitres de l'État, pourvu que vous ajoutiez l'art et l'habileté à votre succès. Nous verrons des candidats aux fonctions se disputer les faveurs du vote : le les élections auront lieu dans les loges des actrices, et les chefs d'un peuple libre seront les créatures d'une troupe d'acteurs.

La contre-révolution utilisera abondamment ces arguments pour discréditer l'Assemblée nationale. L'inclusion d'acteurs dans les réunions de gestion est tournée en dérision. il s'agit de

19. Moniteur n° 123 du jeudi 23 décembre 1789, p. 500

20. Moniteur n° 124 du jeudi 24 décembre 1789, p. 504

21. Rousseau a également dénoncé la vénalité des acteurs : « Qu'est-ce que le métier d'acteur ? Un commerce dans lequel il se représente pour de l'argent, se soumet à des abus et des insultes achetés, et offre publiquement sa personne à vendre » (ibid., p. 186).

22. Rousseau, op. cit., p. 222.

LETTRE SUR L'EXEMPLE DE CONSTITUTION 1135

discréditer les représentants du peuple. En 1790, dans une pièce anonyme O Novo Bolo de Reis ou Rei do Feijão, des représentants de district violemment confrontés sont considérés comme incompétents et fiers de leur pouvoir. Parmi les raisons invoquées, mention est faite du rôle politique que les comédiens avaient assumé depuis les décrets de décembre 1789 : arrogance intolérable. Saint-Prix quitte le bonnet cardinal, l'aube et le bonnet 'Médici** pour se parer de la ceinture nationale, et le même sabre avec lequel il joue Mahomet n'est pas apte à diriger les soldats français qui courent ce risque qui menace la liberté, mais à réunions de patrouille; un dugazon garde ses bottes grinçantes hors de l'acte et fait son devoir en faisant des farces dans le poste de garde; toutes les marionnettes de Paris ont des épaules d'officiers" 23.

Depuis le début de la révolution et tant que leurs intérêts liés au monopole du répertoire n'étaient pas menacés, les Comédiens Français multipliaient leurs prix civiques. Sous la pression des événements, la Comédie Française ferme ses portes le 13 juillet 178924 et de nombreux comédiens rejoignent la milice bourgeoise. Dugazon et Talma vêtus d'uniformes de la Garde nationale. Grammont et Saint-Prix sont capitaines, Naudet a le grade de colonel. Ces promotions militaires ne sont pas toujours prises au sérieux ; ils évoquent même des sautes d'humeur. Un mois après la prise de la Bastille, de nombreux bourgeois s'indignent et n'aiment pas être placés sous les ordres de certains officiers de la Garde nationale, qui se contentent d'applaudir ou de siffler à volonté pour quelques soles au théâtre. Avec des soumissions et des dons répétés du public, les acteurs veulent démontrer publiquement leur patriotisme tangible. Mais l'humiliation de sa condition la rendait inéligible ; par conséquent, les acteurs ont été exclus de la gestion des affaires publiques.

Les débats de décembre 1789 sur l'éligibilité aux Assemblées administratives sont ainsi autorisés par le décret du 24 décembre 1789,

* Anmerkung des Autors: „Messieurs de la Comédie Française“. ** Anmerkung des Autors: „In der Tragödie Karls IX.“.

23. Novo (o) bolo de reis ou le roi des haricots, comédie en un acte et en prose. A Paris, de l'Imprimerie du Mannequin Royal, 1790, 56 p., à -8°.

24. A partir du 12 juillet, les théâtres, désertés depuis plusieurs jours, commencent à fermer. L'opéra se termine le 12 juillet, suivi de la Comédie Française le lendemain. Jusqu'au 21 juillet 1789, date de la réouverture des théâtres, les théâtres n'osaient ouvrir ni proposer de spectacles. Le « show » se déroule d'abord dans la rue.

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une réhabilitation morale des acteurs. Il a supprimé cette citoyenneté restreinte. Mais le biais de la honte a eu une vie difficile. L'église responsable de l'anathème a refusé les sacrements aux acteurs. Elle a refusé à Molière un enterrement chrétien et a pris la même position pour Adrienne Lecouvreur. Au nom du même préjugé, le curé de Saint-Sulpice Talma 25 rejette le sacrement de mariage. Ici plus que l'acteur devient l'interprète de Charles IX. pointu

Mais l'année 1789 se termine par un nouvel exploit. Les acteurs, ces nouveaux maîtres du peuple, sont désormais de véritables citoyens. En 1791, c'est le théâtre qui gagne en liberté ; le dramatique Ancien Régime est, à son tour, renversé. De l'un à l'autre, ces deux événements vont faciliter l'émergence d'une nouvelle scène. D'auteurs à interprètes, la mutation profonde de l'art dramatique, de son esthétique et de sa mission, s'est imposée comme un impératif national.

RENÉ TARÍN *.

25. En avril 1790, le curé de Saint-Sulpice refuse que Talma épouse Julie Carreau, une ancienne danseuse. Fort de l'autorité des droits civiques que l'Assemblée nationale venait d'accorder aux comédiens, Talma adressa une lettre de protestation à l'Assemblée nationale le 12 juillet 1790. Enfin, en avril 1791, il se maria en l'église Notre Donne-moi - de -Lorette. Mais il est inscrit comme citoyen de Paris au registre paroissial, sa qualité d'intérimaire n'est pas mentionnée.

26. Voir René Tarin, Le Théâtre de la Constituante ou l'École du Peuple, thèse de doctorat. Université Paul Valéry (Montpellier m), janvier 1996, 477 p.

* Lycée Masséna, 2 av. Felix Faure, 06050 Nizza Cedex.

DU CODE CIVIL AU CODE PÉNAL : UN RÉSUMÉ VILLIERIEN DE STENDHAL

L'art est la meilleure lecture de l'art. George Steiner, Présences réelles, L'art du sens.

Lorsqu'on lui demande si Villiers de l'Isle-Adam Stendhal l'a lu, Victor del Litto, qui regrette de ne pas avoir inquiété les exégètes de tel ou tel écrivain, apporte un élément de réponse, - en l comme en présence d'un exemplaire de Promenades dans Rome à la bibliothèque de Villiers (mis en vente à Drouot-Richelieu le 15 novembre 1991 1). Cependant, il cite, bien qu'indirectement et incomplètement, la comparaison déjà mentionnée par Alan Raitt à propos d'Isis, que je reproduis ici longuement :

Le décor italien [d'Isis] rappelle La Chartreuse de Panne, notamment dans les conversations entre Forsiani et Wilhelm, qui ressemblent beaucoup à celles entre Mosca et Fabrice ; mais c'est plus un sentiment général plutôt que des prêts spécifiques. deux

Un autre emprunt, cette fois évident et certainement plus intéressant, est à nouveau évoqué par Alan Raitt. En effet, lorsque Villiers publie Deux essais de poésie en 1858, son premier texte publié - il a alors vingt ans - précède « Zaïra », le second des deux ouvrages, dont l'épigraphe se lit « de Stendhal » [sic] est attribué répéter presque textuellement une anecdote racontée dans De

1. "Leitor Villiers de l'Isle-Adam de Stendhal", Stendhal Club, no. 138, 1993, p. 178.

2. Villiers de l'Isle-Adam, Complete Works, ci-après O.C., édition préparée par Alan Raitt et P.-G. Castex, avec la collaboration de J. M. Bellefroid, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. Je p 1046-1047. Je précise la limite.

3. La référence à Stendhal disparaît lorsque Villiers inclut "Zaïra" dans le recueil de ses premiers poèmes l'année suivante, 1859. Il adopte alors la source orientale "Ebn-Abi-Adglat" citée par Stendhal lui-même, à une orthographe près près : "Ebn-Abi-Adglah".

RHLF, 1996, no. 6, p. 1137-1143.

1138 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

L'amour, dont le poème lui-même est une sorte de paraphrase réussie. Citant Stendhal :

« Sahid, fils d'Agba, a un jour demandé à un Arabe : De quel peuple es-tu ? "Je fais partie de ces gens avec qui on meurt quand on aime", répondit l'Arabe. - Alors, tu es de la tribu Azra, ajouta Sahid ? - Oui, seigneur de la Kaaba, répondit l'Arabe. - Comment se fait-il que tu aimes autant ? Sahid a alors demandé : "Nos femmes sont belles et nos garçons sont chastes", a répondu l'Arabe. "4

Les deux dernières lignes fournissent l'épigraphe de Villiers et, bien sûr, déplacent l'accent de l'histoire en faveur du lien entre l'amour et la mort sur lequel le poème se termine, ouvrant un monde de suggestions qui, comme le commente Alan Raitt, "[ont fleuri] . ] plus tard dans « Akëdysséril » et Axël »5 :

Je suis de la tribu d'Azra,

On meurt avec nous quand on aime.

C'est ainsi que Villiers a lu Stendhal, mais les résultats restent modestes et l'on pourrait presque suivre le bilan de Mallarmé, qui promet une intertextualité particulièrement féconde pour cet écrivain doté d'une étonnante mémoire qu'était Villiers : les années à venir [...]" 6 .

Mais peut-être convient-il aussi de reporter la question : « Villiers n'a-t-il pas lu Stendhal ? ou "Qu'avez-vous lu ?" ou "Quelles influences spécifiques pouvez-vous identifier ?" mais « quel est votre point de rencontre (textuel) ? ce qui ne nous empêcherait pas de nous demander, par exemple -après une compréhension large de l'intertextualité, qui était déjà celle de Proust- si "Villiers" dans Stendhal 7 n'aurait pas un -petit-côté.

Non certes que les convergences soient immédiatement apparentes, mais il est un cas d'appropriation de Stendhal par Villiers qui mérite notre attention. En effet, dans "L'invité des dernières fêtes"8, le narrateur homodiégétique évoque l'autorité de Stendhal dans les circonstances les plus troublantes - d'autant plus que c'est, à mon avis, presque la seule mention de l'auteur de Vermelho e Preto dans

4. Cité dans O.C., t. Je pag. 14-15 et p. 1029-1030.

5. O.C., t. Yo p 1030

6. "Villiers de l'Isle-Adam" dans "Quelques médaillons et portraits complets", O.C., hrsg. H. Mondor et G.-J. Aubry, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1945, p. 491.

7. Veja o que o narrador chama de "pequena página de Dostoiévski das cartas de Madame de Sévigné", A l'ombre des jeunes filles en fleurs, ed. P. Clarac e A. Ferré, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1973, t. eu p 654

8. Contes grausam, O. C., t. Ich, p. 607-630.

UNE SIGNATURE DE VILLIERINE DE STENDHAL 1139

L'oeuvre de Villar. 9 Le narrateur vient de découvrir que « l'invité inconnu » qui, après le bal de l'opéra, était venu dîner à la Maison Dorée avec deux hommes (dont lui-même) et trois courtisanes, n'était venu à Paris que pour remplir ses fonctions. lors d'une exécution publique prévue le lendemain. La nuit étant déjà avancée, l'énigmatique personnage apparaît, après avoir à demi avoué son secret au narrateur, qui interrompt le récit pour s'autoriser une longue digression, qui mérite d'être citée presque intégralement :

Lecteur, un mot ici. Comme on le sait, lorsque Stendhal a voulu écrire une histoire d'amour plutôt sentimentale, il a d'abord relu une demi-douzaine de pages du code pénal, dix, afin, disait-il, de faire ce qui lui était dû. Quant à moi, depuis que je me suis mis à écrire certaines histoires, après mûre réflexion, j'ai trouvé plus pratique d'aller simplement le soir dans l'un des cafés du passage de Choiseul où feu M. X **, l'ancien exécuteur testamentaire des grands travaux de Paris, venait presque quotidiennement jouer incognito leur petit jeu impérial. […] J'étais assis à une table voisine et il me distrayait un peu quand, emporté par le démon du jeu, il s'est soudain exclamé : « Je coupe », ne voulant pas être méchant. Je me souviens y avoir écrit mes inspirations les plus poétiques, pour utiliser une expression bourgeoise. - Ainsi, j'étais à l'abri de cette grande horreur conventionnelle que ces messieurs en robes courtes 11 suscitent chez les passants.

Le même lecteur auquel s'adresse le narrateur - et Villiers au-dessus du premier - n'aura pas manqué de se livrer aux quelques réflexions qui suivent :

1. Le narrateur est lui-même écrivain, et lorsqu'il invoque l'autorité de son illustre prédécesseur, il est pertinent d'y lire une forme de descendance supposée qui soulignait l'analogie dans le processus de création -c'est le thème 12 de la digression- qu'il a vient de confirmer. Le principe de digression, peu pratiqué par Villiers, et la conjuration directe du lecteur dans la fiction peuvent apparaître comme une sorte d'attitude mimétique calquée sur le modèle de la littérature.

9. A l'exception de l'épigraphe des Deux Essais de Poésie, car le nom de Stendhal n'apparaît pas dans le texte des Premiers Poèmes. Je le dois également à la vigilance courtoise et bienveillante d'Alan Raitt pour corriger une omission et une inexactitude de faits. Cependant, je dois rendre hommage au manque de pertinence stendhalienne de l'incident rapporté, comme l'ont souligné les commentateurs de la Pléiade. Voir « Beautiful », dans Premières Poésies, O.C., t. Je pag. 19 et remarque :

Quant à l'amour sceptique... "Sendhal !" chacun a sa parole bien dite dans votre intime, bien relevée, bien conclue, bien répondue, mon Dieu ? ...

10. Mon trait de soulignement. Voir ci-dessous.

11 points cit., p. 620

12. Le sujet mais pas l'objet : Curieux détour, à la fin duquel on demande à Stendhal de justifier l'insensibilité du narrateur aux « messieurs en tunique courte » de la fin. Comme si, en retour, Stendhal devait partager la curiosité du narrateur pour l'exécution capitale au prix d'une suggestion logiquement inadmissible mais pragmatiquement efficace.

1140 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

Modèle. Quant à l'ironie du ton de l'ensemble, elle ne pardonne pleinement ni à Stendhal ni au narrateur, car elle se situe dans le paradoxe stendhalien, qui en soi n'avait rien d'ironique, et c'est donc de cela qu'il s'agit ici. , une ironie de Viller, l'attitude ironique peut cependant être considérée comme un hommage à Stendhal.

2. Plus important encore, le soutien de Stendhal permet à Villiers d'associer étrangement la création littéraire à la guillotine. L'association s'est opérée au prix d'un écart, c'est-à-dire très précisément d'un « glissement » ou, peut-être mieux ici, d'un déplacement que l'on peut qualifier de doublement « capital » par rapport à l'objet. 14. On sait que Stendhal, dans sa réponse à l'article de Balzac sur La Chartreuse de Parme, mentionne le 'Bürgerliches Gesetzbuch', il aura aussi la satisfaction de compter parmi les lectures de Stendhal de Villiers la fameuse réplique : 'En composant la Chartreuse , écrivait-il justement à Stendhal, pour donner le ton, je lis tous les matins deux ou trois pages du Code civil."

Mais ce qui mérite peut-être encore plus d'attention, c'est de savoir ce qui permet à Villiers, Stendhal, d'associer la guillotine à la création littéraire, s'il est vrai qu'elle « inspire la mort », comme l'écrit Céline dans Voyage au bout de la nuit. Sur un plan général, on peut répondre que l'ombre de la machine noire s'étend sur la totalité du rouge et du noir. Car il ne s'agit pas que de l'exécution de Julien. Celui-ci est développé tout au long du roman et est lié en contrepoint au motif symbolique de la décapitation de Bonifácio de la Mole, amant de Marguerite de Navarre et ancêtre de Mathilde. Citons le commentaire d'un de ces personnages du roman :

Ce qui retint l'attention [de Mathilde] dans cette catastrophe politique, c'est que la reine Marguerite de Navarre, cachée dans une maison de la place de Grève, osa interroger le bourreau sur la tête de son amant. Et la nuit suivante, elle a eu cette tête

13. Sur l'ironie comme « paradoxe argumentatif », voir Alain Berrendonner, Éléments de pragmatique du langage, Paris : Minuit, 1982, p. 222 : « Dans une expression ironique [...] ce que dit l'expression est le contraire de ce que dit l'expression. »

14. Villiers lui-même met implicitement le jeu de mots dans la bouche de l'invité mystère.

15. Patrick Wald Lasowski a déjà évoqué ce changement dans Les Échafauds du romanesque, - PU de Lille, coll. 27 - qui commente : « Villiers court droit au but : [...] c'est l'exécuteur lui-même qui essaie. Poétique du bourreau, car plus il fait froid, plus il brûle. Mais la portée de l'intertextualité elle-même n'est pas remise en question.

16. Cité par R. Stéphane, La Gloire de Stendhal, Paris, Quai Voltaire, Petit recueil bleu, 1994, p. 106.

UNE DESCRIPTION VITLLIERIENNE DE STENDHAL 1141

dans sa voiture et alla l'enterrer dans une chapelle au pied de la butte Montmartre. 17

La noblesse de sang et de caractère de Mathilde, son ivresse héroïque -qui est une manière unique d'érotiser l'héroïsme-, les circonstances du supplice de Boniface de la Mole, le comportement de Marguerite de Navarre, qui dictera sa conduite à Mathilde après l'exécution. de Julien, la passion troublante finalement au prix de la mort, qui scelle enfin l'amour de Mathilde pour son bien-aimé, tout cela est en quelque sorte trop villierien pour ne pas avoir été remarqué par Villiers 18. La preuve en est que Villiers s'est fait par lui une lecture de rouge et noir à la réécriture d'un tel passage, que nous avons arrêté à la fin.

En effet, tout au début du roman, avant même la présentation de Julien à Madame de Rênal, Julien entre dans l'église de Verrières et voit « un papier imprimé » sur lequel « les détails de l'exécution et les derniers instants de Louis Jenrel , exécuté à Besançon, en...", le hante comme une prémonition :

- Qui pourrait y mettre le papier ? dit Julien. Pauvre type, ajouta-t-il avec un soupir, son nom a fini par être le même que le mien... et froissa le papier.

En sortant, Julien crut voir du sang près du bassin, c'était de l'eau bénite qui avait été aspergée : le reflet des rideaux rouges qui couvraient les fenêtres donnait l'impression de sang. 19

Or c'est ce dernier paragraphe que Villiers réécrit dans un autre contexte à la fin de "L'invité des dernières fêtes", le même récit dont le narrateur s'inspire de Stendhal. Tout se passe alors comme si Villiers -et peu importe que ce soit volontaire ou inconscient- avait placé Stendhal à l'horizon de "l'invité" pour lui offrir sa lecture, qui dans ce cas est une paraphrase. Jugeons. Les fêtards de Casa Dourada sont désormais sobres après l'histoire de folie racontée par un médecin, invité tardif (monoma17.

(Monoma17. and news, Hrsg. R. Martineau, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1947, T. I, S. 502.

18. Je pense notamment à "La Reine Ysabeau", op.cit., p. 680-685, qui renverse des éléments de la même situation. Par jalousie, la reine se venge de son amant capricieux, à qui elle accorde une dernière nuit d'amour, mais incendie en même temps la maison de sa supposée rivale, que le jeune homme doit kidnapper et séduire. Ce faisant, il le prive de tout alibi et l'envoie place de Grève pour exécution. Eh bien, celui-ci s'appelle... un Maulle. L'histoire de Villiers fait également partie d'un premier projet proposé par une maison d'édition de Villiers intitulé Les Grandes Amoureuses. Voir notice, ibid., p. 1313. Outre cette intuition, Sabine Ceysson, doctorante à l'Université de Stendhal (intéressée par la « scène de crime dans l'œuvre de Stendhal »), m'indique le lien possible avec Campobasso, la princesse romaine de la chronique. ". San Francesco a Ripa", pour lequel la reine Ysabeau n'a rien à envier. Si vous avez besoin d'une preuve...

19 janvier cit., p. 238

1142 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

niaque) du mystérieux inconnu. Et pourtant, cette même curiosité est un vice partagé par tous les invités d'Enforcer by Vocation. C'est du moins ce que suggère le narrateur :

Cela ressemblait à six.

« Attends, dis-je en désignant l'horloge, voilà une heure qui nous rend un peu complices de la folie de cet homme. Ne sommes-nous pas aujourd'hui plongés dans une barbarie presque aussi sombre que la vôtre ? »

Il ne manque plus que le lecteur qui s'intéresse également à l'affaire. Mais ce sont les dernières lignes qui donneront le ton à la paraphrase de Villiers de la vision de Julien :

Au sixième coup, tout le monde frissonna profondément et je regardai pensivement la tête de démon couleur cuivre tenant les vagues sanglantes de rideaux rouges sur un cintre.

D'un texte à l'autre on retrouve l'hallucination du sang associée à la représentation de la peine de mort, et même le même support concret pour l'analogie des "rideaux rouges" : des éléments qui, réunis, suffisent à rendre le texte de Stendhal plus que probable hypotexte fait par Villiers. Il faut cependant insister sur le travail de différenciation qui fonde la réécriture comme appropriation puis comme création.

1. A la différence de Stendhal, Villiers fuit l'explication du fonctionnement analogique pour montrer la chose elle-même comme telle. Ainsi, on peut parler à juste titre d'une hallucination qui se communique au lecteur au-delà du personnage ou du narrateur grâce à l'économie de moyens dans laquelle se condense l'image finale : « les vagues sanglantes des rideaux rouges ». C'est dire que chez Villiers la métaphore est le fondement du fantastique.

2. Du roman à la nouvelle, l'effet recherché est bien différent. D'une vision prémonitoire et fugace qui constitue une pierre dans la narration, elle passe à un effet poétique qui cherche à élever l'actualité à une vision de terreur qui transcende tous les mots -tout le monde est pratiquement silencieux- et donne la mesure de l'indicible.

3. Si la force de l'image semble perpétuer l'instant pour Villiers -l'instant qui est l'instant de la mort-, le rythme du mouvement contribue au même effet, le soustrayant à la linéarité du temps. Il se développe ainsi à une cadence plus élevée tendant vers l'isosyllabique de ses groupes constitutifs : "- et je regardais pensivement (7 ou 5/2) la tête d'un démon cuivré (8), aux traits tendus (4), tenant ( 4 ), sur un pieu (') (4), les vagues sanglantes

20. Éd., p. 627.

UNE SIGNATURE DE VILLIERINE DE STENDHAL 1143

rideaux rouges (8 ou 4/4) ». L'image finale est donc la plus tardive possible, alors que chez Stendhal elle est donnée dès le début. Cependant, il est préparé dans le contexte immédiat par une vision de la mort qui n'a plus besoin d'être explicitée ("une tête de cuivre de démon, aux traits tendus") car générée par le texte lui-même dans son habillement. Ici, donc, un mot poétique ou performatif est donné à lire qui réalise ce qu'il dit.

Ne faites pas d'erreurs. Il ne s'agit nullement de décider si Villiers est supérieur à Stendhal : dans les deux cas certains moyens servent des fins différentes. En revanche, la réponse à la question de savoir si Villiers a lu Stendhal implique une tentative de comprendre ce qu'il en a fait, ce que nous tentons ici modestement de paraphraser. Mais si chez Stendhal l'amour est le moteur de l'écriture romanesque, Villiers écrivain est beaucoup plus fidèle à une forme de rencontre avec la mort, à laquelle la première dans son œuvre donne des visages différents, l'amour mortel des courtisanes pour l'amour. amants sublimes.

Dans El Rojo y el Negro, le comte Altamira déplore la partisanerie dominante. Et il ajoute :

Il n'y a plus de vraies passions : c'est pour ça qu'on s'ennuie tant en France. Nous faisons la plus grande cruauté, mais sans cruauté 21.

Sans doute l'auteur des Contes ment-il méchamment à ce personnage, ce qui indique peut-être qu'il a bien lu Stendhal. Il n'est pas nécessaire qu'il « commette » des atrocités. Peut-être suffit-il d'écrire (si vous êtes Villiers) ou de réécrire pour ne plus vous ennuyer,

BERTRAND VIBERTO*.

21 points cit., p. 494

* Université Stendhal, Grenoble.

UNE ÉTUDE D'IRONIE DANS LE PLAISIR SACRÉ DE MALLARMES

L'Après Midi d'un Faune a marqué une nouvelle étape dans la poésie de Mallarmé, non seulement pour la douceur de la ligne mélodique, pour le lyrisme délicat, pour l'érotisme intellectuel ou pour la recherche d'un langage qui traduise les modulations rythmiques de l'âme . Avec Hérodiade et d'autres pièces écrites à Tournon et Avignon (à l'exception peut-être du Démon de l'Analogie), toutes presque uniformément empreintes d'esprits métaphysiques, L'Après Midi d'un Faune introduit un ton nouveau, léger et délicat, où des réflexions très sérieuses sur le doute, le rêve et l'art se détendent avec ironie et un ton humoristique. Dès l'installation rue de Rome de Mallarmé, la lyre métaphysique du poète, comme celle du fabuleux faune, devient de plus en plus apte à toutes les ruses linguistiques et correspond à l'exquise urbanité de ce nouvel homme de salon qu'il est devenu, entouré d'amis spirituels. comme Whistler et Berthe Morisot. Dans la plupart des œuvres en prose, La Dernière Mode, Conflit, Le Nénuphar Blanc, Rêveries d'un poète français, Parenthèse, Solennité, Plaisir Sacré et autres, l'ironie est implicite, associant parfois, comme le poète, « la méditation en fumée. ". L'ironie si souvent utilisée dans le corps élancé de ses œuvres devient la marque de fabrique de ce poète mondain et mystique.

Plusieurs critiques ont attiré l'attention sur l'usage fréquent de l'ironie dans l'œuvre de Mallarmé, qu'il s'agisse des jeux de mots et de la diffusion du sens, ou de l'intériorité du poète. Comme l'écrivait récemment Roger Dragonetti à propos des textes de La Dernière Mode : « Il faut bien voir que Mallarmé, homo totus ambiguus, pratique constamment un art consommé de la dilution, dont l'ironie invite le lecteur à deviner. Le manteau d'un ouvrage didactique, la richesse qui s'y déploie RHLF,

dit RHLF, Non. 6, p. 1144-1165.

UNE ÉTUDE D'IRONIE DANS LE PLAISIR SACRÉ DE MALLARMÉ 1145

mule » 1. Charles Mauron, dans sa thèse psychanalytique, traite l'ironie comme le signe de la sublimation réussie des idées dérangeantes chez le poète 2. George Poulet, qui voit dans l'ironie et le ton humoristique des symboles de la sagesse en opposition à la folie, les associe à un équilibre psychologique, comme cela fonctionne, par exemple, dans Prose pour des Esseintes, où le "sourire" de la "sœur tendre et sensible" reflète le bon sens, l'amortissement de la folie de son frère spirituel 3 .

Compte tenu de l'importance que Mallarmé attribuait apparemment à l'ironie 4 et des constats critiques sur la prédominance du discours ironique dans l'œuvre du poète, il est surprenant de voir que dans les recherches prolifiques de Mallarmé, sauf par hasard de ma part, il n'y a pas d'étude consacrée uniquement à analyser le rôle de l'ironie dans un texte donné. Alors, pour contribuer à ce domaine moins négligé et mettre en lumière d'autres aspects essentiels de l'ironie qui sont pour la plupart négligés, je propose une lecture de Plaisir Sacré, un essai critique consacré au culte de la musique et dans lequel l'ironie fait partie intégrante. d'apologie du contre-culte de la poésie.

En examinant les énoncés discrets de ce texte, je soulignerai, d'une part, les différents aspects morphologiques de l'ironie et le ton humoristique qui l'accompagne souvent,

1. Roger Dragonetti, Un fantôme dans le kiosque : Mallarmé et l'esthétique du quotidien (Paris, Éditions du Seuil, 1992), p. 17

2. Introduction à la psychanalyse de Mallarmé, Gefolgt von Mallarmé et le Tao et le Livre (Neuchâtel, La Baconnière, .1968), p. 161-171.

3. Georges Poulet "La Prose de Mallarmé", in Les Métamorphoses du Cercle (Paris, Flammarion), p. 439-457.

4. Dans « Soledad », texte en prose livré à la presse plein d'ironies, Mallarmé lui-même nous offre ses propres réflexions sur le discours ironique, dont les implications de l'ironie sont beaucoup plus larges que celles de la Critique révélées dans son commentaire. sur l'ironie du poète. Les définitions du poète renvoient avant tout au sens étroit de l'ironie : « l'affirmation d'une opinion [...] dans un sens et non dans l'autre » (Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibl. de la Pléiade 1945, p. 408). Mais dans la mesure où Mallarmé combine avec ironie une série de pierres de touche issues des expérimentations poétiques de l'époque et de ses propres investigations, à savoir la séduction du silence, du mystère, de la dissimulation, de la nuance et de l'imprécision de l'idée de « lignes courbes et contradictoires ». . mégots [qui] ne rechignent pas à finir en queue de poisson » (ibid., p. 408), on voit que chez lui le sens de ce terme s'élargit considérablement à un jeu de langage dont les processus, étant indissociables, semblent différents de ceux de la doctrine symboliste. Prenez les mots de Northrop Frye : "La méthode ironique consistant à dire une chose et à signifier quelque chose de tout à fait différent est incarnée dans la doctrine de Mallarmé d'éviter les déclarations directes", Anatomy of Criticism, p. 61). Notons aussi que cette « ruse » du langage, vestige de la littérature baroque, est aussi, comme le dit le poète dans une suggestion qui ne surprendrait pas le lecteur de « Un Golpe de Dios », où le mot ironie occupe la place centrale lieu. La mise en scène du texte se démarque, reflet esthétique de l'ironie cosmique : « Vestiges de luttes à l'ancienne à l'esprit généreux et baroque ou en phase avec le monde, dont les paroles sont d'ennoblissement direct ».

1146 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

et, d'autre part, choisir quelques indices qui illustrent les caractéristiques de l'esprit ironique. Pour conclure, je tenterai de mettre en évidence les considérations socio-esthétiques qui sous-tendent le discours ironique du texte ; plus précisément, d'examiner comment fonctionne l'ironie, remplaçant le prestige "cultivé" et "religieux" de la musique qu'elle cherche à ébranler par la dérision, une communauté spirituelle de lecteurs qu'elle cherche à fonder par le charme de son langage.

L'article de Mallarmé est consacré à montrer l'effet quasi religieux de la musique sur le public des célèbres concerts de Lamoureux. Lors de son inauguration en 1881 et jusqu'en 1887, ces concerts du dimanche à Paris, dirigés par Charles Lamoureux, circulaient de salle en salle (au Théâtre du Château-d'Eau, au Cirque d'Hiver, au Nouveau-Théâtre, au Théâtre d'Eden, entre autres). A partir de 1887 et pendant onze années consécutives, la salle du Cirque des Champs-Elysées (ou Cirque d'Été) fut le théâtre exclusif de 5 concerts et c'est probablement dans cette salle que le poète s'inspira pour la composition de Plaisir Sacré, publié en 1893 a été réuni avec deux autres textes pour former un triptyque intitulé Offices.

Les concertos de Lamoureux, en tant qu'écrivain ou poète, réuniront un public inégal « d'artistes ordinaires, d'intellectuels de la société et d'autant de cantinhos sincères » 6 et auront un impact énorme sur les artistes français et non publics. L'énorme prestige conféré aux concertos, comme le remarquait Romain Rolland, était dû en grande partie à l'exécution exubérante d'œuvres symphoniques, en particulier de Wagner, dont le nom figurait assez fréquemment dans les programmes d'Actes héroïques en référence à l'air d'opéra joué. concert. comme "essa música, aquela de hoje".

5. Pour plus d'informations sur les concertos de Lamoureux, voir Romain Rolland, Musiciens d'aujourd'hui (Paris, Hachette, 1908), p. 237-243.

6. Stéphane Mallarmé, Plaisir Sacré, Œuvres complètes, texte élaboré, présenté et commenté par Henri Mondor et G. Jean-Aubry, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1945, p. 388. Toutes les références au texte de Mallarmé sont issues de cette édition.

7. Si Baudelaire, Judith Gautier et Edouard Dujardin, fondateurs de la Revue wagnérienne, ont joué un rôle immense dans l'introduction de l'œuvre de Wagner en France, Charles Lamoureux a fait campagne pour Wagner depuis son bureau. Voir à ce sujet les travaux de Romain Rolland, op.cit., p. 237-243.

UNE ÉTUDE D'IRONIE DANS LE PLAISIR SACRÉ DE MALLARMÉ 1147

influence toutes les oeuvres, même peintes, de l'impressionnisme aux fresques en passant par le tumulte de la vie dans la veine du marbre".

Au tournant du siècle, la musique occupait le sommet de la hiérarchie des arts 8. Mais ce n'est que Wagner, dont l'influence est connue pour avoir exercé toute une génération d'artistes 9 , qui s'assura cette place éminente : qui est L'Évocateur Le 'chanson' de Mallarmé, il s'agit donc certainement d'une allusion indirecte à l'œuvre embellie du compositeur. Il faut noter cette amplification mythique (notée dans la phrase : « rébellion de la vie dans le grain de marbre » renvoyant au mythe de Pigmahon), cette signature clé du genre de parenthèses hyperboliques que Mallarmé entonnait pour mettre en doute leur notoriété. pour Wagner, il a une fonction dans les brouillons tendancieux du poète. En soulignant de manière extravagante et artistique l'influence de la musique sur les arts visuels, le poète semble essayer de se disperser dans le charme d'un sourire et l'exagération qu'il avait dans la poésie discutée plus loin dans mon essai.

Depuis le Vendredi saint 1885, lorsque Mallarmé, inspiré par Edouard Dujardin, se rend au Théâtre d'Eden pour interpréter une œuvre de Wagner (probablement Tannhäuser), le poète assiste régulièrement à ces célèbres concerts 11 , entouré de ses jeunes confrères ou admirateurs comme Valéry et Debussy. Et bien que dans notre texte le poète explique ces visites

8. Voir par le exemple proposé par Walter Pater : "Bien que tout art ait son élément incommunicable, sa séquence intraduisible d'impressions, son genre unique de raison imaginative, les arts peuvent néanmoins être représentés comme constamment régis par des lois ou des principes." , à une condition que seule la musique réalise pleinement » (« The Dialectic of Art », dans Essays on Literature and Art, ed. Jennifer Uglow, London, J.M. Dent & Sons.Ltd., 1973, p. 47).

9. Voir l'observation de Romain Rolland (op. cit., p. 216) : « La personnalité encyclopédique de Wagner et sa vaste œuvre d'art intéressaient non seulement la musique, mais tout le théâtre, et aussi la poésie et même les arts. visuels. On peut dire qu'à partir de 1885, elle a eu un impact direct ou indirect sur toute la pensée artistique, même sur la pensée religieuse et morale de l'élite parisienne. »

10. Il faut rappeler, bien sûr, qu'à partir de 1885, date de la fondation de la Revue wagnérienne, la musique était devenue le point ultime auquel la poésie aspirait, fait commun dont témoignent divers phénomènes littéraires : des titres musicaux que sont les poèmes ou les recueils couronné de vers (Gammes de Stuart Merrill, Sonatines d'Automne de Camille Mauclair et Samain : "Musique sur l'eau", "Accompagnement", "Musique confidentielle", "Musique", "Arpège", "Chant de 'Été, Viole' , etc.) aux tentatives d'instrumentation verbale les plus outrées et les plus audacieuses de René Ghil et aux expérimentations de vers libres de Gustave Kahn et d'autres de cette génération éminemment musicale.

11. Voir à ce sujet la remarque de Dujardin : « J'ai emmené Huysmans et Mallarmé au concert spirituel du Vendredi Saint à Lamoureux. La nuit fut décisive pour Mallarmé, qui reconnut dans la musique, et surtout dans la musique wagnérienne, une des voix mystérieuses qui chante dans sa grande âme, et qui ne cessa d'assister aux concerts du dimanche" (Mallarmé par l'un des siens, Paris, Messein, 1936, page 216).

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Par curiosité (« j'ai voulu anticiper l'occasion, j'y suis allé dans l'oisiveté »), certains de ses contemporains ont souligné sa passion pour la musique. Valéry, par exemple, dans son célèbre texte sur les concerts de Lamoureux, notait, à côté d'une « tristesse angélique » pour son ami qui cherchait désespérément les moyens de récupérer les merveilles de la musique pour la poésie, une véritable « joie » face à l'enchantement de Beethoven ou Wagner 12. Henri de Régnier, dans son portrait littéraire de Mallarmé aux concerts du dimanche, sans entrer dans les complexités analytiques de Valéry, écrit simplement : « Stéphane Mallarmé aimait passionnément la musique [... et] était [ .. .] cette cérémonie musicale [...]" 13.

Le décalage entre les souvenirs de Régnier et Valéry, d'une part, et l'« alibi » de Mallarmé, d'autre part, semble s'expliquer par un trait caractéristique d'une disjonction ironique, qui consiste « selon une définition de Paul de Man en une -division dans laquelle le moi linguistique s'oppose à affirme encore une certaine liberté et supériorité pour le moi empirique plongé dans la subjectivité de ses expériences et

L'esprit ironique du poète, qui s'élève au-dessus de ses propres expériences théâtrales, est fortement accentué par sa relation avec les autres participants. Ceux-là, les « petits carrés sincères » dont les yeux écarquillés sont « perdus, extatiques, par curiosité » ! », soumis à l'influence de la musique, connaissant, du fait de ses effets sublimes, une dissolution de la personnalité dans l'expansion collective de la « foule » 15. Ainsi note-t-il : « Le mélomane, quoique chez lui, efface », et ailleurs Le poète note que « la grandeur collective réside dans l'orchestre ». Contrairement à

12. « Un seul auditeur, écrit Valéry, soutient avec joie mais avec cette douleur angélique qui naît des rivalités supérieures, le charme de Beethoven ou de Wagner [...] Mallarmé a laissé des concerts emplis d'une sublime jalousie. Je cherchais désespérément un moyen de récupérer pour notre art ce que la musique trop puissante lui avait volé d'émerveillement et de sens. (Paul Valéry, « Au Concert Lamoureux 1893 », discours prononcé le 4 janvier 1931 à l'occasion du cinquantenaire des Concerts Lamoureux, in Œuvres complètes, Tome II, Édition éditée et annotée par Jean Hytier, Bibli. de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1957, p.1276).

13. Henri de Régnier, Figuren und Charaktere (Paris, Société du Mercure de France, 1901) p. 117-118.

14. Sur la disjonction ironique Paul de Man écrit : « Il se transfère du monde empirique à un monde qui se constitue de et dans le langage, un langage qui trouve dans le monde une entité parmi d'autres, mais qui reste unique parce qu'il est le entité unique par laquelle il se distingue du monde. Le langage ainsi conçu divise le sujet en un moi empirique qui plonge dans le monde et un moi qui devient signe dans sa tentative de différenciation et d'autodéfinition » (« Rhetoric of Temporaality » in Interpretation : Theory and Practice, éd. Charles S. Singleton, Baltimore : Johns Hopkins Press, 1969, p 196).

15. Sur l'expérience collective des spectateurs, voir Valéry, op. cité p. 1275.

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la distance constatée par le poète « suspect », les divers enchantements de son art rival, les auditeurs crédules semblent attendre la « figure du divin » et s'abandonner au flot vague des émotions viscérales et primitives (« peur et « instinct »), ému par le « gouffre turbulent » de la musique et sobre et réservé en semaine, le dimanche, quand l'oreille est sourde aux « murmures de la raison », en l'absence de discours au Parlement, le public participe aux grandioses rites dionysiaques de des soirées "d'exaltation avec des orgies, des moments inoubliables et des gloires. Par une libation de sons dont ils ne comprennent pas le sens, la musique devient pour eux une source de purification rituelle, un antidote à la médiocrité de ce que la presse quotidienne décrit comme leur « petit jeu de l'existence épanouie en politique ».

Les termes utilisés pour décrire l'effet de la musique sur l'auditeur : "exaltation", "extase", "immémorabilité", "orgie de gloire", "pure" - tous véhiculant une effervescence religieuse et suggérant une glorification héroïque, sont traduits en conséquence. perspective irrespectueuse et dégradante du poète dans des formules péjoratives : "trains infinis", "Gießen z An. Ainsi, deux registres, l'un religieux-héroïque et l'autre comique/ironique ; l'un de bas en haut, l'autre dans une perspective réductionniste, se réfèrent et accentuer le type de relation qui s'établit entre l'ironiste distant et irrévérencieux et les mélomanes prêts à frissonner d'extase, enivrés de "Mysticisme" et de "Religiosité".

Un détail dans la description de la taille des vêtements des assistants, leurs "petits manteaux" un peu nains, ne peut être négligé comme un embellissement fantaisiste, car il souligne la distance spatiale entre le poète et les autres participants, ainsi que la distance psychologique . entre ces deux acteurs du discours ironique. Elle suggère aussi le soulagement et le choc que l'ironie évoque, une hiérarchie des valeurs qui sous-tend ce type de discours et, enfin, la relativisation du culte de la musique. La portée historique des concerts et l'enchantement religieux semblent moindres, tout comme les compagnons miniaturisés de la couverture, en accord avec la perspective détachée et sublime du poète, fondée sur sa croyance en la suprématie de la poésie. Ce « dernier et complet culte humain » qu'est la musique est célébré par les Lilliputiens et sa valeur socioculturelle n'a cessé de diminuer, voire de se déshumaniser, ainsi que sa taille physique ; il perd le sien aussi

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valeur eschatologique ("le dernier culte [...] humain") et devient un culte temporellement relativisé comme un vêtement dans l'espace.

Ces polarités psychologiques et idéologiques rencontrées par l'examinateur s'inscrivent fondamentalement dans un paradigme proposé par le critique D.C. Muecke sur le rapport Conventionnel entre o ironista e sa Victim. Selon lui « l'ironiste voit la victime comme forcée où elle se sent déconnectée ; emprisonné ou captif où il se sent libre ; conduit par l'émotion, où vous êtes impartial, contrôlé ou même fait pour rire ; confiant, crédule ou naïf où critique, sceptique. Et quand sa propre attitude est celle d'un homme dont le monde semble réel et significatif, il verra le monde de la victime comme illusoire et absurde.

La religiosité des spectateurs des concerts de Lamoureux, décrite par Mallarmé, n'est nullement un phénomène résultant des caprices du poète : ses évocations renvoient à des faits bien documentés. En effet, de nombreux écrivains de l'époque se référaient à l'atmosphère religieuse des concerts pour suggérer que la musique remplaçait un catholicisme mécontent. Henry Bérenger, par exemple, écrivait en 1895 : "Écouter une symphonie de Beethoven lors des concerts du dimanche emplit le cœur d'une émotion plus religieuse que d'entendre la messe sur la Madeleine." des concerts où Lamoureux en chaire interprétait sacerdotalement les oeuvres symphoniques tout en officiant dans le faste de l'église 18. Et Valéry, qui disait de Lamoureux et de la symbolique liturgique de la chaire : « Il monta en chaire. aurait été dit capable celui qui est monté sur l'autel" 19.

Mallarmé, à son tour, reprend ces thèmes. Il pointe du doigt la transformation de l'art profane en culte spirituel : « ce qu'il annonce comme l'épanchement d'un art s'est depuis vu attribuer [...] un motif différent [...] la musique annonce le dernier et complet service humain ». L'enthousiasme religieux des adeptes de la secte se substitue à la compréhension esthétique des dilettantes : « Ce n'est pas une question d'esthétique, c'est une question de religiosité20. » Mais Mallarmé ne s'en soucie certainement pas.

16. D. C. Muecke, The Compass of Irony (Londres et Nova York, Methuen, 1980), p. 218.

17. Zitiert von Bertrand Marchal dans La religion de Mallarmé (Paris, José Corti, 1988), p. 270.

18. Camille Mauclair, Le Soleil des morts (Genebra, reimpressões de Slatkine, 1979), p. 15-1

19. Valéry, op. cit., p. 1275.

20. Voir cette observation de Mallarmé : [...] l'instinct religieux continue d'être un moyen offert à chacun pour renoncer à l'art, il le contient à l'état embryonnaire, et l'art ni en lui-même ni purement ne rayonne ce qui est distrait par cette influence. (cité dans Dragonetti, op. cit., p. 141).

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laisse le privilège de l'autel au musicien et ainsi, sous le couvert religieux des nuits musicales, parvient à déchiffrer un soubassement creux en utilisant l'ironie comme instrument de cet anéantissement :

Dès le début du texte, le prestige quasi religieux de la musique devient la cible d'attaques et de démystifications, mais pour mieux détruire son auréole mystique, le poète n'hésite pas à jouer d'abord le rôle de l'avocat du diable. Sur un ton solennel auquel il faudra bientôt ajouter un grain de sel, Mallarmé déclare : « La note de retour dans la capitale est désormais donnée par l'ouverture des concerts ». Un tissu de connotations sacrées se tisse autour de la "note". Inspirant une peur vertigineuse ("la peur de manquer cet appel"), la "Note" se retrouve vénérable, tel un clocher invitant les paroissiens au culte. De plus, le retour dans la "capitale" qu'il exige des fidèles "tous les ans" en août se confond avec les cycles de la nature, si bien que la religion musicale est implicitement liée à un culte de la nature. La « capitale » devient aussi une sorte de sanctuaire sacré, auquel ils reviennent par l'injonction quasi religieuse de Nota. La « Note » résonne donc de messages symboliques qui soulignent le pouvoir de la musique de transformer le profane en sacré.

Mais dans le mouvement suivant, ce voile de brume que le poète jette autour de la "Note" se lève, révélant la transparence d'un signe démystifié, une chute abrupte de la grandeur à la prose monotone du monde. un public et le dos d'un homme qui, je crois, tire la lueur de son invisibilité. »

Un autre emblème du culte religieux de la musique entre en jeu, celui du maestro, idole sacrée de la foule et, comme on l'a vu, habillée dans l'imaginaire de ceux qui assistent en prêtre à l'autel. Le poète se réfère implicitement à cette image préconçue du metteur en scène pour construire un dialogue subversif. A travers le regard innocent mais iconoclaste d'un faux semblant d'humour, se dépouillant du déguisement conventionnel de la littérature satirique, Mallarmé, le grand prêtre du culte, est ici emprunté.

21. Ce mouvement de haut en bas symbolise l'effet oisif de l'ironie, comme l'a souligné Jankélévitch : un effet d'humiliation soudaine, une sorte de contraste descendant : la montagne accouche d'une souris ; cette théorie classique expliquerait moins le rire que les effets récréatifs de l'ironie : l'ironie draine la fausse grandeur, les exagérations ridicules et le cauchemar de la vaine mythologie » (Ironie ou la Bonne Conscience, Paris, Presses universitaires de France, 1950), p . 149-150.

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« cet homme », un homme ordinaire et anonyme, devient encore un autre signe nu dépouillé de ses connotations parasites. Dans un deuxième mouvement d'esprit ironique, ce signe s'enrichit d'autres messages que l'"Ingénu" qu'est devenu Mallarmé, lui transmet par ses manipulations bizarres et subversives de l'apparence ; Eh bien, il semble à notre Ouzbek que le réalisateur soumet les assistants à ses intentions presque machiavéliques, et cet homme « gagne du prestige avec son invisibilité » ; elle devient un symbole de l'influence de la musique sur le libre arbitre humain 22 et de l'anéantissement de la personnalité de l'individu qu'elle opère. Rappelons-nous le commentaire que j'ai cité plus haut à propos de cette action de la musique : « Le mélomane disparaît même s'il est chez lui.

Un autre masque ironique emprunté à Mallarmé est celui de la femme, révélée dans son errance onirique, dans Réflexions sur la joaillerie, abaissant un long talon orné et la traitant de cette « tête de femme », qu'il appelle le prototype de la « foule ». '. aux concerts ("si le public est féminin, regardez les mille têtes").

Bijoux : si la foule est féminine, tenez bon, les mille têtes. Une conscience partielle de l'éblouissement se répand au hasard dans les vêtements de ville portés lors des auditions de l'après-midi : ils posent, comme le bruit des cymbales déjà en train de tomber, dans le filigrane doré de minuscules robes d'un noir de jais luisant ; de nombreux hérons font la divination. Le velours impérieux d'une attitude coupera l'ombre d'un pli attribué à la couleur qu'offre un tel instrument. Sur les épaules la guipure, entrelacée avec la mélodie.

La dernière phrase du paragraphe semble planer entre ses lignes délicates et autour du mot « guipure », mis en valeur par sa position centrale et une plénitude flottante et sensuelle ; évoque le luxe et la volupté, tout ce que peut suggérer cette étoffe ondée et sensuelle, dont la brillance séduit aux yeux de la « femme ». Une autre phrase, faisant référence au pouvoir évocateur des plumes qui ornent les costumes, s'accentue de la même manière, caressant paresseusement celle des Aigrettes pour le charme et l'éclat de la langue. Donc, "[m] un héron brille en devinant."

Tous les plaisirs que Mallarmé peut évoquer avec ses manières mystérieuses (l'emploi de l'adjectif "mainte" ; les ellipses du verbe dans la phrase "Aux épaules, la guipure, entrelacement de la mélodie"), par correspondance, du général Luft du flirt hermétique à la Miss Satin, qui respire tous les blancs du langage

22. Voir la remarque de Hegel : « La musique pénètre directement dans le foyer intérieur des mouvements de l'âme. Elle comprend totalement; et celui-ci, n'étant devant aucun objet fixe, perd sa liberté contemplative ; elle est emportée par le torrent rapide du son » (Esthétique, partie 3, traduction Bénard, Germer, 1875, p. 147 ; cité dans Suzanne Bernard, Mallarmé et la Musique, Paris, Librairie Nizet, 1959, p. 71).

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et dans les tons exubérants des mots, ils sont hautement suspects, car ils n'ont rien à voir avec la musique qui, rappelons-le, était le sujet principal de l'essai. Cette excursion ou "digression" de la langue errante sans grand but tant la "prise de conscience partielle" de la femme "dépliant", "posant", "clinquant" dans les tourbillons éternels souligne secrètement le rôle de divertissement frivole que jouent alors les concerts pour la femme lui, il était plus ébloui par la splendeur et le riche velours du rideau que par la musique ; la musique n'est pour eux qu'un symbole des configurations rythmiques de la guipure ou une coïncidence, comme le « bruit » des cymbales qui tombent accidentellement. Comme la femme distraite, le poète se perd dans les charmes sensuels, soit pour piéger le lecteur dans les pièges d'une langue qui laisse si peu de traces de tromperie ; ou l'inviter à devenir aussi rusé qu'il est, à lever le voile du langage sensuel, à découvrir l'écriture perfide et la voix ironiquement aplatie d'un escroc qui évoque des plaisirs frivoles dont il se moque, la langue entre les dents.

Il y a une autre manière dont l'ironie émerge implicitement du texte, avec ce grain de malice dont Mallarmé jouissait parfois. On note, par exemple, par la profusion de sons clairs utilisés dans le paragraphe précédent [lueur, scintillement, guipure, devinant, occultant, sifflant, filigrane, or, etc.] des relations métonymiques entre les autres objets brillants, s'appropriant leur valeur symbolique ; qui est soit un emblème de la vanité de la "femme" (les préposés - "sachant qu'elle est là [dans la chambre] pour veiller, sinon sur le prodige de lui-même ou de la fête ! du moins sur lui-même [...]"24 ), comme "le jet" dans lequel la conscience féminine "brille", ou un symbole de possessions matérielles, comme le filigrane "d'or" qui orne les couvertures. En donnant au lecteur sa propre marchandise, son "or",

23. Bertrand Marchal notait également que Mallarmé se méfiait de la frivolité mondaine en musique plutôt que de la véritable passion, et cite ce passage de La Dernière Mode : « Un siècle seulement, la musique règne aujourd'hui sur toute l'âme : adoration à beaucoup d'amants, et pour d'autres plaisirs, il y a les catéchumènes et les dilettantes. Son immense avantage est de pouvoir attiser, très profondément, les rêves les plus subtils ou les plus grandioses, par des artifices qu'on voudrait croire interdits au langage, et permettre en retour à l'auditeur de fixer le regard longtemps à un point incolore du plafond, ouvrant la bouche, heureuse d'ouvrir son silence habituel Mallarmé, O.C., p.817, cité dans Bertrand Marchal, La Religion de Mallarmé, op.cit., pp. 274.

24. « Le Genre ou les Modernes », O.C., p. 315.

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Avec ses charmes et sa richesse sonore, la langue sert à suggérer la parade du luxe et de l'opulence dans la salle de théâtre, devenant ainsi pour le lecteur une parodie de ce que Mallarmé appelle dans le texte « l'histoire universelle » de la musique. disons, il a valeur d'échange dans la mesure où le théâtre devient une exposition de marchandises, de bijoux) ou son exhibitionnisme 25.

Un dernier exemple d'ironie se retrouve ici dans les symboles de la lumière, ce "Jet" lumineux, cet "Or", "l'Aigrette lumineuse", la "Guipure" resplendissante. Avec ces incantations, le poète aborde discrètement un commentaire fait plus tôt dans le texte sur l'état intellectuel des auditeurs, dont le manque de clarté nécessitait une lumière supplémentaire du lustre qui serait autrement superflue. . « Il fallait, dit-il, qu'en cette période très particulière de l'année, le lustre de la salle, avec ses différentes facettes, représente la clarté pour le public [...] ».

L'ironie s'exerce aussi dans le texte d'une autre manière : en explorant l'ambiguïté du langage et des formules du grimoire mallarmien. Car derrière les plis polysémiques de la langue et les subtilités sibyllines, on pouvait reconnaître non seulement des reflets de grande qualité, qui correspondent au poids apparent de la forme, mais aussi des messages assez ludiques, voire « un peu de fumée ». Comme l'observe Henri Peyre : « Ce n'est pas un sacrilège de supposer que derrière tant d'allusions énigmatiques se cachait un sourire ironique de Mallarmé » 26.

25. Dans "Parenthèse" (O.C., p. 322) Mallarmé commente la musique : [...] la bêtise polyglotte aveuglée par l'étalage de cosmétiques [...] : parce que la prostitution ici, et ici il y avait un L'Esthétique des Signes avant la saturation des mousselines et des nus renonçait même à l'extravagance enfantine des plumes et des queues ou du maquillage, pour triompher du fait sournois et brutal de leur présence au milieu des merveilles incomprises. »

26. Henri Peyre, Qu'est-ce que le symbolisme ? (Presses universitaires de France, 1974), p. 124-125. D'autres critiques ont fait des commentaires similaires; P. O. Walzer, par exemple, écrit : « La joie de mystifier le pur jeu de mots comptait vraiment pour Mallarmé, qui n'est nullement un ennemi de l'intelligence. Il déclare même catégoriquement à Sacha Guitry dans une lettre inédite : « Tout écrivain complet finit dans un humoriste." " (Mallarmé, Coll. "Poètes d'Aujourd'hui", Seghers, 1963, p. 190). Et Charles Chassé, replaçant Mallarmé dans le contexte de son temps, ces années de festins et de mystifications parfois sans fondement, observe : « Mallarmé appartenait à une époque où il n'y avait pas seulement le désir de mystifier ses contemporains, mais aussi d'être mystifié lui-même. difficile pour nous d'imaginer cela aujourd'hui. C'était l'époque de Sar Péladan, du magicien Papus et des énigmatiques Jules Bois, Allan Kardek, Madame Blavatsk et Rose-Croix. Nous avons réagi si fortement contre le positivisme et "l'intrusion de la science dans les foyers". ", comme disait Verlaine, que l'on s'intéressait passionnément à toute affirmation qui n'était même pas prouvée. i démontrable" (Lueurs sur Mallarmé, éd. a Nouvelle Revue Critique, Coll. Plein Midi, 1947, p. 90).

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La phrase suivante peut illustrer ce courant d'ironie humoristique qui sous-tend les tournures elliptiques du discours : « La quasi-dispersion du doigté lumineux auquel pend le feuillage se reflète alors dans les cymbales de l'orchestre fini. On retrouve dans ce mouvement des réflexions esthétiques sur la musique. Par la transposition métaphorique de la fosse d'orchestre en un « plateau » dans lequel cette « dispersion lumineuse » des sonorités est « fermée », la musique est appréhendée comme un monde ; de réflexivité fluide, où les sons se reflètent dans une splendeur intérieure dans leur courant éphémère et mobile. Ce son « tremblant » (récapitulations thématiques, mouvements rythmiques, utilisation de leitmotivs ou autres ressources techniques musicales pouvant être interprétées comme « tremblant ») évoque un monde clos et un ordre cyclique, semblable à celui de la nature : par le lien établi entre le Une « dispersion » du feuillage et la production de sons (« la dispersion de la frappe suspendue dans le feuillage »), analogie implicite entre le spectacle musical et une dramaturgie silencieuse de la nature 27 est pratiquement renforcée par d'autres équations symboliques. Le « vent » qui pousse les gens de l'horizon vers Paris et le « son » qui les y appelle correspondent ; et la salle de théâtre encadre le spectacle du monde : « le rideau se lève sur la splendeur déserte de l'automne ». Tout montre un rapport d'homologie entre le culte de la musique et le culte primitiviste de la nature.

Cependant, la phrase se prête à d'autres interprétations avec un but beaucoup plus humoristique que celui-ci. On peut y voir, par exemple, une parodie implicite de l'atmosphère de la salle de concert, empreinte d'un silence respectueux et sacro-saint, dû à la mémoire presque religieuse de ces habitués, que Valéry qualifiait de « fanatiques ». ..] les purs, prêts à massacrer les indignes, dont la chaise grince ou le froid explose » 28. Il y a une parodie du silence qui précède le début du concert et la première glorieuse explosion sonore, et ça devient plus imaginaire d'un système de coordinations où des éléments du monde naturel sont liés à des symboles des procédés techniques de la musique : la "presque dispersion des doigtés légers" (clarté technique) évoque un "feuillage" immobile qui évoque à son tour des partitions de papier). Tout est maintenu en "suspense", comme le calme de la pièce, qui n'est pas troublé par une chaise, comme le "six".

27. Pour un examen plus détaillé des rapports entre musique et dramaturgie de la nature, voir Bertrand Marchal, précité, p. 270-281.

28. Valéry, op. cit., p. 1276.

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Cent âmes" suspendues au bras levé de Lamoureux n'éprouveront rien de plus absurde qu'un concert enchanté de papier, de doigts et de feuilles, démystifiant l'atmosphère de la salle et orchestré par la plume d'un poète scandaleux qui n'hésite pas à manipuler la Continuité du plein air... montre en les interrompant mentalement, en franchissant le seuil, pour ainsi dire, entre l'univers narré et l'univers narratif. Ce procédé de métalepse narrative – le terme vient de Genette – dont « Un Spectacle Interrompu » chez Mallarmé serait l'illustration la plus impressionnante, est certainement évoquée ici.Un autre exemple beaucoup plus évident de ce sabotage poétique du concert par le langage se voit à travers les éléments structurels du texte, et il convient de le mentionner pour souligner une partie importante du texte. L'essentiel du texte est encadré par deux références à la position spatiale de la portée : après l'introduction, l'archet levé est invoqué (« le bouton attend un signal [...] L'archet souverain frappant le premier avec l'étape ne tomberait jamais si [...]); le texte se termine par l'évocation du « geste » du maestro « qui va redescendre », c'est-à-dire au premier coup de bâton. Le lecteur voit très bien que le concert n'a pas encore commencé, qu'en réalité il ne s'est rien passé que le mouvement et la durée du langage, qui remplace le spectacle musical et reconnaît au niveau du texte ce que le poète a au niveau social. veut s'en emparer Niveau culturel : l'usurpation du culte de la musique par le livre. Dans la suite de mon article, je discuterai des tentatives du poète pour inaugurer ce futur culte et du rôle prédominant que l'ironie a joué dans ces conceptions biaisées.

Après avoir commenté, on l'a vu, le manque de clarté des auditeurs, le poète fait une curieuse figure d'indignation incrédule devant le désintérêt pour la poésie, qui coïncide probablement avec le manque de lumière spirituelle. Outré par son orgueil de poète, il s'écrie :

Cette foule se contente du jeu de l'existence, étendu à la politique, tel que la presse le décrit chaque jour ; Telle qu'elle est -il est vrai- elle repose sur un instinct qui, franchissant des brèches littéraires, doit soudain se confronter à l'indicible ou pur, à la poésie sans paroles !

29. Valéry, ebd., p. 1275.

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L'indifférence de cette « foule » envers la poésie s'explique par le bénéfice qu'elle peut tirer de la musique qui, contrairement à la poésie, lui offre un moyen facile et accessible de satisfaire son besoin « d'instinct religieux » et de « pur ». Mais à en juger par la réaction du poète, perceptible par le rythme de la phrase fragmentée en formules interrogatives : "Qu'est-ce que tu veux dire, c'est vrai ?", "Elle dort", le goût de la "foule" pour la musique ne repose pas sur un motif justifiable de chaque tour. niveau rationnel, mais seulement du point de vue d'une énigme déroutante, ou comme une déviation insensée de ce qui devrait être la norme la plus socioculturelle, la plus proche de la raison : "où mieux que le volume, le seuil et le niveau moyens [...]" . Cette formule est sans doute un avertissement à "la foule", "cette foule", à abandonner sa fascination irrationnelle pour la musique et une invitation à embrasser la poésie comme un nouveau culte.

Rappelons-nous "L'Art pour tous", le célèbre texte publié en 1862, dans lequel le jeune Mallarmé proteste contre l'enseignement poétique public, tonne contre la diffusion commerciale des recueils de vers et garde jalousement les secrets sacrés de la poésie, les profanes . Aux yeux de la « foule », l'attrait qu'elle exerce ici sur le grand public est un peu surprenant. Mais si l'on considère cette invitation à la lumière de la mission humanitaire que Mallarmé s'est imposée dans sa maturité, il n'y a rien d'étonnant. Au contraire, dans plusieurs textes de cette époque, la foule n'est plus cette « foule » abominable qui ne mérite qu'un établi, mais un noble symbole de toute l'humanité. Ainsi écrit-il en 1887 que « dans la foule ou dans l'amplification majestueuse de tout sommeil se cache » 30.

On ne peut pas plonger dans toutes les complexités de l'intérêt vif et curieux du poète pour la « foule » 31 , ni essayer d'arracher toutes les épines du problème posé par la poésie kabbalistique.

30. "Dessiner au théâtre", O.C., p. 298

31. Bertrand Marchal, dans son ouvrage principal La Religion de Mallarmé, a bien traité du sens du concept de masse chez Mallarmé. « La foule de Mallarmé, écrit-il, a [...] une dimension universelle [...représentant] un modèle idéal d'humanité. Car la foule est dépositaire d'un secret humain : cette foule, qui, comme l'écrit Mallarmé dans Plaisir sacré , « commence à nous surprendre autant qu'un élément vierge, ou nous-mêmes, vis-à-vis des sons, remplissons leur rôle par excellence de gardiens. du secret ! Être! Le mystère qui enferme la multitude n'est autre que le mystère de l'homme [...] Le prestige des masses n'est pas affaire d'arithmétique ; pour Mallarmé, ce n'est pas dû à sa capacité à subvenir aux besoins individuels par le nombre, mais plutôt à sa fonction de médiation religieuse, par laquelle tout être humain, quel qu'il soit, peut retrouver le sens de sa grandeur [. .. elle est] cette génie religieux de l'humanité (Marchal, op. cit., p. 527).

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destiné au "peuple". Mais pour établir un point de contact entre la fonction de l'ironie dans notre texte et les rêves « missionnaires » du poète, il faut éclairer au moins ces desseins quasi religieux que la critique contemporaine laisse souvent à l'imagination. Plusieurs textes en donnent des exemples : « Ô Jugement », « Conflit », « Solennité », « Faites de même » et autres.

Dans ce dernier texte, structurellement et thématiquement lié au nôtre, le poète prévoit la participation du « peuple », des « plus humbles de la gorge », aux déclamations poétiques qu'il entend inaugurer au Trocadéro ou « entre quelques colonnes paroissiales ». . . . . , qui affirmait que le simple fait de réciter ses vers hermétiques (« latin incompris ») garantirait au « peuple » une élévation spirituelle, une célébration de la « divinité de soi ». On pense aussi à « Conflit », ce texte qui semble représenter un conflit politique et la loi darwinienne du plus fort, où l'écrivain et les ouvriers, ses colocataires à Valvins, comme représentants symboliques d'une lutte des classes et d'une espèce ( poétique et querelleuse). Mais à travers un réseau d'images symboliques dans le texte (contenant tant de clichés qu'on ne peut manquer d'y voir un curieux renouvellement - ou réorientation - des tentatives mystico-philosophiques de l'époque romantique, chez Fabre d'Olivet, Lammennais, Hugo, Nerval et d'autres écrivains pour sauver l'humanité par la poésie orphique), ce « conflit » initial devient un drame métaphysique entre l'homme et le destin. Il y a l'image d'un pays en proie au « terrible fléau tout-puissant », symbole de l'œuvre et du destin tragique de l'homme ; celle du ciel illuminé par des étoiles un peu hugoliennes ; et enfin celle du poète qui, tel un magicien, veille sur les ouvriers endormis et attend le réveil spirituel des âmes inconscientes des gens. Toutes ces images révèlent certainement chez Mallarmé la conscience d'un devoir à remplir pour le salut poétique de l'humanité, la conscience de devoir écrire la grande ode dont la "récitation" va "enchanter, instruire [...] et surtout" mourir dans émerveillez-vous devant les gens » 32.

Tous les textes que j'ai cités trahissent les mêmes tentatives métaphysiques dont il importe de retracer les origines sociopolitiques et esthétiques afin de saisir, dans la mesure du possible, le sens et la justification de l'usage de l'ironie, intimement liée au rêve initiatique. C'est. splendeur future » et ses diverses racines. L'idée de récitations publiques et de séances de poésie quasi-religieuses que Mallarmé rêvait d'ouvrir au Trocadéro (« De Same »), presque

32. "Festival", O.C., p. 336

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tous les coins de Paris ! (« La Cour ») « éveiller l'organisateur de la fête en chacun »33, y compris « le peuple », est venu à l'esprit, selon Suzanne Bernard et Bertrand Marchai, en réponse aux représentations wagnériennes connues sous le nom grandiose de « religion du volk ». ” 3. 4 .

Outre cette volonté de rivaliser avec Wagner, il y a un autre élément qui a certainement stimulé le poète à rendre publics ses « autres biens d'extase et de faste »35 : la prise de conscience d'un principe socio-religieux de sa vocation Réflexions sur les rapports entre la musique et la foule Mallarmé parlait souvent de ce que Bertrand Marchal appelait "la divinité inconsciente" de la foule, et il reconnaissait certainement l'incapacité de la musique à lever, pour ainsi dire, le voile de Maya et à révéler par clairvoyance à l'homme ce "secret intime inconnu" 36 . ce "dépôt sacré" 37 qui y est caché. La foule est, écrit-il dans notre texte, la « gardienne du mystère », dépositaire d'un fonds spirituel de « sentiments incompris » refoulés dans l'inconscient collectif. Mais la musique, cette « folle qui ne sait pas ce qu'elle dit » (Claudel), impuissante à déchiffrer cette « générosité intime » 38 pour redonner à l'humanité la conscience de sa richesse spirituelle, devient une sorte de gardienne de sa tour, ou plutôt, la tombe de la 'piscine étonnante sur les marches' de l'emplacement d'un enterrement cérémonial du trésor sacré et primitif de l'humanité; c'est "l'orchestre où réside la grandeur collective" - ​​le verbe utilisé est suggestif.

Mais à travers les contraintes métaphysiques de la musique, qui sont devenues l'atout majeur de Mallarmé dans sa rivalité avec le musicien, la tâche spirituelle du poète et du langage se dessine et se justifie. Il lui appartient de « faire les fouilles,

33. „Tableaux et brochures“, ed., p. 330.

34. « Mallarmé, écrit Suzanne Bernard, ne pouvait se contenter de donner à la musique cette emprise mystérieuse sur la foule [...] Il rêva longtemps de récitations publiques de vers et de prose, et de celle-ci en particulier « Ode à plusieurs voix « qui pourraient remplacer le théâtre et les représentations wagnériens » (ibid., p. 134).Bertrand Marchal, note les intentions du poète en 1877 « de préparer un nouveau théâtre [...] qui éblouit le peuple souverain comme jamais auparavant. avait-il été l'empereur de Rome ou le prince d'Asie » (Corr. II, 159) : « A cette époque, probablement sous l'influence du prestige de Bayreuth [inauguré l'année précédente], Mallarmé imagina alors un art du grand spectacle [.. .] , a consacré la nouvelle souveraineté du peuple, tous unis dans une jubilation unanime » (op. cit., p. 212).

35. "Révélation", O.C., p. 330

36. « Aussi », éd., p. 397.

37. « Solennité », éd., p. 334.

38. "Tableaux et brochures", ibid., p. 324

39. « Le jugement », ibid., p. 416

1160 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

exhumer les anciennes et grandes intentions » 40 ; et dans le couplet « plus près de l'âme » pour faire prendre conscience à l'individu des forces vitales occultées dans la mémoire collective de la foule et que la musique, malgré son faste, est « trop fugace pour ne pas décevoir la foule » 41 et « magnifique bravoure » sort dans l'obscurité, « aveugle à sa splendeur, cachée ou sans descendance » 42.

Finalement, quel rôle joue l'ironie par rapport à l'influence de la musique wagnérienne, d'une part, et au devoir spirituel du poète, d'autre part ? Cela devrait être clair maintenant. Dans la mesure où l'ironie du "Plaisir sacré" cherche à démystifier le prestige des concerts de Lamoureux, le temple du "chant" de Wagner, ou encore le modèle parisien des grandes liturgies collectives de Bayreuth, est implicitement lié à la tentative du poète de libérer le public français sous tutelle germanique, et d'autre part d'établir un culte qui réagirait à « notre race » (« De Same ») 43.

Et, autant que Mallarmé pouvait discerner la puissance et la magnificence exagérées de la musique, « sa puissance monotone », sa « magnificence déserte », « sa grandeur sombre » et son enfermement de l'âme de la foule dans un état de « richesse ». "Silence", a probablement et justement tenté de libérer les âmes des hommes des griffes de ce qu'il appelle dans notre texte "cette chimère", "fixant la blessure au flanc d'un regard affirmatif et pur 44. Cette métaphore, dont Mallarmé use dans « Rêverie d'un poète français » (faisant référence à sa vivisection analytique de « MonstreQui-ne peut-être », c'est-à-dire la musique de Wagner), il est bon de le rappeler car il ne sert pas qu'à illustrer le geste symbolique qui le poète accomplit dans notre texte, mais surtout, cela nous permet de souligner un archétype de la vision ironique du poète.

40. « Aussi », éd., p. 397.

41. Éd., p. 335.

42. "Musique et paroles", ibid., p. 649. Voir la remarque de Bertrand Marchal : « Si Mallarmé revendique désormais un privilège de la littérature sur la musique, c'est qu'il ne se contente pas d'éveiller les "forces de vie" pour les "aveugler par leur splendeur, latente ou non". elle'. à l'extérieur » mais, par la capacité réflexive de la poésie, à porter le mystère de l'homme à la conscience du lecteur » (op. cit., p. 493).

43. « Catholicisme », ibid., p. 390. Malgré l'admiration de Mallarmé pour le génie de Wagner ("Le Génie dans son Gloire mêlant", "Parenthèse", O.C., p. 324), facteur de l'intention de fonder un nouveau culte, le chauvinisme esthétique du poète, qui tente à plusieurs reprises de rapatrier l'art contemporain dans son œuvre et rejette par exemple l'influence que Wagner avait exercée sur Dujardin avec « son » invention de la liberté du vers : « Facile, ça rappelle une ressource quand on parle de l'œuvre de Wagner ; au contraire, tout peut être limité avec nous » (ibid., p. 324).

44. « Richard Wagner : Rêver d'un poète français », ibid., p. 542.

UNE ÉTUDE D'IRONIE DANS LE PLAISIR SACRÉ DE MALLARMÉ 1161

Examinant les éléments mythopoétiques sous-jacents aux expériences imaginaires et aux types littéraires pour les relier dans une grammaire d'archétypes, Northrop Frye a retracé le rôle de l'ironiste figuratif dans la littérature occidentale à travers le geste mythopoétique de "tuer des monstres et des géants". de Mallarmé lorsqu'il parle de la domestication de la « chimère ». L'aspect social et symbolique de ce geste de fer archétypal se traduit essentiellement par un triomphe ironique du faible sur le fort, dans lequel le premier, souvent dépeint comme une figure marginalisée et moquée aux normes humbles, renverse les "géants". des « monstres », dont le pouvoir est sanctionné par l'État, l'Église ou d'autres institutions. Sa victoire est annoncée par le renversement du tyran et la libération d'une société qu'il a réduite en esclavage. Sans être proprement un Lancelot, un héros messianique transporté au royaume de Gorre, un autre bouffon de cour, un satyre parmi les dieux de l'Olympe, Mallarmé, "un humble poète", (comme il le dit dans "Rêverie..."), " naïve et "bête" comme elle entend l'être dans notre texte, armée de ses humbles suggestions (du mot "humble [...] signifie"), et surtout dompteuse de "chimères" dont l'objectif est de redonner une dignité spirituelle à l'humanité, que "cette chimère vole "le prestige [de [son]] invisibilité"] peut certainement nous rappeler ce modèle de fer archétypal.

Notons également que cette chimère incarnée dans la figure du chef d'orchestre rend Mallarmé symboliquement impuissant d'une manière qui n'exclut nullement des connotations psychanalytiques. En confirmant une hypothèse que le poète a créée en mélangeant l'ordre empirique et l'univers subjectif, et qui est liée à la confirmation du manque de clarté des assistants par le mouvement de la canne, l'arc devient un signe d'impuissance. , signe de l'incapacité du prêtre à éclairer l'esprit, ou de son pouvoir de ne marcher que dans la « brume » comme les héros wagnériens. L'hypothèse est confirmée : « L'arc souverain qui heurte la première barre ne tomberait jamais s'il fallait que le lustre, dans la chambre, représente en public un rayon de lumière aux multiples facettes en cette période si particulière de l'année. » par le mouvement du bâton « qui va descendre ». C'est un coup et le geste d'Œdipe. Car il est clair que le poète manie ce bâton phallique et « souverain » avec une telle habileté qu'il en devient ironiquement l'emblème visuel. de son pouvoir usurpé et une castration symbolique. Et c'est aussi l'inversion ironique du monstre.

45. Voir Northrop Frye, Anatomie de la critique (Princeton, Princeton University Press, 1957), p. 226-228.

1162 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

par l'homme humble ("Moi, l'humble" 46) dont la parole "humble" rend impuissante "l'arche souveraine" de cette "chimère".

Les tentatives de Mallarmé de profaner un culte et d'en établir un autre dans un avenir hypothétique nécessitent le recrutement d'individus dévoués, le consentement unanime et la solidarité psychologique, qui, comme l'ont noté plusieurs critiques, offrent un discours ironique. Kierkegaard, dont l'orientation théologique l'oblige à dénoncer l'infinie négativité associée à l'ironie et à condamner le pacte qui établit ce discours trompeur comme une « alliance impie » entre l'ironiste et ses compagnons conspirateurs, une bande de voleurs47, note cependant l'extraordinaire et des moments séduisants d'ironie et les liens psychologiques inextricables qu'il crée entre ses participants. "Le déguisement et l'énigme qu'il provoque, la communication télégraphique qu'il initie, car l'ironiste doit toujours être compris de loin, la sympathie infinie qu'il assume, l'instant indescriptible et indescriptible de la compréhension, qui est aussitôt supplantée par la peur. Le malentendu - tout ce qui unit par des liens indissolubles" 48. Selon Jankélévitch, l'ironie repose sur un principe d'amitié et d'estime mutuelle, et son charme est à l'origine d'une "fraternité symposium". "L'ironie - dit ce critique - se tisse entre les deux partenaires du pseudologique corrélation une sorte de complicité ou d'assentiment secret, consistant en une estime mutuelle, et très semblable à l'enchantement : parce que l'enchantement, comme l'ironie, est l'état de paix ; car l'ironie, comme le Charme, ce sourire d'intelligence et d'amitié, a maintenu la grande popularité du discours ironique chez les moralistes des XVIIe et XVIIIe siècles).

Compte tenu de toutes ces fonctions socio-psychologiques de l'ironie, on ne peut que se demander si l'invitation faite au lecteur à participer au discours ironique du texte, à travers les appels du

46. ​​​​​​"Rêveries d'un poète français", O.C., p. 546.

47. "Mais il y a aussi peu d'unité sociale dans une cabale d'ironistes qu'il y a d'honnêteté dans une bande de voleurs" (Soren Kierkegaard, The Concept of Irony, traduit du damageis et annoté par Lee M. Capel, Bloomington and London, University Press, Université de l'Indiana, 1968.)

48. Ibid., p.85.

49. Vladimir Jankélévitch, a.a.O. cit., p. 55.

50. Wayne C. Booth, A Rhetoric of Irony (Chicago, The University of Chicago Press, 1974), p. 28

UNE ÉTUDE D'IRONIE DANS LE PLAISIR SACRÉ DE MALLARMÉ 1163

Poète ("Hold", "Hier") - ne va pas jusqu'à inclure une invitation symbolique à rendre la séduction de l'ironie réciproque et à s'unir par ses pouvoirs de cohésion fraternelle dans une congrégation de dévots assis parmi "quelques" piliers paroissiaux de La tentative du poète de gagner ses lecteurs contemporains à sa cause par l'ironie serait la contrepartie subtile de l'appel énergique qu'il avait lancé aux artistes de l'époque pour qu'ils participent à la construction d'"un futur dôme de la "divinité", au lieu de sacrifier ce monument au travail narcissique ou à la gloire personnelle) 51.

J'ai indiqué jusqu'ici les deux directions principales du discours ironique dans Plaisir Sacré : sa fonction négative liée à la désacralisation du culte de la musique contemporaine ; et sa fonction positive, ainsi que l'utilisation de la pompe poétique du futur et le recrutement de membres du culte. Si l'on regarde l'organisation du cycle des trois textes officiels, réunis dans un dessin global facilement compréhensible, alors ce double objectif subversif et tendancieux du discours ironique dans le texte apparaît encore plus clairement. Ces trois lettres - Plaisir sacré, Catholicisme et I - abordent tour à tour le « culte » de la musique, la « grandeur obscure » de la splendeur médiévale de l'Église catholique et, enfin, la vision de la religion du futur. Il implique des aspects du chant liturgique, de la pompe officielle de l'État et des éléments de théâtre et est basé sur un principe "artistique et philosophique moderne".

La composition symbolique, celle d'un triptyque, offre ainsi, dans la première partie, une image de la fausse grandeur de la musique ; dans le second, la joie poétique, le culte esthétique et philosophique offert comme alternative moderne à la « religiosité » superficielle et primitive de la musique. Les deux pièces s'articulent autour du texte central dédié à la religion romaine décadente, dont les rites, les thèmes et les symboles constituent pourtant d'une manière ou d'une autre la base paradigmatique du fonctionnement socio-religieux de la musique et d'une partie de la poésie.

Mais en ridiculisant la musique, en exposant ironiquement ses « mensonges », Mallarmé semble suggérer que la musique n'est, au pire, qu'une farce du paradigme auquel elle appartient.

51. "Soyez héroïque ! Les artistes d'aujourd'hui, au lieu de peindre un monastère solitaire avec le flambeau de votre immortalité, ou de sacrifier devant votre idole, posez votre main sur ce monument, signe formidable, non moins que les blocs d'abstinence laissés par certaines époques, que seul un fardeau pouvait ours. quitter le sol avec une séquence négative considérable » (« Sketch at the Theatre », O.C, p. 298).

52. O.C., p. 396.

1164 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

des rendements et, au mieux, « un résidu négatif majeur », ou pour reprendre les termes de Bertrand Marchal, une « formule d'interrègne » insuffisante 53 . Ce dernier aspect est également implicite dans les titres des trois pièces, pour évoquer Plaisir Sacré, Catolicismo et De Same. Autrement dit, la musique n'est qu'un divertissement religieux passager aux yeux du poète, tandis que la splendeur poétique serait le synonyme historique et linguistique (« De Same ») de la religion romaine et de son apothéose : le « dernier et plein culte de l'homme ». . , l'épithète ironiquement appliquée à la musique.

La rivalité de Mallarmé avec Wagner (rappelant la rivalité du tournant du siècle entre poète et musicien se disputant l'héritage d'un catholicisme désabusé, situation brièvement abordée par Max Nordau dans Dégénérescence54) n'est bien sûr pas ignorée. une motivation psychologique pour cette expulsion symbolique. de la musique sacrée et la conception du triptyque, qui s'achève dans l'avenir de la splendeur poétique comme la conclusion logique et définitive d'un cycle de l'histoire religieuse de "l'humanité". Car face à un art qui menaçait le prestige de la poésie dans les domaines métaphysique et esthétique, qui devait être un tourment sublime pour l'orgueilleux poète, la seule réponse était la rivalité, et c'était une source d'ironie, de la fine plume d'Os Poètes, ils déversent d'innombrables commentaires astucieux, ironiques, ironiques, humoristiques et subversifs; et autant d'attaques parfois enveloppées de formules hermétiques, mais toujours tempérées par le charme habituel du poète. Depuis la fondation de la Revue wagnérienne en 1885, quand Mallarmé mêlait sa voix sceptique au chœur des enthousiastes wagnériens, en passant par d'innombrables textes consacrés à la musique (Paragraphe, Solennité, Plates et Plates, Bucolique, entre autres) et ses fréquents concerts à Lamoureux , stylo et carnet en main, le poète n'est jamais allé au bout de son papier relativement long et volumineux, plein d'hiéroglyphes et d'ironies. Sur une période de près de treize ans, jusqu'à la mort du poète en 1898, son défi lancé à Wagner en 1885 (dans Révère d'un poète français) de revendiquer la « pompe souveraine » de la poésie trouve un nouvel élan53.

ver53. Pour Mallarmé, la musique continue d'être une formule interrègne d'un point de vue religieux. Si elle a pris les devants dans la recherche contemporaine d'une nouvelle religion, c'est parce que, pour une multitude encore ignorante d'elle-même, elle reste la voie la plus immédiate et la plus accessible par son « occultisme facile aux extases insondables » vers le mystère de sa divinité. ". (Bertrand Marchal, op.cit., p.284).

54. Cf. Max Nordau, Dégénérescence, t. 1, Fin de Siècle-Le Mysticisme, traduit de l'allemand par Auguste Dietrich (Paris, Félix Alcan, 1894), p. 11-12

UNE ÉTUDE D'IRONIE DANS LE PLAISIR SACRÉ DE MALLARMÉ 1165

flamme secrète ritable et tenace. L'ironie de Plaisir Sacré, sans doute suscitée par cette flamme de « sublime jalousie », exhale sa fougue trop évidente. Mais en essayant, d'une part, d'enflammer le temple sacré de la musique de son effet corrosif, et, d'autre part, de conduire le lecteur aux festins poétiques avec sa chaleur cordiale, il lui enlève aussi quelque chose de son caractère charismatique. . comme un personnage destructeur.

JAN MARGARET MITCHELL*.

* Indiana University, Department of French, Bloomington IN 47406, USA.

"VOTRE NOM SE MELANGE AU SIEN":

PREMIÈRE LETTRE CONNUE DE STÉPHANE

MALLARME ET SARAH HELEN WHITMAN 1

En 1860, alors que Mallarmé, âgé de dix-sept à dix-huit ans, recueille ses Glanes - c'est-à-dire les « plus de huit mille [vers] qu'il avait empruntés à beaucoup de poètes »2 qu'il copie en trois volumes - cinq cent trois parmi eux, un nombre impressionnant de vers en langue anglaise, dont neuf poèmes d'Edgar Allan Poe 3. Mallarmé a fait précéder ces textes de ses propres traductions. Ses premières œuvres traduites en français furent ses nouvelles, mais il y eut aussi des traductions en vers, notamment Raven, de loin la plus notoire. Cependant, en ce qui concerne le casting du jeune Mallarmé, The Raven ne se classe qu'au septième rang. L'un des deux poèmes intitulé To Helen, qui commence Je t'ai vu une fois, juste une fois, il y a des années, est le numéro 5. Ce poème de soixante-six vers

1. Merci au Harry Ransom Humanities Research Center de l'Université du Texas à Austin de m'avoir permis d'inclure le texte de cette lettre dans les pages du R.H.L.F. Les autres lettres de Mallarmé à Mme. Whitman cité dans le texte et d'Ingram à Mrs. Whitman cité dans les notes 33 et 35 sont reproduits avec l'autorisation de la Brown University Library. La lettre de Mme. Whitman à Ingram est cité dans la note de bas de page 11 avec l'autorisation de la collection Ingram-Poe (#38-135), Département des collections spéciales, Bibliothèque de l'Université de Virginie.

2. Henri Mondor, élève au lycée Mallarmé, avec quarante poèmes juvéniles inédits (Paris, Gallimard, 1954), p. 295. Les trois cahiers se trouvent actuellement à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet (B.L.J.D.) grâce à un don du docteur Mondor.

3. Le deuxième cahier, marqué MNR MS 1169, contient les textes anglais des poèmes de Poe, folios 60 à 74. Je les décris dans un article sur Mallarmé et Poe qui n'a pas encore été publié.

4. Les traductions se trouvent dans le premier cahier, page MNR Ms 1168. L'article cité dans la note précédente en traite.

5. Pour l'histoire de I Saw You Once et sa relation avec la biographie de son auteur, voir la présentation du poème par Thomas Ollie Mabbott dans son édition critique Collected Works of Edgar Allan Poe. Volume 1: Poèmes (Cambridge, Massachusetts, The Belknap Press of Harvard University Press, 1969), p. 441-444.

RHLF, 1996, no. 6, p. 1166-1175.

PREMIÈRE LETTRE CONNUE DE MALLARME À S. H. WHITMAN. 1167

Non Rhymes s'inspire d'un épisode sentimental de la vie mouvementée de Poe.

L'héroïne de cet épisode s'appelait Sarah Helen Power Whitman dans la vie civile. Née en 1803 à Providence, Rhode Island, elle a fait ses études privées, a épousé John Winslow Whitman, avocat et inventeur, en 1828, et a vécu à Boston jusqu'à sa mort en 1833. À cette époque, elle est retournée à Providence, où elle a passé les quarante dernières années. cinq ans de sa vie. Là, il s'est principalement occupé de sa mère et de sa sœur cadette. Dans ses temps libres, qui selon sa biographe Caroline Ticknor 6 n'étaient pas nombreux, il se consacra à la littérature. Bien que son premier ouvrage, Hours of Life and Other Poems, n'ait été publié qu'en 1853, il figurait en bonne place dans des périodiques, des revues, des collections et des livres-cadeaux de son époque, y compris les deux anthologies intitulées The Female Poets of America.

L'histoire littéraire ne connaît Sarah Helen Whitman que comme la femme à qui Poe s'est fiancée et a rompu les fiançailles quelque temps après la mort de sa femme Virginia. Elle mérite mieux. Sa correspondance abondante, dont Caroline Ticknor a largement fait usage, montre que, malgré ses activités familiales, elle a entretenu des amitiés complexes et intenses avec de nombreuses personnalités de son époque. Surtout, cette correspondance révèle qu'elle est intelligente, sensible et sensible. Elle a souvent aidé des parvenus et son ouverture aux talents en difficulté, y compris Walt Whitman, l'a distinguée de la plupart de ses contemporains.

Sans aucun doute, Mme. Writman n'aurait jamais rejoint la mêlée si Rufus Griswold, exécuteur testamentaire de Poe et auteur de l'édition posthume de ses œuvres, ne s'était pas converti.

6. Caroline Ticknor, Poe's Helen (New York, Charles Scribner's Sons, 1916). Miss Ticknor dédie son quatorzième chapitre à Mallarmé ;

7. Le premier, du poète Thomas Buchanan Read, date de 1848. Il a été publié sept fois. Dans le sixième (1855), intitulé Revised and Enlarged, Mrs. Whitman est représenté par quatre poèmes (pp. 277-286). La première édition de l'anthologie de Griswold a été publiée en 1849. Elle contient (pp. 167-176) seize poèmes de Mme Griswold. Whitman et un dix-septième écrit en collaboration avec sa sœur cadette Anna. L'anthologie de Griswold a connu sept réimpressions et plusieurs éditions posthumes au cours de sa vie. Mme. Whitman était également dans The American Female Poets de Caroline May (Philadelphie, Lindsay & Blakiston, 1848).

8. Les œuvres de feu Edgar Poe ont été mises en vente en janvier 1850 par l'éditeur new-yorkais J. S. Redfield. Ils se composaient de deux volumes, le premier intitulé Histoires, le second Poèmes et Divers. Les récits de Poe rassemblés dans le premier volume étaient précédés de deux notes : "Edgar A. Poe" de l'écrivain James Russell Lowell (pp. vii-xiii), recension d'un texte publié du vivant de Poe sous le titre "Our Associates". - Nº XVII, Edgar

1168 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

dans le texte biographique qu'il a ajouté au troisième tome, la rupture de son engagement envers Poe au détriment de ce dernier 9. Ces mémoires reproduisent l'esquisse de la nécrologie citée en note 8, presque en matériau de recyclage, mais ils lui sont six fois reconnaissants en grande partie à des prêts, certains directs, comme ceux des lettres de Poe à Griswold, que le destinataire a modifiées pour soutenir ses thèses, d'autres cachés, comme ceux de la révision par John Moncure Daniels des volumes I et II de Redfield numéro 10. poète 11.

En 1853, Redfield a republié les trois volumes des mémoires de Griswold jusqu'aux 12 premiers. Il y régna pendant 25 ans 13. A défaut d'accord de droit d'auteur ou de réimpression

Allan Poe » dans Graham's Magazine (vol. XXVII, n° 2, février 1845, pp. 49-53) et « Death of Edgar Poe » par le publiciste Nathaniel Parker Willis (pp. xiv-xx). Ce dernier texte, extrait de l'édition du 20 octobre 1849 de l'hebdomadaire new-yorkais The Home Journal, cite, pour le réfuter, six paragraphes d'une nécrologie que Griswold publia sous le pseudonyme de Ludwig le lendemain de la mort de Poe, selon le journal new-yorkais Times. Tribuna (vol. IX n° 156, oct.

1849, p. 2).

9. Redfield a publié le troisième volume en septembre 1850, un volume d'écrits superficiels de Poe, principalement des critiques. Intitulé The Literati: Quelques opinions honnêtes sur les mérites et les démérites de l'auteur, avec un mot occasionnel de personnalité. Avec Marginalia, ce travail combiné avec les textes des mémoires de l'auteur de Poe Griswold (à cette époque, il était d'usage d'appeler presque toute présentation un mémoire de textes littéraires - mot anglais du français).

10. John M. Daniel, "Edgar Allan Poe", Southern Literary Messenger, vol. XVI Non. 3 mars

1850, 172-187.

11. Dans sa lettre du 25 octobre 1875, Mme. Whitman Ingram raconte sa dernière rencontre avec Poe, ajoutant : « Il est clair que les commérages attachaient une grande importance à ces événements, qui étaient sans aucun doute relatés avec de nombreuses fioritures et illustrations sensationnelles. Vous verrez donc que le pauvre Griswold avait beaucoup de matériel avec lequel travailler" (Ingram-Poe Collection, article 252, boîte 5). University Press of Virginia, 1979), pp. 344-349.

12. La transposition a été si brutale que la première page du texte porte encore le numéro 21 dans le troisième volume. L'édition de 1853 unifie les couvertures des trois volumes. Griswold a obtenu la part du lion: les œuvres d'Edgar Allan Poe avec des mémoires de Rufus Wilmot Griswold et des rappels de sa vie et de son génie par N. P. Willis et J. R. Lowell

13. Redfield a ajouté un quatrième volume aux trois premiers en 1856, The Narrative of Arthur Gordon Pym. Les quatre volumes ont été réimprimés plusieurs fois. En 1863, il vend les droits de reproduction à W.J. Widdleton (John Carl Miller cité dans n. 11, p. 3, n. 4). Selon Miller - il ne donne pas la date, mais ce serait vers 1875 - Widdleton aurait vendu les droits de reproduction à l'A.C. Armstrong. Selon Miller, en 1876, ce dernier a réimprimé les quatre volumes, remplaçant les mémoires de Griswold par une présentation d'Ingram (je n'ai pas encore vu cet avatar de l'édition Redfield). De son côté, Widdleton republia la poésie de Poe en 1877, suivie d'une communication d'Eugene L. Didier, un journaliste de Baltimore qui, trois ans plus tôt, avait tenté de vendre ses informations "non publiées" sur Poe à Ingram pour la somme, à peu près le temps. à partir de cent dollars. Voir la lettre inédite de Didier à Ingram, 1er octobre 1874 (Collection Ingram-Poe, pièce 174, boîte 3).

PREMIÈRE LETTRE CONNUE DE MALLARME À S. H. WHITMAN 1169

entre les États-Unis et les Trois Royaumes, les éditeurs britanniques ont piraté le texte de Poe. Pour différencier ces nombreuses éditions, des illustrations et des préfaces ont été fournies. Ceux-ci, dont la plupart étaient anonymes, s'inspiraient fortement des mémoires de Griswold. L'influence néfaste de ce texte malveillant fut considérable 14.

Par conséquent, Mme. Whitman s'est consacré à défendre et à illustrer Poe. Fin 1859, l'éditeur new-yorkais Rudd & Carleton publie Edgar Poe and His Critics, un livre modeste et sobre qui reproche systématiquement aux détracteurs du poète américain la méchanceté, l'exagération et le mensonge dont ils l'ont honoré. Ce faisant, il a fondé un mouvement dédié à la réhabilitation de Poe qui en a inspiré beaucoup.

John Henry Ingram fut le premier d'entre eux à se distinguer. Né dans une banlieue de Londres en 1842, il se précipita à la défense de Poe vers 1873. Sentant que Griswold avait menti, il utilisa son énergie impressionnante et sa ténacité passionnée pour rechercher des faits et des documents, en particulier les propres lettres et écrits de Poe, et demander au peuple qui avait connu Poe. Le 20 décembre 1873, la lecture de Mrs. Whitman, dont il avait trouvé un exemplaire au British Museum, lui fit parler de son éditeur Rudd & Carleton. La récipiendaire, qui était dans la soixantaine et commençait à désespérer de l'émergence du biographe énergique et habile qu'elle avait crié pour rétablir la vérité sur Poe, était ravie et a répondu à Ingram le 13 janvier 1874. a commencé une correspondance dont les éléments connus totalisaient cent soixante-neuf parties15. Selon John Carl Miller, un chercheur américain qui a consacré sa vie professionnelle à Ingram, Mrs. découvrirait, 16.

14. Il convient toutefois de noter que les admirateurs de Poe, comme ses détracteurs, n'étaient pas nuancés. Le puritanisme l'exigeait, il leur fallait un homme qui n'ait pas plus de défauts que sa poésie, qui leur paraissait impeccable.

15. Dans l'ouvrage cité à la note 11, Miller a imprimé les quatre-vingt-quatorze lettres ou cartes postales de Mrs. Whitman à Ingram en possession de la bibliothèque Alderman et les soixante-quatorze lettres ou cartes postales d'Ingram à Mrs. Bibliothèque Whitman. Propriétés à la John Hay Library, Brown University (Providence, Rhode Island). Miller n'était apparemment pas au courant de la lettre d'Ingram à Mrs. Whitman du 1er avril 1875, qui avait été séparé des autres vers 1917 pour être inséré dans la copie Helen's Poe dont il sera question plus tard.

16. Ouvrage cité à la note 11, p. xvii. Malheureusement, Ingram se révélerait indigne de la confiance qu'elle, comme la plupart de ses autres correspondantes féminines, lui accordait. Il a combattu presque tout le monde, toujours pour les mêmes raisons et toujours avec le même résultat : pour avoir publié les lettres et confidences que ces dames lui ont faites.

1170 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

L'absence de documents originaux rend conjecturale notre connaissance des origines des rapports Mallarmé-Ingram. Le soulagement le plus probable était Swinburne 17. D'autre part, la correspondance entre Ingram et Mrs. Whitman prouve sans conteste que c'est aux Anglais que Mallarmé doit son « introduction » à l'Américain. Mallarmé fit envoyer un exemplaire de Le Corbeau à Ingram18. Avant de mettre la main dessus, Ingram parlait à Mme. Mallarmé19. C'est à cette demande que Mallarmé adresse sa première lettre à Mme. Whitman.

Sept lettres de Mallarmé à Mme. Whitman sont connus. Six d'entre eux se trouvent dans la ville natale de Whitman à la bibliothèque John Hay de l'Université Brown.

17. L'article cité à la note de bas de page 3 passe en revue les preuves.

18. Le 8 juillet 1875, Richard Lesclide, rédacteur en chef du Corbeau, sans doute à l'instigation de Mallarmé, A. Delatre, imprimeur londonien de Paris, commande deux exemplaires de la luxueuse publication à Richard Hengist Horne, journaliste de tous métiers. London Personality Writer of the Time qu'elle « a transmis à MM. O'Shaughnessy et John H. Ingram ». Voir la lettre de Lesclide à la page 54 du "Dossier" très utile mais mal édité de Michaël Pakenham accompagnant l'édition 1994 du Corbeau aux éditions Séguier.

19. La lettre du 8 mars 1876, adressée par Lesclide à Mallarmé (ouvrage cité dans la note précédente, p. 73) montre que le traducteur ne se souciera de se plier au vœu de l'Américain qu'au début de 1876. Le Corbeau, qui ne apparaissent jusqu'au début de juin, sont apparus pour la première fois dans une correspondance entre Ingram et Mrs. Whitman le 22 juillet 1875, dont le récépissé accuse Mrs. Whitman de reporter la description du volume à une date ultérieure. Le 18 octobre, il informa Mme. Whitman que Mallarmé avait demandé son adresse pour que le Français puisse lui en envoyer une copie.

20. Aujourd'hui, certaines des lettres, livres et autres documents recueillis par Mme. Whitman sont à la Josiah K. Lilly Library (Indiana University, Bloomington, Indiana) et certains à la John Hay Library (Brown University). , Providence, Rhode Island).

21. L'histoire de cette lettre est longue et confuse. Le texte -en anglais- édité par Robert J. Niess ("A Letter from Stéphane Mallarmé", Modem Language Notes, Volume LXV, Number 5, May 1950, 339-341) était une traduction faite par le destinataire pour Eugène L. Didier , journaliste américain venu à la défense de Poe après les publications d'Ingram. La note 13 ci-dessus cite sa tentative de négocier avec Ingram. W. T. Bandy ("Mallarmé's Letter to Mrs Whitman: A Correction", Modem Language Notes, Volume LXV, Number 7, November 1950, 507) précisa que le texte publié par Niess n'était pas basé sur l'autographe et expliqua le malentendu avec le catalogue de la Houghton Library (Harvard University, Cambridge, Massachusetts) décrit le document comme un manuscrit de Mallarmé. La correspondance de Mallarmé y fait référence à deux reprises : le document de la Houghton Library est décrit d'abord comme « une transcription de Mme Whitman » (T. 2, p. 211), puis comme « la traduction, pas la transcription » (T. 11, p. 118). ). (Les autorités de cette institution n'ont prêté aucune attention à ces détails. Le catalogue de la bibliothèque Houghton, désormais informatisé, décrit le document de la collection Didier comme étant toujours la copie dédicacée de Mme Whitman de Mallarmé. Rappelez-vous que la copie est une transcription et non une traduction.) Didier a imprimé trois phrases de ce texte aux pages 90 et 91 de son

PREMIÈRE LETTRE CONNUE DE MALLARMÉ À S.H. WHITMAN 1171

La lettre se trouve à Austin, au Texas, incluse dans une copie de Poe's Helen achetée par le Harry Ransom Humanities Research Center à la succession de William H. Koester, un collectionneur américain de Poe. une feuille d'environ 250 mm x 202 mm pliée en quatre pages, la lettre à Mme. Whitman contient le texte suivant (les italiques dans le texte de la lettre et dans les citations 33 et 35 de la lettre sont soulignés dans les documents autographes).

87 rue de Rome Paris, le 4 avril 1876

madame,

Je ne sais si cette lettre est antérieure au 23 ou si elle suit peu après l'arrivée à Rhode Island d'un des exemplaires du Corbeau que mon collaborateur Manet et moi avons écrit pour vous par devoir et plaisir : tout cela a été créé pour honorer la mémoire du génie le plus vraiment divin que le monde ait jamais vu n'a pas besoin de votre vote en premier. Ce que notre grand Baudelaire n'a pas traduit de Poe, j'entends le faire connaître à la France, à savoir les poèmes et de nombreux fragments critiques ; et ma première tentative, dont vous aurez un échantillon, est d'attirer l'attention sur un travail qui est encore à venir, ou qui est presque terminé. vous l'aimerez je le voudrais : mais en tout cas, madame, la réussite complète de mon projet ne vous donnera jamais dans l'avenir une satisfaction égale à la joie, vive, profonde, absolue, une des meilleures de ma vie. que j'ai reçu d'une feuille que M. Ingram a eu la gentillesse de retirer une lettre dans laquelle il exprimait son désir de voir notre corbeau. Non seulement dans l'espace (qui n'est rien) 26 mais aussi dans le temps (fait pour chacun de nous de toutes les heures que nous avons jugées dignes de tenir et de ne pas lâcher) 27 ton désir semblait venir de si loin ! parce que je suis amoureux du travail de Poe depuis que je suis enfant

Livre La vie et les poèmes d'Edgar Allan Poe ; Un nouveau traité de E. L. Didier ; et Poèmes supplémentaires (New York, WJ Widdleton, 1877). Les collections de Whitman à la John Hay Library contiennent deux autres traductions de la même lettre de Mrs. Whitman : l'un est plutôt un brouillon, l'autre une copie propre. Caroline Ticknor l'a imprimé aux pages 262 et 263 de son Poe's Helen. Il a corrigé l'orthographe (Mme Whitman confondait souvent l'orthographe des mots «recevoir» et «fasciné») et a changé le & en y, mais n'a pas autrement touché à l'écriture, bien que l'autographe de Mallarmé ait été utile.

22. Maude Dailey Chace a dédié à l'auteur : "Caroline Ticknor, en remerciement pour son portrait sympathique [al] de la force intellectuelle douce et désintéressée et du caractère de Sarah Helen Whitman, Best regards Maude Dailey Chace, 19 janvier 1918". (Poe et Mme Whitman sont nés le 19 janvier.) Dans la correspondance assez abondante entre Mme. Chace et Mme. Ticknor, maintenant à la bibliothèque John Hay, on peut retracer le développement et la publication du livre et de cet exemplaire dit "spécial" par les deux parties intéressées.

23. Simulateur.

24. Première pensée : Tout.

25. Première réflexion : dés.

26. Parenthèses superposées, la seconde au-dessus d'une virgule.

27. Les parenthèses qui ferment la phrase additionnent pour chacun de nous toutes les heures que nous jugeons dignes d'être économisées et non gaspillées.

1172 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

Votre nom s'est longtemps mêlé au sien dans mes anciennes et sincères condoléances : 29 L'un des plus doux souvenirs que l'homme puisse m'avoir rendu à cette époque.

Recevez, madame, l'expression de ma reconnaissance, telle que votre sublime âme poétique sait la traduire ; parce que c'est moi, ouais ! qui te remercie

Stephane Mallarmé.

Le texte de cette lettre appelle quelques commentaires. Premièrement, les regrets soulignent la santé mentale et les expressions faciales de l'auteur. Tout ce que notre grand Baudelaire ne traduisait pas de Poe devenait moins compromettant. Des volonté va dans le même sens. Les parenthèses ajoutées indiquent la manière de Poe. (Pensez aux versets 21 - "Ce n'était pas le destin (dont le nom est aussi douleur)" - et 61 - "Ils remplissent mon âme de beauté (qui est espoir)" - de Je t'ai vu une fois.) Enfin, peut-être va-t-il vaincre vrai depuis longtemps, aurait pu être un peu plus fidèle pendant un moment.

Donc toute une phrase - celle qui évoque cette joie, vive, profonde, absolue, l'une des meilleures de ma vie littéraire, que M. Ingram me l'a gentiment donné sur une feuille - ne peut s'expliquer que par la correspondance entre Ingram et Mrs. .Whitman. Le 1er novembre 1875, Mme. Whitman a répondu à la lettre d'Ingram du 18 octobre, l'informant que Mallarmé, de qui faut-il se souvenir ? il était presque inconnu, a voulu lui envoyer un exemplaire de Le Corbeau, a demandé à son correspondant anglais de soutenir son intention, par courtoisie - elle n'avait pas eu le moindre mot à ce sujet et ne l'aurait pas reçu six mois plus tard - joignez à sa lettre suivante, une note manuscrite sur un morceau de papier (au grand dam de ses amis bibliophiles, dont Caleb Fiske Harris, et du chercheur actuel), Mrs. Whitman avait un penchant pour les petits morceaux de papier : elle découpait presque tout, des lettres manuscrites de Poe à la page de titre de la très rare édition Wiley & Putnam des Poe's Tales publiée en 1845). Cette feuille, qui aurait fait le bonheur de Mallarmé, semble avoir disparu.

Le lecteur aura peut-être remarqué une autre phrase dans laquelle Mallarmé dit être fasciné par l'œuvre de Poe depuis son enfance30. Tout Mallarmé connaît les mots presque par cœur.

28. La bonne chose à propos de Overload dans un mot très difficile à lire et peut-être incomplet : je vais prendre un risque.

29. Simulateur.

30. C'est peut-être la condition nécessaire, sinon suffisante, d'une telle passion pour Poe : Ingram disait à peu près la même chose à Mrs. Whitman dans sa lettre du 26 janvier 1874, la seconde. Voir l'ouvrage cité à la note 11, p. 9-12 et surtout page 11.

PREMIÈRE LETTRE CONNUE DE MALLARME À S. H. WHITMAN 1173

que Mallarmé adresse à Verlaine le 16 novembre 1885, qui prépare un texte sur lui pour les hommes d'aujourd'hui, dans lequel il dit n'avoir "appris l'anglais que pour mieux lire Poe". Le fait que les vestiges de la bibliothèque Mallarmé conservés au Musée départemental Stéphane Mallarmé contiennent un exemplaire de l'édition des poèmes de Poe publiée à Londres par Sampson Low en 1857 viendrait appuyer cette affirmation 31.

Ce qui suit mérite également d'être souligné : Votre nom est depuis longtemps lié au vôtre dans mes très anciennes et très chères condoléances. Nous avons vu que le poème qui a inspiré Mrs. Whitman in Poe est antérieur à tous ceux traduits par le jeune Mallarmé. Il ne voulait probablement pas dire qu'il connaissait le nom d'Helen ;

Comme nous l'avons déjà noté, cette lettre eut des conséquences. Toute cette correspondance tourne autour des projets littéraires de Mal31.

mal31. Les œuvres poétiques d'Edgar Allan Poe avec des mémoires originales. Illustré par F. R. Pickersgill, R. A. John Tenniel, Birket Foster, Felix Darley, Jasper Cropsey, P. Duggan, Percival Skelton et A. M. Madot, Londres, Sampson Low, Son & Co., MDCCCLVIII. De grand format et abondamment illustré (52 dessins dans lesquels l'éditeur prend soin de mentionner non seulement le nom du dessinateur mais aussi celui du graveur), le Mémoire liminaire (p. xvixxxx) est daté de juin 1857. La face est datée de 1858 , une série d'annonces publiées à l'Athenaeum le 24 octobre 1857 montrent que le livre était à vendre à la fin des vacances. D'un luxe impressionnant, du moins aux yeux d'un enfant - reliure de toile rouge gaufrée de décors dorés, richement illustrée - la couverture porte la signature de Stéphane Mallarmé, le final et forme une longue lignée, mais il faut noter qu'une étroite comparaison des l'édition du texte par Sampson-Low avec celle des exemplaires de Glanes montre que Mallarmé en a extrait le texte ailleurs - constat que, bien qu'on ne sache pas à quelle date l'exemplaire est parvenu à Mallarmé, celui publié par la Thèse de doctorat pourrait begin Mondor (ouvrage cité en note 2, p. 295) et endossé par le professeur Gill (Austin Gill, The Early Mallarmé. Volume 2: Youth and Young Manhood Early Poems [Oxford, Clarendon Press, 1986], p. 7) qui Mallarmé a copié dans Glanes, qui ne lui appartient pas.

32. Les mémoires de Grisworld racontent les circonstances entourant la composition du poème I Saw You Once et citent le texte intégral, mais son héroïne s'identifie uniquement comme "l'une des femmes les plus brillantes de la Nouvelle-Angleterre". Avez-vous regardé Mallarmé l'édition Redfield ? Avait-il lu le texte infâme, ou n'en avait-il eu connaissance que par Baudelaire ? Il n'y a actuellement aucune réponse à ces questions. Il semble beaucoup plus probable que Mallarmé ait su par Ingram que la propriétaire du poème Hélène / Je t'ai vu sur le jaguar était Sarah Helen Withman et qu'elle était poète. Mais nous manquons la prétendue lettre d'Ingram, comme beaucoup d'autres. Et pourtant la correspondance échangée entre les deux devait être assez abondante, surtout dans les années 1875-1877. La correspondance de Mallarmé contient treize lettres du poète à Ingram, la première datée du 6 août 1875, la dernière datée du 6 novembre 1894. En revanche, il ne connaît qu'une seule de l'anglais à Mallarmé, datée du 5 septembre 1888 (T. 3, pp. 257- 258 ), dont il donne le texte en français. (Ihgram a probablement toujours écrit en anglais.) La lettre citée dans la note appartenait à la collection Bonniot à l'époque. La bibliothèque littéraire de Jacques Poucet ne l'a pas. Le B.L.J.D. il n'a que ce que l'Anglais a envoyé à Mallarmé le 19 janvier 1897 pour le remercier d'avoir envoyé une copie des Ramblings et la lettre de condoléances à Mme Mallarmé datée du 10 septembre 1898. Les lettres échangées entre Ingram et Mme Whitman indiquent plusieurs lettres de Mallarmé à Ingram, qui nous manque, ainsi que les réponses.

1174 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

larme, dont les moins hypothétiques étaient ses traductions de Poe. Dans celui-ci, Mallarmé informe Mme. Whitman que The Raven n'est qu'une première tentative, destinée [uniquement] à attirer l'attention sur une œuvre future ou presque achevée, une formule malheureuse qui la rend assez embarrassée par ces deux correspondants. 33 En tant qu'imitateur d'Ingram, qui a dédié son édition des œuvres d'Edgar Allan Poe publiées à Édimbourg par Adam et Charles Black en 1874 à Mrs. Whitman, Mallarmé demandait dans sa lettre du 19 novembre 187634 – destinataire correct du mois d'octobre – celui qu'il n'appelle que l'être idéal que j'avais adoré pendant toute ma jeunesse et qu'une rare circonstance heureuse de la vie nous a fait connaître, même dès au loin, permission de lui dédier une traduction intégrale des poèmes de Poe, que j'avais l'intention de publier soit cet hiver, soit ce printemps au plus tard. Mallarmé, qui a tenu à dédier cette traduction à Mme. Whitman, en tant que celui qui a réellement survécu à Poe, a vu dans cette dédicace l'accomplissement d'un devoir envers moi, Mrs. Whitman, l'immortelle jeunesse de l'âme, qui laisse entrevoir l'heure propice de l'attente de sa publication et ce dont Mallarmé avait conscience qu'il avait consolé dans sa lettre à Mrs. Whitman des 18 et 28 mai 187736, il ne céda finalement pas. Mme. Whitman est décédé en 1878 à l'âge de 75 ans. Les poèmes d'Edgar Poe ne verront le jour que dix ans plus tard37.Cependant, les citations ci-dessus le prouvent.

33. La lettre qu'Ingram avait envoyée à Mrs. Whitman, le 18 novembre 1875, souligne l'impatience avec laquelle les Anglais et les Américains attendaient l'ouvrage annoncé : « Une traduction complète des poèmes, & marginalia sélectionnés est, je le crains, bien loin. Je serais heureux de savoir qu'il est dans le mains de l'imprimeur." (John Hay Library, MS 79/11, Box 4, Folder 156). Ingram était toujours un homme pressé, surtout quand il s'agissait d'affaires impliquant Poe. Pour Mme. Whitman, était plus sur son âge et sa mort inévitable. Que sa mort soit « proche » semble avoir été un thème constant dans sa correspondance au cours des trente dernières années de sa vie.

34. Lettre datée du 19 novembre 1876 (John Hay Library, MS 79/11, Box 4, Folder 176).

35. Dans sa lettre datée du 2 novembre 1876, Ingram informa Mrs. Whitman qui avait reçu une lettre de Mallarmé, dont une nous manque : « Cet hiver, Mallarmé me garantit sa traduction des poèmes, avec notice biographique et portrait de Poè apparaît = Portrait de moi. Le livre sera enregistré au nom de Mme. S. H. Whitman, alors vous n'aurez pas besoin de la République des Lettres avec la traduction » (John Hay Library, MS 79/11, Box 4, Folder 158). Il s'agit de la traduction de Mallarmé d'A Helen, publiée dans le numéro du 3 septembre 1876 de la République des Lettres (pp. 230-231). Mallarmé avait déjà publié cette traduction dans le numéro du 29 juin 1872 de Renaissance littéraire et artistique (p. 78), et l'avait publiée, avec quelques modifications, le 7 août 1886 dans L'Art et la Mode, luxueuse « revue pour vie mondaine. » L'article reproduit dans la note 3 examine toutes ces affirmations.

36. Bibliothèque John Hay, MS 79/11, boîte 4, commande 178.

37. L'editio princeps parut, grâce aux soins de l'éditeur bruxellois Edmond Deman, « avec le luxe pieux » que Mallarmé avait souhaité dans sa lettre à Mme. Whitman du 18 au 28 mai 1877.

PREMIÈRE LETTRE CONNUE DE MALLARME À S. H. WHITMAN 1175

que pour Mallarmé le plus important était de l'avoir connue, même de loin et par lettres intermédiaires.

Comme tout innovateur, conscient de l'audace de son projet et de l'opposition de ceux qui s'accrochent aux positions établies par intérêt ou par paresse, Mallarmé accorde une grande importance aux affiliations littéraires. Swinburne avait souligné que le travail d'Ingram sur la biographie de Poe était l'aboutissement du processus de réhabilitation initié par Baudelaire. Acceptant le défi lancé par ce dernier lorsqu'il affirmait qu'"une traduction de commande de poèmes, aussi concentrée [que celle de Poe] peut être un rêve caressant, mais ce ne peut être qu'un rêve" 39 , Mallarmé soutiendra le projet Réaliser Baudelaire par la calligraphie de Poe 40. Sarah Helen Whitman a non seulement connu ce que Mallarmé appelait son grand maître, le génie le plus vraiment divin que le monde ait jamais vu, mais elle lui a aussi inspiré l'encens divin de la chanson d'amour41, c'est-à-dire si l'on peut se fier en apparences dans ce cas particulier, le premier des poèmes de Poe à être traduit par Mallarmé, et depuis sa jeunesse.

DAVID DEGENER*.

38. Dans sa lettre de remerciement pour l'exemplaire de Le Corbeau que Mallarmé offrit au poète anglais, Swinburne dit qu'il était heureux "de voir l'annonce de la traduction complète des poèmes de Poe, que vous devez accompagner d'une préface à votre premier. " et lettre". .' et continua à partir de là : "Vous avez dû déjà voir l'excellent travail de M. John Ingram, l'un des plus ardents admirateurs d'Edgar Poe, qui vient de réduire en poussière tout le tas de mensonges et de calomnies qui a été falsifié ou compilé. Griswold, "dont le nom n'est qu'un vampire émétique" (The Swinburne Letters, édité par Cecil Y. Lang [New Haven, Connecticut, Yale University Press, 1959-1962], T. 3, p. 41-42). .

39. "Nouvelles notes sur Edgar Poe", nouvelles histoires extraordinaires d'Edgar Poe; Traduction de Charles Baudelaire (Paris, Michel Lévy frères, 1857), p. XXIII-XXIV.

40. L'utilisation par Mallarmé des écrits de Baudelaire dans la « racaille » qui accompagne ses traductions de Poe aux éditions Deman et Varier fait de Baudelaire son garant, sinon son collaborateur. Je reviens sur cette thèse dans l'article cité en note 3,

41. Les Poèmes d'Edgar Poe, traduits par Stéphane Mallarmé, avec portrait et floron. par Edouard Manet. A Bruxelles, édité par Edmond Deman, MDCCCLXXXVIII, p. 188

* Éditorial, Ptyx : Revue Mallarmé, Musée Mallarmé, 4 quai Stéphane Mallarmé, 77870 Vulaines-sur-Seine.

RAPPORTS

GÉRARD DEFAUX, Le poète dans son jardin, étude sur Clément Marot et "La jeunesse de Clémentine". Paris, Champion, 1996. Tome 13x21 de 282 pages.

Gérard Defaux est incontestablement l'un des meilleurs connaisseurs de Clément Marot. Il a récemment publié Œuvres Poétiques Complètes dans les Gantier Classics. Et on lui doit de nombreuses études sur ce poète aussi nouveau que stimulant. Pas étonnant qu'il pense que Marot est peu connu et éclipsé par la renommée de Ronsard et de La Pléiade. Cette année, les circonstances ont permis de le placer à l'honneur : d'un côté, le 500e anniversaire de sa naissance, de l'autre, l'inscription au programme d'agrégation de L'Adolescence Clémentine. Ce livre est donc le fruit d'une commande à un éditeur, inspiré de l'époque actuelle. G. Defaux a pu le satisfaire en urgence sur la base de ses précédents travaux.

Avec une chaleur souvent convaincante, il développe une image de poète et de destructeur de traditions. Les trois premiers chapitres tracent une biographie. Car « la poésie de Marot entretient avec sa vie un rapport si troublant et difficile à définir comme essentiel » (p. 29). Une biographie largement ouverte sur le « contexte idéologique et historique » : « La poésie de Marot ne peut être vraiment appréciée et comprise que si l'on prend la peine de la situer dans les milieux qui l'ont nourrie et guidée ». L'événement le plus important a été la rencontre de Marguerite de Navarre. Dans le sillage et sous la protection de cette sœur de François Ier, Marot défend la cause des évangélistes. Combattez avec eux pour réformer une église corrompue. On voit là l'originalité de ce que nous propose G. Defaux. Leurs analyses mettent en évidence un marot d'une complexité unique. Il est certes le poète de "l'élégance ludique" de la tradition, "ludique et légère" (p. 114), mais aussi comme "un organisateur, un penseur et un homme d'action" (p. 104), un "combattant pour la foi et vérité [...] qui s'efforce de créer une certaine image de lui-même et de l'imposer à ses lecteurs » (p. 169), soucieux de « conserver les anciennes structures » mais dans le but de « les réformer de l'intérieur et d'en faire renaître dans une vérité et une liberté qu'ils n'auraient jamais dû perdre" (p. 191). Marot est-il un poète « essentiellement religieux » ? G. Defaux est conscient qu'une telle interprétation se heurtera à des objections. également les présentations du colloque.

1. La rapidité de production explique certainement les nombreuses fautes de frappe.

RAPPORTS 1177

qui a eu lieu cette année à Cahors, ville natale de Marot 2. Le lecteur est séduit par tant de pages bien écrites et fortement argumentées.

Un livre brillant, donc "essentiel" pour reprendre l'adjectif que son auteur a utilisé à plusieurs reprises. Nous avons également été très surpris de lire, pp. 193-194, adressée à notre journal et à son administration, une note injurieuse truffée d'inexactitudes. La Revue d'histoire littéraire de la France a publié (janvier 1993) un article, "Les deux Amours de Clément Marot", qui a été réalisé par G. Défaux et non, comme il le prétend, inséré "à son insu". Nous avons la lettre dans laquelle vous nous proposez ce poste. Comme il a soumis ces "Deux amours" à Rivista di Letterature Moderne et Comparate en même temps, il suppose que notre revue aurait reproduit son article de l'édition italienne. Notre texte contenait des erreurs typographiques. Ils ne sont pas dus à nous mais à un changement de personnel dans notre rédaction. Nous avons publié (1993, p. 849) une correction avec nos excuses. G. Defaux n'était pas très mécontent de la R.H.L.F. Peu de temps après, il lui envoie un autre manuscrit, qui paraît en décembre 1993. Ainsi, la même année, deux articles du même auteur sont inclus dans la Revue d'histoire littéraire de la France, dirigée par Sylvain Leading. Dès lors, on a du mal à comprendre que G. Defaux termine sa note par cette phrase : "Depuis le départ de René Pomeau et l'arrivée de Sylvain Leading, quelque chose ne va pas chez R.H.L.F". Premièrement, René Pomeau n'est pas parti. En tant que président de la Société française d'histoire littéraire, qui édite la revue, il en reste responsable. N'est-il pas vrai qu'aujourd'hui "dans la R.H.L.F.". Le fait que Sylvain Menant et le Conseil qui le soutient, composé de personnalités incontestables (voir page 2 de la couverture), fassent très bien leur travail, il suffit de regarder la collection de nos carnets de 1993.

RENÉ POMEAU.

Œuvres & Critiques, XX, 2, « L'exégèse biblique au XVIe. XXe siècle », et XX, 3, « La réception critique des licences au XVIIe siècle ». Tübingen, Maison d'édition Gunter Narr, 1995. Volume 15 x 22,5 de 322 pages.

En un volume, deux tomes de la "revue internationale pour l'étude de la réception critique des oeuvres littéraires en français" (les articles en anglais sont précédés d'un résumé en français) et une dizaine de recensions d'ouvrages récents sur la théorie littéraire et les études de réception (dont l'accueil approches par G. Molinié et A. Viâla).

Le premier dossier, coordonné par Colette H. Winn, combine des études d'exégèse biblique du XVIe siècle avec des études en anglais ou en français sur : la traduction des Pseames de Clément Marot (G. Defaux), les Annotationes d'Erasme sur le Jean (G. Joseph ) ou l'Évangile de Luc (J.-C. Margolin), la réflexion herméneutique de Lefèvre d'Étaples (R.D. Cottrell), la paraphrase dans la poésie calviniste de Du Bartas et dans la poésie catholique de De Croix (C Randall), pour Spiritual Sonnets d'Anne de Marquets (G. Ferguson) et The Imitation of Judich's Victory de Gabrielle de Coignard (C.H. Winn). Dans la rubrique « Études parallèles », le texte inédit d'une conférence du marchand d'art René Gimpel sur Marcel Proust (1927) et un article sur Aimé Césaire (G.Nne Onyeoziri).

2. Les représentations sont annoncées comme suit : "Through November 1996" (p. 256) apparaîtra.

1178 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

Le second dossier, préparé et présenté par K. Clark, propose un résumé de « La réception critique de l'indulgence au dix-septième siècle ». L. Godard de Donville tente de définir une poétique du libertinage dans l'œuvre de Théophile de Viau ; F. Lagarde rédige le procès-verbal de la « procédure de réhabilitation » contre Saint-Amant ; M. Alcover s'intéresse à la réception de Cyrano du XVIIe siècle aux Lumières (avec de nombreux extraits et bibliographie) ; M. M. Houle envisage une « casuistique au service du plaisir » dans les contes de La Fontaine ; AG Wood examine les parades nuptiales et les avertissements satiriques de Boileau sur le thème de l'homosexualité ; H. Goldwyn découvre le côté féminin de la débauche scientifique dans les mémoires de Mme du Noyer ; Enfin, J. G. Turner propose une lecture d'un des "textes fondateurs du libertinage à la fois scientifique et sexuel", Satyra Sotadica de Nicolas Chorier, "cousine bâtarde" des lettres portugaises, qui doit l'essentiel de son succès à son prétendu "effet d'auteur". d'être une femme; Attribuée à tort à Louise Sigée, spécialiste de la Renaissance franco-ibérique, l'œuvre a suscité des réactions littéraires, parmi lesquelles Vénus au cloître, mais aussi celle de John Oldham en Angleterre, dont le manuscrit J.G. Turner analysé ici.

ÉCOLE MARCOS

HARTMUT STENZEL, Le "Classique" français. Modernisation littéraire et État absolutiste. Darmstadt, Société du livre scientifique, 1995. Vol. du XI + 310 p.

Dans son dernier livre, M. Stenzel a l'occasion de voir combien il est difficile pour les historiens de la littérature de se débarrasser de certains concepts mal conçus, surtout lorsqu'ils sont liés à des idées politiques ou chargés de connotations patriotiques. Le concept de «période classique» est l'un des termes couramment utilisés par les historiens de la littérature et un exemple particulièrement controversé.

L'ouvrage débute par une discussion générale de la notion de "période classique", dans laquelle l'auteur démontre la persistance notable de ce terme, qui dès le début a joué le rôle de prémisse indiscutable pour l'approche du Xe au VIIe siècle. M. Stenzel rappelle que le concept de littérature classique doit une partie de son succès au fait qu'il est parfaitement adapté à l'enseignement scolaire ; d'autre part, il défend une plus grande autonomie de la recherche historique par rapport aux exigences plus synthétiques de l'enseignement. Il est particulièrement important pour lui de montrer que le concept de "période classique" implique une idée précise du sens et de la fonction de la littérature en tant que telle. Et on a l'impression que cette façon d'aborder le "classique" représente le véritable défi auquel M. Stenzel veut répondre avec son travail. N'est-il pas temps, demande l'auteur, de banaliser toute valeur dérivée des traditions culturelles ? Dès les premières pages, il nous invite à lire son étude (« Epochdynamics ») consacrée à la « dynamique » de la période classique comme un texte qui interpelle non seulement une certaine notion de la littérature fondée sur des notions durables et pérennes, mais aussi cette autre conception, qui est fondamentale pour les humanités et les humanités, selon laquelle un sens précis et un sens cohérent aujourd'hui encore pourraient être tirés du passé. Pour Monsieur. Stenzel, le terme « littérature classique » est particulièrement clair pour montrer le caractère abusif de cette idée. Pourtant, le style de Herr Stenzel, professeur condamné à enseigner une littérature qui devient banale, montre qu'il souffre lui-même de cette évolution qui, selon sa vision pessimiste, conduira à une civilisation de la banalité, une littérature de l'incohérence et de la folie. . remplacer la civilisation. Hors tension intérieure

RAPPORTS 1179

Derrière ce dilemme intellectuel se cachent la force et l'intelligence qui font de ce livre un véritable chef-d'œuvre d'analyse historique. Derrière la tendance -apparemment destructrice- qui semble sous-tendre le travail de l'auteur, se dégage une intention plus constructive, à savoir l'intention de briser les vieux clichés pour faire place à une nouvelle littérature plus responsable et surtout plus moderne.

Partant de sa critique de la notion de classique, M. Stenzel consacre les quatre chapitres restants à présenter la véritable "dialectique de la modernisation sociale et littéraire" établie au XVIIIe siècle, en examinant les actions littéraires de certains de ses protagonistes, tels que Théophile de Viau, Charles Sorel, Jean-Louis Guez de Balzac, Jean Chapelain et Pierre Corneille, Après avoir sévèrement critiqué la cohérence illusoire de la conception traditionnelle de cette période, l'auteur, à la suite de sa propre analyse, admet que l'"Age classique indique les caractéristiques d'un" champ littéraire doté d'une relative cohérence ". ils ont tenté de créer une certaine autonomie menacée par des "facteurs d'hétéronomie". Selon M. Stenzel, ce "discours classique" servait plus d'"instance de légitimation" que de discours modèle pour toute la littérature.

Le livre ne se termine pas par un bilan détaillé. M. Stenzel préfère terminer par une brève réflexion qui reprend certaines des idées exposées dans la préface. Tout sens établi apparaît comme une synthèse fragile et discutable, surtout pour le chercheur qui examine tout de très près. Mais la force d'une culture se mesure plus à sa capacité à synthétiser ses concepts qu'à sa capacité à dissocier ses concepts. Il n'y a donc pas de réelle contradiction lorsque l'auteur, parti d'un profond pessimisme par rapport aux valeurs littéraires, au terme d'un ouvrage riche d'observations très subtiles, exprime l'espoir que le concept de « littérature classique » perdurera dans ce nouveau monde résiste un certain temps sans que les médias s'en aperçoivent.

ROLAND BERNECKER.

Littérature classique, Numéro 25, 1995 : "L'irrationnel au dix-septième siècle". Vol. 16 x 24 sur 323 pages.

Cette nouvelle édition des littératures classiques, organisée par P. Ronzeaud, se lit comme un examen détaillé des rapports entre savoirs et représentations, littérature et irrationalité au siècle de la « rationalité classique », mais aussi comme un chapitre complexe à part entière, un histoire des mentalités ou mieux : une "Economie de l'Imaginaire". Le prologue de P. Ronzeaud a le mérite d'exposer clairement l'hypothèse de travail qui a donné lieu à cette enquête collective, dont la première formulation figurait déjà dans la contribution de P. Ronzeaud au colloque « Les chemins de la création littéraire », dont Dix-Septième Siècle n.º 182 (1994) : l'existence d'un mouvement au XVIIe siècle « vers l'extermination de certaines formes anciennes d'irrationalité, ou plutôt une transformation dynamique de celles-ci, les rejetant hors du domaine de la réalité et revivant dans le domaine de la fiction ». Une hypothèse que le travail mené a été « en partie poursuivi, en partie transformé », comme l'avoue P. Ronzeaud lui-même, travaillant sur plusieurs pages extrêmement concises pour rendre compte de toutes les étapes et résultats ; nous nous contenterons donc ici d'exposer brièvement la structure du volume et le contenu des contributions.

Une première section nous invite à relativiser les données généralement admises, sinon l'idée d'éradiquer l'irrationalité. Par exemple, l'œuvre d'une certaine Béroalde de Verville, convoquée à la fois par A. Tournon et G. Matthieu-Castellani, illustre la persistance du pouvoir heuristique attribué à la déraison auquel tous deux recourent.

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les phénomènes curieux de cohérence et de discontinuité représentés dans Les moyens d'obtenir (A. Tournon) et les histoires oniriques dans Le Palais des Curieux (G. Matthieu-Castellani). N. Doiron montre ce que la « raison classique » doit à la mathématisation grecque de l'harmonie et considère l'excès à l'époque classique comme quelque chose d'indescriptiblement refoulé, qui trouve pourtant sa place dans des moments singuliers du spectacle tragique ou dans une rhétorique du sublime. J.-Ph. Salazar analyse la fonction sociale du « sens commun » et sa relativisation à travers le discours sceptique de La Mothe le Vayer.

Une deuxième section résume les contributions consacrées plus spécifiquement à « l'irrationalité démoniaque » : N. Jacques-Chaquin, s'appuyant sur les écrits du médecin protestant Jean Wier et du juge Pierre de Lancre, insiste sur l'évaluation esthétique des métamorphoses diaboliques et de leurs possibles références à la dramaturgie baroque ; La juxtaposition du propre texte de Pierre de Lancre avec ceux de Jacques Fontaine (l'un des médecins de l'affaire Gaufridy) M.-L. Démonet replace cette sémiotique démonologique dans le cadre d'une reconfiguration du concept général de signe à la fin du XVIe siècle ; A son tour, l'analyse de P. Dandrey, centrée sur les rapports des médecins de Loudun, montre le passage d'une interprétation démonologique de l'irrationnel à une interprétation psychologique, favorisée par la promotion d'une théorie de l'imagination ; L'étude de S. Houdard sur Jeanne des Anges ressemble historiquement à un tout autre passage : le remplacement du schéma triangulaire de la communication spirituelle par le spectacle de l'exorcisme ; Opposons ses conclusions à celles de G. Malquori Fondi, qui, travaillant toujours sur l'autobiographie de Jeanne des Anges, défend la thèse de la fraude et donne une version positive des transformations de l'irrationnel ; Enfin, l'étude de J.-M, Apostolidès sur le procès de Jean Grenier (1603) et sur la lycanthropie met en lumière les médiations irrationnelles du rapport fantasmatique à soi.

Une troisième section est consacrée aux rapports entre irrationalité et science au XVIIe siècle. F. Hallyn s'intéresse à la concurrence dans l'œuvre de Kepler entre l'univers rationnel de l'astronomie et une astrologie non moins sujette à des réformes rationnelles. L'étude de V. Jullien sur la lumière et le vide, qui confronte les travaux de divers savants, montre que la rationalité est autant une position dogmatique fictive et contestée qu'une réforme de l'entendement ou un aspect de la méthode. L. Verlet montre qu'explorer le domaine du rêve pour un Descartes, alchimique ou prophétique pour un Newton dépasse le simple exercice rationnel.

La dernière partie du volume est consacrée à l'irrationnel en littérature. A. Me Kenna propose des « Notes sur l'irrationalité dans l'Iphigénie de Racine » ; A. Mantero fait ressortir les tensions entre « raison épique » et rationalité qui habitent la théorie du miraculeux de Le Moyne ; Enfin, M. Vincent analyse les versions de Perrault et Catherine Bernard du conte « Riquet à la Houppe », lues comme descendantes de l'hégémonie du rationalisme.

Clôturant le volume, les « repères bibliographiques » enfin proposés par P. Ronzeaud invitent raisonnablement à approfondir encore l'investigation.

ÉCOLE MARCOS

MARCO LOMBARDI, Processus au théâtre. La tragi-comédie baroque et ses monstres. Florence, Paccini editore, Collection "Essais critiques", 1995. Un volume 14,5 x 22,5 de 283 pp.

Douze études sont résumées dans ce volume, dont cinq ont fait l'objet de publications antérieures entre 1976 et 1986. Douze études regroupées par lignée

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par la force : le procédé, à la fois comme sujet littéraire et comme régime tonal contesté, auquel sont confrontés en 1628 le vieux Hardy et les jeunes dramaturges de l'Hôtel de Bourgogne, dont du Ryer et Auvray sont les deux chefs ; l'influence de la littérature italienne, notamment Aminta de Tasso, Pastor fido de Guarini et Filli di Sciro de Bonarelli ; La constitution de la tragi-comédie moderne et des genres pastoraux. La première partie est consacrée à la contestation de 1628 et précise les enjeux : derrière les considérations stylistiques et le contraste entre le style véhément et dur de l'ancienne tragédie poétique et le style de la pleine tragédie, la douceur et la grâce de la nouvelle génération . , il y a de grands problèmes éthiques et politiques cachés car la primauté de l'instruction et en particulier les moyens d'instruction sont remis en question et en même temps le théâtre utilisé cherche les applaudissements de la cour et du peuple quand Hardy a le soutien du Parlement et des universitaires. En fin de volume, Marco Lombardi recueille les "Actes du Jugement" mis en scène par Hardy et la réponse écrite par du Ryer et Auvray dans les lettres à Poliarque et Damon, Sur les mesdisances de l'Auteur du Théâtre. La première partie se termine par un examen du thème de la démarche de Madonte d'Auvray, où l'auteur retrouve l'influence de la démarche de Pastor Fido. Les études suivantes portent sur diverses pièces des années 1620-1630 : Dorisée de Hardy, adaptation d'une des Histoires des amours volages de ce temps de Rosset, le théâtre de Rayssiguier et en particulier les trois œuvres inspirées d'Astrée, Aminte et Célidée et Fillis de Scire de Picou. La dernière partie du volume est consacrée au rapport qu'entretient la tragi-comédie baroque avec le monstre : le monstre générique, de par son caractère hybride, aime ce monstre comme thème. Ici l'influence d'Andreini est déterminante, qui avec sa Centaura propose une théorie du monstrueux et de l'unification des contraires dans la représentation théâtrale.

Benoît Louvat.

GEORGES FORESTIER, Essai de génétique théâtrale, Corneille à l'oeuvre. Paris, Klincksieck, 1996 ("Colección de estética", nº 59). un bd. 16 x 23 de 388 pages.

Voici un livre sur Corneille qui ne parle ni de politique ni d'histoire, ni d'idées ni de sens tragique ; Il ne parle que du genre tragique, et c'est une nouveauté. Bien sûr, chez Pierre Corneille on ne parle pas de l'application scolastique et froide des règles d'une espèce. Georges Forestier a cherché à découvrir comment ce grand aristotélicien, cet élève brillant et mûr de l'auteur poétique, voulait être un créateur, un rival moderne et heureux des Grecs. Rassemblant et entremêlant les dates d'un certain nombre d'ouvrages (dont tous ne sont pas nommés), leurs paratextes critiques et les trois fameux discours publiés par l'édition de 1660, G. Forestier, qui s'insère constamment dans une perspective dramaturgique, montre que ces les œuvres sont, en effet, des tragédies, qui éveillent volontairement la terreur et la pitié chez le spectateur, et dont la source d'admiration (que l'on reconnaît à juste titre à Corneille, et dont il use avec la même conscience) est loin d'être celle-là. Au contraire, rompre avec l'ancien concept de tragédie signifiait l'approfondir.

Cinq chapitres. Le premier, à travers Suréna, fait ressortir ce principe de « construction d'intrigue inverse », dont la suite du livre nous montrera le fonctionnement. « Le tout basé sur une situation reconnue dès le départ comme désespérée et donc radicalement désespérée » (p. 47) ; Pour arriver à ce résultat, Corneille n'emprunte pas seulement la vengeance meurtrière du roi jaloux de Plutarque.

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de la gloire de son premier général, mais double le paradoxe en perpétuant un roi vertueux, en présentant une Surena coupable d'amour interdit, en inventant une Palmis qui, comme l'Ismène de Sophocle dans Antigone, cherche sans cesse le malheur et annonce la solitude des héros incompris . Au chapitre II, l'auteur précise que pour Corneille le sujet est primordial et que le dramaturge ne se consacre qu'à des réflexions psychologiques ou politiques sur ce sujet. G. Forestier renvoie chez eux tous les critiques — à commencer par La Bruyère et Boileau (p. 102) — qui veulent faire de Racine le seul héritier légitime de la tragédie grecque, affirmant que Corneille « fut le seul poète de sa génération qui devint plus actif. Méditation dédiée" (p. 122) à Aristote qui apprit de lui que le drame est action et que, comme l'écrit Saint-Evremond (cité p. 68), "il faut placer les personnages dans les thèmes, et non former la constitution des personnages" sujets.

Le chapitre III (« Génétique cornéenne : la constitution du sujet et le contexte de l'action ») définit le genre par la division en trois étapes enseignée par Aristote, et délimite clairement ces trois étapes à partir d'épisodes simples, dont l'effet est de transformer « l'intrigue » qui était action dans la pensée initiale. Les deux termes « renvois » et « ornements », fidèlement empruntés au lexique critique de Corneille, donnent lieu à de brillantes variations sur Cinna, La Mort de Pompée, Sertorius et surtout Rodogune. En fait, Corneille prend ses distances avec Chapelain et d'Aubignac, qui confondent l'illusion théâtrale avec l'illusion mimétique propre aux autres œuvres de fiction. Les limites du théâtre obligent le dramaturge à « ne jamais se cacher complètement derrière le flux de l'action » (p. 195). Corneille refuse « d'obtenir un silence absolu dans le fonctionnement de l'œuvre » (p. 190) : différence cruciale avec l'esthétique du roman, par exemple, et point d'appui d'une notion très particulière de véracité.

Ce sont ses qualités de poète que les lecteurs de Georges Forestier ont jusqu'ici le plus savourées. Inutile de dire que ses qualités de Kornélien n'ont jamais été atténuées par le passé. Mais elles n'exploseront qu'aux chapitres IV (« La tragédie héroïque ») et V (« Une esthétique du sublime »). G. Forestier n'est pas tendre avec « les commentateurs qui n'ont pas lu les textes théoriques et critiques de Corneille et qui définissent le héros à partir des faits et gestes de Polyeucte » (p. 249). Mais cela ne nous empêche pas d'aimer Polyeucte et d'espérer (ou de regretter) que d'autres héros lui ressemblent (ou pas). Il est vrai que l'impressionnisme critique gagne à être revu à la lumière de définitions fiables et de principes solidement reformulés par l'auteur des textes à étudier. Ainsi, à son tour, G. Forestier pose le problème de l'héroïsme de Cornaline, dialoguant avec les conclusions de ses prédécesseurs sur la générosité et la gloire, mais montrant combien il est difficile pour un dramaturge d'écrire une véritable tragédie lorsque le personnage principal Il est un héros sans faiblesses. Après La Mort de Pompée, Corneille multiplie les inventions qui lui permettent de répondre à ce défi : la violence, le danger extérieur et, sa découverte la plus importante, une situation de blocage. On se demande cependant si Corneille, comme son commentateur, a toujours « surmonté » la contradiction entre ses « deux esthétiques d'origine différente » (p. 223), l'aristotélicienne et l'épopée, comme le Tasse, elles aussi porteuses d'héroïsme. .

Pour les théoriciens du temps de Corneille, la joie de la tragédie est davantage associée à la déclamation et à la lamentation qu'à l'extrême tension des situations, à la violence passionnée qui les gouverne. "La tragédie de Corneille ne repose pas

1. Coupable sur le plan politique, innocent sur le plan humain : C'est le « coupable innocent » dont il reprend l'étude générale, pp. 224-247.

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vers une stratégie larmoyante » (p. 291), car précisément face à des personnages monstrueux « c'est le pathétique lui-même et non la dimension anthropologique du pathétique qui intéresse Corneille » (p. 280). Le dernier chapitre, qui contient aussi une toute nouvelle analyse du sublime chez Chapelain (mais c'est un sublime d'image, pas un sublime d'action), est consacré à créer la compassion à travers un large éventail d'exemples précis et passionnants. Plus précisément : à ces situations pathétiques (encore Aristote) ​​​​qui touchent le héros persécuté au plus proche de ses liens familiaux. Sublime dans la violence, sublime dans l'inversion, sublime dans l'affrontement : par rapport aux actes en cours, Corneille conjugue l'impact du merveilleux pour son spectateur admiré. Selon Georges Forestier, "la tragédie cornélienne est le point de rencontre entre l'idée de grandeur tragique et l'idée de perfection héroïque, le sublime de la tragédie et le sublime de l'épopée" (p. 328).

L'excellence de ce livre réside à la fois dans l'ampleur de sa documentation et dans la puissance de sa pensée. En matière de création littéraire, seul le détail fait foi ; et cet examen devait s'adapter au schéma. Mais désormais, le lecteur ne cessera de s'émerveiller devant les mystères de la genèse de la tragédie de Cornélius révélée ici, et ressentira moins le besoin de prendre des chemins de traverse. Cela ne signifie nullement que cet ouvrage nous éloigne de l'histoire littéraire. Au contraire, l'introduction et l'épilogue de ce volume lancent un appel fort à prendre en compte les conditions historiques de l'écriture cornique et à reconsidérer le passage obligé de la forme au sens, un sens qui ne disparaît pas. Notre auteur n'est pas homme à brûler des navires dont la structure nous apprend sa solidité.

ROGER ZUBER.

U. DORING, Antoine Furetière. réception et travail Francfort-sur-le-Main-Berlin-Berne-New York-Paris-Vienne, Peter Lang, 1995. A vol. 15 x 21 de 485 p.

On peut à juste titre s'étonner que les ouvrages sur Furetière ne soient pas plus nombreux et qu'il faille aujourd'hui lire en allemand l'une des rares, sinon la première, monographies générales sur son œuvre, sa postérité et son destin critique. Un congrès de la N.A.S.S.C.F.L., dont il est d'ailleurs question en détail dans l'introduction d'Ulrich Dôring, qui était déjà à distance, est venu rappeler la nouvelle (Actes de Banff, P.F.S.C.L., 1986). Essentiellement analytique et descriptif, privilégiant l'information historique aux hypothèses herméneutiques, ce gros volume remplit très précisément ce que promet son titre : c'est surtout retracer minutieusement, à travers une impressionnante série de citations extraites d'extraits, parfois assez abondants, l'accueil réservé à la Oeuvre de Furetière. dans la vie, de la « Controverse du Dictionnaire » à l'exil hollandais, pour s'interroger plus tard sur son destin critique des Lumières à nos jours (un chapitre entier est consacré aux œuvres françaises après 1950) ; En fin de volume, la bibliographie utilise les mêmes sections chronologiques pour lister les sources examinées avec une précision utile. La deuxième partie présente des études indépendantes et surtout spécialisées de chacune des œuvres de Furetière, de L'AEnéide travestie (1649) au célèbre Dictionnaire universel (1690), en passant par le non moins célèbre Roman Bourgeois (1666), mais sans oublier ses moindres Les œuvres populaires incluent le voyage de Mercure (1643), les divers poèmes (1655), les nouvelles allégoriques (1658) et la collection de nouvelles fables et morales (1671). Chacune de ces notes d'une cinquantaine de pages éclaire le contexte de la création, mettant l'accent sur la position parfois décrite de l'auteur dans le champ littéraire.

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l'édition originale, utilise les textes de réception, s'intéresse aussi au conditionnement général ou esthétique (on fera d'utiles réflexions sur la satire, le burlesque, la narration allégorique...), avant d'analyser les thèmes avec le même souci analytique des principaux aspects de l'ouvrage considéré . La section consacrée au dictionnaire est évidemment l'une des plus intéressantes de l'ouvrage : une série d'articles y sont reproduits et analysés pour comprendre le statut unique de l'œuvre lexicographique, mais aussi la « prétention encyclopédique » du dictionnaire universel. En situant ainsi l'œuvre majeure de Furetière à l'issue d'un processus de création comprenant une suite cohérente d'œuvres faisant « jouer » la langue, on se prend à rêver d'une étude qui lit le dictionnaire comme une œuvre littéraire...

ÉCOLE MARCOS

Une créature mythique. Revue des Amis de Jean de La Fontaine, Numéro 6, 1994. Volume 21 x 29,5 de 74 pages.

La sixième édition du journal des amis du fabuliste se lit sous le titre "La fontaine et les nymphes de Vaux" la deuxième partie de la conférence narre "La Fontaine, de Château-Thierry à Vaux-le-Vicomte", qui était malheureusement incomplète , réalisée les 2 et 3 juillet 1992. Synthèse des "Réflexions sur Le Songe de Vaux" de JP Collinet, celles de P. Dandrey sur "La Fontaine, Molière et la "nature" de Fâcheux" et une analyse de "Transformation de Charme ". De Vaux à la splendeur de Versailles" de J.-P. Babelon, l'édition sera complétée par une étude de J. Lesaulnier de "La Fontaine et l'Oratoire", une interprétation des Amours de Psyché comme métamorphose du Songe de Vaux par B .Donné et les traditionnelles synthèses sur « l'actualité » et la riche bibliographie du poète par C. Prieur et A. Génettiot.

ÉCOLE MARCOS

JEAN-PIERRE CHAUVEAU et JEAN-PIERRE COLLINET, Jean de La Fontaine. Approches ultérieures du travail. La Rochelle, Editions Rumeur des Ages, collection "Hymers", 1995. Tome 15 x 21 de 76 pages.

Cette élégante brochure, éditée par l'association Himeros, s'inscrit dans le cadre des manifestations organisées à La Rochelle pour commémorer le tricentenaire de la mort de La Fontaine : elle réunit deux études de deux des meilleurs spécialistes de la poésie française du XVIIe siècle, sa sensibilité , sa délicatesse et son amour pour La Fontaine. L'essai de J.-P. Chauveau Le pouvoir des fables ou la royauté de La Fontaine est une promenade libre dans le jardin du fabuliste et en même temps une méditation sur son art : une introduction à un univers de charme littéraire où la sagesse, loin de reposer sur la sentimentalité d'Ésope, la la morale atteint sa limite, due à la beauté et à l'expressivité des vers, à la capacité du poète à donner vie à ses personnages, à sa façon de divertir ses lecteurs comme autant de confidents et d'amis. Avec "La Fontaine et la mer" J.-P. À son tour, Collinet adopte une approche thématique et chronologique dans la continuité de quelques essais recueillis dans La Fontaine et alii (1992). Le « mythe de la mer » du poète est étudié à travers une petite anthologie dans laquelle le commentaire discret et pertinent disparaît après les citations. Cette lecture montre que La Fontaine n'invoque jamais « propriétaire net » à des fins descriptives, faute de l'avoir.

RAPPORTS 1185

une connaissance directe - mais surtout d'un point de vue littéraire et culturel, avec une variété de nuances qui doivent beaucoup à sa lecture.

BORIS DONNÉ.

ROGER DUCHÊNE, Chère Mme. de Sévigné... Paris, coédition Paris-Musées/Gallimard, coll. "Découvertes" non. 253, 1995. Vol. 12,5 x 18 sur 112 pages.

Les petits volumes richement illustrés de la collection "Découvertes" de Gallimard sont destinés à offrir à un large public des synthèses ludiques sur des sujets très variés. La série "Littérature" semble s'enrichir de commémorations, heureusement de s'être adjoint les services des meilleurs spécialistes : après La Fontaine ou les Métamorphoses d'Orphée de Patrick Dandrey (1995), voici Chère Madame de Sévigné... signée Roger Duchene . Le texte ne surprendra guère quiconque a lu les études antérieures du même auteur, notamment sa biographie de la marquise, Mme de Sévigné ou Le hasard d'être une femme (Fayard, 1982) : là aussi, c'est la trame biographique ( évidemment simplifiée) qui structure l'énoncé ; On connaît aussi le talent de conteur de R. Duchêne, sa capacité à rendre compte de manière vivante et concrète de l'existence, du caractère et des sentiments de Madame de Sévigné, de ses relations, de la société dans laquelle elle a vécu, du contexte historique et culturel de son projet. Evoquer la vie Ces 80 pages de récit agrémentées d'une riche iconographie en couleurs bien choisies sont complétées par 30 autres "Témoignages et Documents" en noir et blanc retraçant l'histoire de la publication et de la réception de la correspondance. . Une chronologie et une importante bibliographie complètent le volume.

BORIS DONNÉ.

NICHOLAS HAMMOND, Jouer avec la vérité. Langage et condition humaine dans les pensées de Pascal, Oxford, Clarendon Press, 1994. Un vol. 14 x 22 sur 249 pages.

Le projet critique de Nicholas Hammond est avant tout sémantique : l'ouvrage est entièrement consacré à une analyse exhaustive des termes clés utilisés dans les pensées. La première section aborde les notions d'ordre et de désordre, de mémoire, d'interprétation à partir d'un examen de la théorie du langage et de la vérité formulée par Pascal ; N. Hammond voit dans la fragmentation du texte de Pascal une source rhétorique, non pas accidentelle, mais essentielle et intentionnelle. Une deuxième partie rassemble les termes utilisés par Pascal pour peindre la « condition humaine » : permanence, éphémère et étrangeté, ennui, néant et divertissement, peur et curiosité, repos, paix et tranquillité, bonheur et béatitude, justice et injustice ; N. Hammond, dans une troisième partie du même titre, reprend les travaux les plus récents sur l'apologétique de Pascal, dont celui de L. Thirouin, et, avec le concept de jeu, met en lumière les bases de cette gamme de concepts, une véritable rhétorique du discontinu : le "texte fragmentaire" fait du lecteur l'acteur principal de l'invention et de l'agencement du texte.

Très bien informé sur la sémantique du XVIIe siècle (certains passages multiplient les références aux textes philosophiques contemporains), l'histoire textuelle (paquets et transcriptions), les évolutions récentes de la critique (solide bibliographie), l'ouvrage ouvre ainsi la voie à une approche rigoureuse de l'univers de pensées. il continue de poser

APERÇU DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE EN FRANCE (96e Ann.) XCVI 38

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une grande question de méthode : l'interprétation d'une œuvre est-elle avant tout une affaire de sémantique ?

ÉCOLE MARCOS

Antoine Arnaud, Trois études de J.-R. Armogathe, J. Lesaulnier et D. Moreau. La Rochelle, Editions Rumeur des Ages, collection "Hymers", 1994. Tome 15 x 21 de 68 pages.

À l'occasion du 300e anniversaire de la mort d'Antoine Arnauld, cette publication rassemble trois contributions originales qui éclairent des aspects souvent méconnus de la vie et de l'œuvre du célèbre théologien. J. Lesaulnier rapporte ici les résultats de ses recherches sur les visites de la "famille éloquente" à l'hôtel de Rambouillet ou à l'hôtel de Liancourt et sur les relations du jeune Antoine Arnauld avec "la société littéraire de 1630". Chapelain et Balzac notamment. J.-R. Armogathe traite de la « rhétorique de la déviance » dans Le Phantôme du jansénisme, publié par Antoine Arnauld en 1686 en réponse aux attaques de François Deville contre le « Parti de Saint Augustin », et reflété dans un ouvrage intitulé Les Préjugés Légités contre le Jansénisme : Dans le processus, la justification acceptée par Arnauld fut formulée, ce qui l'obligea à donner au jansénisme une conséquence qu'il n'avait pas eue jusque-là et qu'il dut plus tard soutenir ses adversaires ; "En essayant de transformer l'esprit en ange, Amauld lui a donné une personnalité qui servira désormais de cible aux factions rivales."

Matière "étrange" et délicate, que Denis Moreau révèle avec une rigoureuse clarté, auteur d'un ouvrage récent sur la polémique entre Arnauld et Malebranche, magnifiquement intitulé "Cartésiens : comment interpréter les célèbres palinodies d'Arnauld", qui, après avoir été soutenu en Wallon de Beaupuis , 1641 une thèse sur l'unicité de l'être, se retire lors de la soutenance et promet publiquement d'abandonner cette opinion avant de recevoir le même soutien wallon, 1647 la thèse contraire ? Dans les cinquante années d'activité intellectuelle qui séparent ce fameux épisode de sa mort, Arnauld n'est-il vraiment jamais revenu sur cette question de l'unicité de l'être ? D. Moreau montre que la polémique d'Arnauld avec le théologien Lousin Gummare Huygens et le bénédictin François Lamy en 1692-1693 visait la thèse malebranquiste de la « vision en Dieu » et la théorie de l'unicité de la connaissance, qu'il avait déjà attaquée dans 1683. ; dès lors, il est possible de montrer qu'Arnauld, au nom d'une étonnante fidélité à Descartes, conjugue la question de l'unicité de l'être et de l'unicité du savoir pour les rejeter.

ÉCOLE MARCOS

RENÉ POMMIER, Études sur Britannicus. Paris, S.E.D.E.S., Collection « Des livres et des hommes », 1995. Un vol. 15 x 21,5 sur 164 pages.

On connaît la haine intense que René Pommier porte à la « nouvelle » critique racinienne, qui a alimenté la plupart de ses publications depuis son doctorat. Ainsi, dans la deuxième partie de son ouvrage, il offre au lecteur quatre-vingts pages inédites de sa thèse, la réfutation de l'étude Britannicus de Lucien Goldmann dans O Deus Oculto. En particulier, il interroge la classification des personnages proposée par Goldmann, qui fait de Junie la figure essentielle de la tragédie, qui est au centre du conflit tragique, représentant l'être pur, poursuivi par Dieu, devant le "monde" constitué par le autres personnages, des deux "bêtes" à

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la victime passive qu'est Britannicus. La première partie de ce 'Studies on British', qui nous semble plus intéressante, est composée de deux explications de textes : la première, intitulée 'Le Réveil d'un Monstre', se concentre sur la première scène de la pièce, la seconde ' Autopsie d'un meurtre' dans la scène 4 de l'acte 4, autour de laquelle tourne tout le drame jusqu'au revirement final de Néron, qui impliquera le meurtre de Britannicus.

L'ensemble de l'œuvre, avec sa belle symétrie, pose une question : on ne comprend pas, ou peut-être ne comprend-on plus, la nécessité du défi qui concerne des lectures qui font déjà partie de l'histoire critique de Racin, avec des interprétations dépassées.

Benoît Louvat.

Alfred Bonzon, Racine et Heidegger. Paris, A.G. Nizet, 1995. Un vol. 13,5 x 18,5 pour 110 p.

L'enjeu de cette brève étude, rédigée un an après la mort de Heidegger, est de montrer que l'œuvre de Racine « peut trouver sa consécration dans les analyses du philosophe allemand ». Selon l'auteur, il convient de préciser dans quelle mesure il s'agit d'un exemple de « poésie pure ». A la suite de l'analyse de l'abbé Brémond - mais aussi de Spitzer et de bien d'autres -, A. Bonzon affirme que chez Racine la forme transcende le fond et que sa poésie représente la quintessence du langage poétique comme déviation de la réalité du monde. La deuxième partie, qui explique le titre général, propose une interprétation heideggérienne de l'œuvre de Racine : parce que sa poésie est marquée par des traces de vérité et de simplicité, parce qu'elle est liée à la vie intérieure des personnages, elle montre la révélation de l'être, la moment où l'âme se révèle. L'ensemble est peu convaincant, ce qui conduit à une lecture très psychologique des tragédies de Racin, sans rien apporter de nouveau en termes d'analyse de forme.

Benoît Louvat.

RG HODGSON, mensonge camouflé. Le démasquage de la vérité à La Rochefoucauld. West Lafayette (Indiana), Purdue University Press, 1995. Vol. 15,5 x 23,5 sur 176 pages.

C'est une nouvelle introduction générale à la lecture des maximes de La Rochefoucauld qui nous est proposée ici ; Sur fond d'une « culture baroque », interrogée dans ses rapports avec les milieux laïcs de son origine et à la lumière des œuvres de Graciàn, Daniel Dyke, Descartes, Pascal et Nicole, la collection de La Rochefoucauld se lit comme un patient interrogateur de la relation entre Langage, Jugement et Vérité. Le sujet de l'amour de soi, la doctrine des passions, la théorie de l'honnêteté ou le « contrat social » sont successivement analysés du point de vue d'une éthique qui est avant tout une « psychologie du démasquage » de soi, de ses leurres et de tes fantômes. L'ouvrage propose également des analyses textuelles précises destinées à révéler les ressources, ou plutôt les ressources stylistiques, d'une entreprise critique à laquelle les Réflexions morales donnent parfois un versant explicite : l'usage des métaphores doit donc être mis en rapport avec la philosophie du masque. déguisement, mais aussi à la recherche de la véritable essence qui anime la collection. Suite aux investigations de G. Rosso, les deux derniers chapitres font le point sur la postérité de Máximos, Vauvenargues

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et Chamfort à Nietzsche, Lautréamont et Lacan, qui insistent sur la modernité exemplaire de ce « cauchemar de la vérité » (Barthes). Une annexe fournit une traduction en anglais de toutes les maximes citées. La bibliographie sélective mêle textes originaux et études critiques.

ÉCOLE MARCOS

ROBERT CHALLE, Mémoires. Correspondance complète. Rapports sur l'Acadie et autres documents. Edité d'après les originaux avec de nombreux documents inédits par Frédéric Deloffre avec la collaboration de Jacques Popin. Genève, Droz, "Textes littéraires français", 1996. Un vol. 11,5 x 18 de 764 p., illustration I.S.B.N. 2-600-00130-1.

Avec ce volume impressionnant, les œuvres complètes de Robert Challe (1659-1721) sont désormais disponibles dans des éditions modernes impeccables. Il se compose de trois sections, la première, la plus importante (395 pp.), constituée de mémoires rédigés par l'auteur en 1716, édités à partir de l'original autographe conservé à la Bibliothèque nationale de France (N.A. 13799). . Augustin-Thierry créa son édition en 1931 à partir de ce manuscrit, qui appartenait alors à Gabriel Hanotaux, mais dans une version abrégée et modernisée. Cette édition non seulement lui restitue son intégrité mais, par son apport critique, en fait un document exceptionnel sur Challe, son œuvre et le règne de Louis XIV.

Prosper Marchand n'y voit qu'une « sorte de chronique scandaleuse de diverses familles de Paris » et déconseille de l'imprimer (p. 627). Et pourtant, le lecteur moderne y reconnaît aisément le triple projet de l'auteur, qui dit écrire « ces mémoires » pour sa « propre satisfaction », « pour éduquer la jeunesse » et « pour servir d'anecdotes à l'histoire ». de Louis". XIV". ' (pp. 34-36). Personnel, spontané, plein de digressions, inachevé, ce texte autobiographique révèle le même récit, la même tendance à associer, la même philosophie, la même passion critique et polémique, le même caractère délicat que les autres œuvres de Challe, mais si constamment empreint de connotation contemporaine. détails, allusions historiques, réflexions politiques, "lieux secrets" comme le dit lui-même l'auteur, qui seraient illisibles sans une introduction, un résumé analytique et une note qui les unit. et d'en faire un témoignage fascinant.

La deuxième section (94 p.) comprend vingt-deux lettres richement annotées, dont quatre de Québec, datées de 1683. La correspondance échangée entre 1713 et 1718 entre Challe et les auteurs du Journal littéraire (dix-huit lettres en tout) a été publiée en 1954 dans Annales Universitatis Saraviensis (pp. 144-182). Il s'agissait de la première édition d'un caractère Challien de F. Deloffre. Nous sommes heureux que ces textes soient maintenant accessibles à un plus large public, car les liens entre les neuf lettres de Challe qui y figurent et le reste de son œuvre, en particulier les difficultés de la religion, sont instructifs.

La troisième section (122 p.) rassemble en douze annexes thématiques et chronologiques tous les documents partiellement inédits sur la vie et l'œuvre de Challes, complétés par de précieux commentaires et notes.

Les options méthodologiques sont claires. L'appareil critique des mémoires ne présente que les variantes de Challe, qu'il corrige lui-même, et non les transformations d'un correcteur du XVIIIe siècle visibles dans le même manuscrit, ni celles d'Augustin-Thierry. La transcription paléographique est réservée aux lettres et rapports dédicacés.

RAPPORTS 1189

Outre la bibliographie et l'index, seize illustrations et 36 pages de chronologie biographique et historique complètent année après année cette remarquable collection. Le lecteur assiste à la fantastique aventure de la découverte de l'inconnu Robert Challe il y a quarante-deux ans.

GENEVIÈVE ARTIGAS-MENANT,

Méthodes de Lexington, Pierre Charron ; Vers 1715 dans les Mémoires de Saint-Simon ; Death in Literature from the 17th Proceedings of the XXV Colloquium of the North American Society for Seventeenth-Century French Literature, Lexington, Kentucky (25 mars 1993), Études compilées par Jean Charron et Mary Lynne Flowers, Livre 17, Articles sur la littérature française du XVIIe siècle, ParisSeattle-Tubingen, 1995. Vol. 14,5 x 20,5 sur 364 pages.

Le format habituel dans N.A.S.S.C.F.L. respectés : un auteur - Pierre Charron (cette rencontre en 1993 fut l'un des rares événements commémorant le quatre centième anniversaire de la publication des Trois Vérités) ; un thème : la mort au XVIIe siècle ; un chef-d'œuvre; Mémoires de Saint-Simon (vers 1715).

Chacune des études sur P. Charron est suivie d'une « réponse » donnée par un chercheur différent : ainsi, l'analyse du « projet » et de l'intention de l'œuvre de Charron, et notamment des trois vérités, par R.B. MacDonough, complété par les commentaires de W. Baldo. S'ensuivent des questions sur la relation entre l'œuvre de Charron et celle de Pascal (C. Belin/C.M. Natoli), Mateo Ricci (B.Scott/W.C. Marceau), Montaigne et Bayle (A. Niderst) et un aperçu de Charrons. par F. Lagarde "Idée de Nature" (discuté par M. Alcover).

Comment était l'armée de 1715 pour un mémorialiste de Louis XIV ? Comment nous est-il donné de lire les mémoires de Saint-Simon ? On ne sera guère surpris que la figure de Louis le Grand soit au centre des lectures proposées ici, qui s'intéressent à la représentation de la mort (D. Van der Cruysse, qui anticipe ces rencontres sur la troisième page, et F. Assaf, qui compare Saint-Simon à celui des frères Anthoine), sur le portrait du roi en « Solipse » absolu (M. Stefanovska), sur la « cérémonie d'adieu » entre le roi et le mémorialiste (S. Ackerman), d'autres études optent pour un changement de perspective en procédant à une étude comparative des récits de décès de grands et d'individuels (H.N., Sanko, tout au long du tome V des mémoires), en s'intéressant à une nécrologie isolée (celle de Fénelon, celle de M. Gutwirth) ou à la visite de l'ambassadeur de Perse Mehemet Riza Beg à la cour du Roi Soleil (M.-F. Hilgar). Toutes ces contributions sont complétées par B.R. Woshinsky a commenté.

Le thème « La mort dans la littérature du XVIIe siècle » fait l'objet d'un ensemble d'exposés suivi d'une table ronde, assez riche en elle-même, « synthétisée » par W. Leirier. On citera notamment plusieurs contributions aux représentations théâtrales de la mort, de Mairet à Racine et Corneille (Ph. Lewis, G. Montbertrand, A. Rathé, A.G. Wood, E. Safty, A. Soare), analyse de la seconde roman. (N. Boursier), les fables de La Fontaine (M. Slater), les gravures de Callot (L. Ditmann), la logique de Port-Royal (Th. M. Carr Jr.) ou les essais de Nicole (P. Laude), les lettres de Madame Palatine, une ode de Maynard (W. Roberts). Nombre d'entre eux multiplient à juste titre les références à l'iconographie contemporaine et aux codes de la représentation picturale de la mort.

ÉCOLE MARCOS

1190 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

Normand Doiron, L'art de voyager : voyager à l'époque classique. Sainte-Foy, Comme impresoras de l'Université de Laval. Paris, Klincksieck, 1995. Au tome 15,2 x 21,9 em 260p.

Cet ouvrage révolutionnaire propose une recherche savante sur un genre peu étudié : l'art du voyage. Contient plusieurs versions entièrement révisées d'articles de revues ou d'actes de conférence déjà publiés. Après une brève introduction, le volume est divisé en trois parties – « Voyages et Humanisme », « Voyages et Rhétorique », « Voyages et Poésie » – suivies de cinq annexes : le texte de Justus Lipsius De Ratione cum fructu peregrinandi. l'édition Leiden (1631) et sa traduction par Anthoine Brun (1619), deux passages de la liste de Paul Lejeune, l'un de 1633 et l'autre de 1639, et un passage de la liste de Jean de Brebeuf de 1636. Une bibliographie de 18 pages propose les « arts du voyage » dans l'ordre chronologique, de 1507 à 1797, puis récits de voyage en Nouvelle-France, comme Normand Doiron, pour des raisons méthodologiques, signale d'emblée qu'il puise essentiellement ses exemples dans l'écriture de voyage, Région cite toutes les critiques plus cohérentes études de voyage dans l'antiquité gréco-latine, le Moyen Âge et l'écriture de voyage moderne en général et les Amériques en particulier.

La première partie, beaucoup plus longue que les deux autres réunies, analyse le voyage comme un itinéraire codifié par les humanistes sur la base stoïcienne du voyage comme formation de la jeunesse et initiation à la vertu. Normand Doiron montre comment le récit de voyage est devenu « le grand genre de la prose épique moderne », à l'instar de l'Odyssée d'Ulysse et des Errances d'Énée. Il débute par un « voyage autour du monde » qui cherche dans l'histoire ancienne des voyages païens et chrétiens les deux critères de déplacement dans l'espace retenus par les humanistes : la mythologie du sédentaire, associée au culte de la maison et à la nostalgie de l'exil et le cosmopolitisme « ont régulé les tensions politiques au moment de la montée des grands États-nations ». N. Doiron étudie ensuite L'Art de voyager avec des fruits de Justus Lipsius et sa théorie horatienne du mouvement "utile et agréable" dans l'espace, puis fait l'historiographie du carnet de voyage ("Histoire et carnet de voyage") avant d'analyser la devise des voyageurs "L'expérience possède toutes choses" ("De l'expérience"). Le chapitre « Une méthode : le livre du monde » examine, parallèlement au roman, les réflexions théoriques sur le voyage et montre qu'en 1630 les arts du voyage naissent sous forme de traités privés, héritiers de textes d'introduction, de préfaces et d'épîtres : « Le l'art de voyager devient un modèle discursif, une méthode que tout esprit curieux doit suivre ». Aristote, Montaigne et Descartes sont ensuite analysés pour montrer l'effet de cette méthode : « Autorité et expérience se réconcilient dans le livre d'où ressortent les premiers humanistes. les prisonniers, les voyageurs ouvrent de nouveaux horizons et libèrent le monde entier." Ensuite, un chapitre montre que le carnet de route est une œuvre aussi classique que la peinture, l'architecture ou la tragédie, et examine trois grandes métaphores du sens : la route, l'arbre et l'abeille. Enfin, le dernier chapitre est une analyse du voyage galant et du genre de la promenade, les règles de La Fontaine dans ses fables Voyages et Contes, comme une inversion de la parodie de la peda gogia humaniste et le passage du stoïcisme à l'épicurisme.

Les deux autres parties mettent en lumière les règles du voyage authentique à l'époque classique. Pour Normand Doiron, il est clair « qu'on peut étudier l'histoire du Voyage comme on étudie la peinture française ou l'architecture du XVIIe siècle, et définir une notion spécifiquement classique du mouvement dans l'espace, un genre littéraire avec sa poétique et sa rhétorique propres ». La deuxième partie traite de la rhétorique.

RAPPORTS 191

avec un chapitre sur l'éloquence oratoire des capitaines et des moines sauvages ("Genèse de l'éloquence sauvage. La renaissance française de Tacite") et un chapitre sur la "rhétorique jésuite de l'éloquence sauvage" parallèlement à Caton, Cicéron, Quintilien, Titus Livio, Erasmo et San Agustín avec des voyageurs en Nouvelle-France. La dernière partie est consacrée à la poésie elle-même, avec l'étude de rituels codifiés : le rituel de départ avec les phases obligatoires de préparation ; Séparation, disparition, changement et réparation, le rituel de la tempête en mer avec certains topoï (le pilote et le rhéteur, le désordre du monde et le mauvais temps) et, enfin, le rituel du retour avec « la dialectique classique du voyage et retraite".

La conclusion générale analyse l'Emile de Rousseau qui reprend ces arts classiques du voyage pour marquer la fin des découvertes, c'est-à-dire du vrai voyage et donc, en quelque sorte, de l'humanisme. En plus du voyage, « la marche est l'autre grand classique du voyage ». Les voyages scientifiques et leur art de la parole sont suivis de sorties mondaines et leur art de la conversation. La Fontaine est alors à nouveau invoqué dans une analyse détaillée du genre Promenade. Normand Doiron conclut par une incursion dans le domaine du voyage romantique comme un retour à l'errance et au voyage contemporain dans l'espace céleste, qu'il analyse brièvement mais excellemment par rapport à ses ancêtres, le voyage humaniste.

Cet ouvrage savant et brillant, dont les chapitres complémentaires méritent d'être soulignés dans une composition d'ensemble peut-être plus suggestive que progressive, surtout dans la première partie, marque en fait une grande avancée dans l'étude de l'idéologie des arts du voyage. Il est aussi véritablement innovant en explorant une poétique spécifique du genre voyage avec ses règles précises. Admirons donc ici le travail de réparation de pièces brillantes et de devenir ainsi les chapitres d'une somme qui devrait faire partie du support critique et touristique de tout Ulysse moderne.

SYLVIE REQUEMORA.

MARIVAUX, Le Bilboquet. ed. Françoise Rubellin, "Lendo o século XVIII", Publicaciones de la Universidad de Saint-Étienne, C.N.R.S.- Éditions, 1995. Un vol. 16 x 24 de 116 páginas.

Françoise Rubellin sait tout du divertissement vain et charmant du bilboquet, et le lecteur le lui doit. "Entré dans l'histoire" grâce à Henri III, ce jeu, qui prenait du temps et ne livrait rien, comme la plupart des jeux qui occupaient et ruinaient les courtisans, se répandit rapidement dans le peuple. F. Rubellin fait remonter cette mode des textes et de l'iconographie à un probable renouveau au début du XVIIIe siècle, qui aurait donné à Marivaux l'idée de ce conte allégorique. Fils de la folie, Bilboquet, allié à la bêtise et à l'ignorance, éloigne ses disciples de l'amour, ami de l'esprit et de la raison : inutile de chercher une philosophie profonde ; l'étude qui précède le texte montre cependant qu'il peut être abordé de plusieurs manières, sur lesquelles le moraliste et le romancier reviendront plus tard. Légère érudition sur un sujet agréable : pour ces deux raisons le lecteur appréciera les quatre-vingt-trois pages de cette introduction, illustrées de gravures et de précieux documents. Quant au bilboquet lui-même (pp. 89 à 113), qui a enfin trouvé son auteur, son titre et sa date, on dit que comme tous les bijoux raffinés de son siècle, il a son prix...

CATALINE BONFILS.

1192 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

HAN VERHOEFF, Marivaux ou Dialogue avec les femmes ; une lecture psychologique de ses comédies et journaux intimes, Orléans, Paradigme, 1994. Un vol. 14,5 x 20,5 de 272 p.

Bien que l'extrême fragmentation du sujet, attestée par l'index de huit pages, rende parfois la lecture et, malheureusement, la synthèse difficiles, l'œuvre de H. Verhoeff garde sa richesse. Les analyses détaillées sont raisonnables et fructueuses ; le recours à la psychanalyse -enfin discret et toujours justifié, proposé dans un langage accessible (pas le moindre mérite de cette étude)- provoque de nouvelles réflexions et nous incite à aborder le travail déjà recherché de Marivaux avec des moyens originaux. Le corpus rassemble une douzaine de comédies ("italiennes") et donne aux trois revues un grand espace central, laissant de côté les romans aux intrigues incisives, mais la principale raison, claire pour tous les Marivaudiens, est que le corpus, avec eux, il se désorganiser. . Qu'arrive-t-il réellement à la voix féminine dans les journaux, où la voix du narrateur masculin domine formellement le texte ? Et de quelle nature sont les tensions du dialogue amoureux ? La contribution de H. Verhoeff est ici particulièrement importante. Quant aux comédies, il est vrai que si le point de vue dramaturgique fait certaines prétentions surprenantes (entre autres, il y a toujours la question ouverte sur les résultats...), la psycho-lecture confirme l'extraordinaire complexité du théâtre marivaudien. Cette étude de H. Verhoeff est inscrite dans la liste des ouvrages incontournables de la Bibliographie marivaudienne.

CATALINE BONFILS.

Pour encourager les autres. Études pour les 300 ans de Voltaire (1694-1994). Edité par Haydn Mason, Fondation Voltaire, Oxford, 1994. Un vol. de 318 pages.

Ce gros volume, qui commence par une préface de R. Pomeau, pose cette question : « Faut-il continuer à lire Voltaire ? et conclu par une "Postface" de H. Mason, se compose de deux parties essentiellement égales : la première résume l'érudition sur les années 1690, la seconde résume l'état actuel des recherches sur Voltaire en 1994. JF Bosher examine "La Décennie de 1690, la décennie de la naissance de Voltaire" et W.H. Barbier "La science dans les années 1690." H. Coulet peint un « état du genre roman en France au temps du jeune Arouet », W.D. Howard décrit "le théâtre français dans les années 1690", S. Menant marque les "Territoires de la poésie vers 1694". JP Vittu montre le goût de l'époque pour l'information dans "L'information périodique en France dans les années 1690". R. Whelan examine "Le péché, le style et la sensibilité, ou la controverse entourant la rhétorique et la prédication dans les années 1690". La deuxième partie débute par un article de J. Renwick, "L'Œuvre complète de Voltaire : une revue des vingt-cinq premières années", qui dresse un bilan critique des dix-neuf volumes édités par la Fondation Voltaire (pas de correspondance) S. Davis fait de même pour la biographie de Voltaire ("Voltaire : la dimension biographique 1975-1992"), R. Howells pour ses nouvelles ("Voltaire's contes : a review of studies 1969-1993), M.H. Cotoni pour sa correspondance ("Current State of l'Ouvrage sur la Correspondance de Voltaire »). La première partie contient d'excellentes études sur les années de formation du jeune Arouet. La seconde constitue un précieux outil de bibliographie critique, répertoriant et évaluant les études menées sur Voltaire au cours des vingt dernières années. pour l'exactitude de ses informations et leur pertinence

RAPPORTS 1193

de ses analyses, devrait trouver place dans la bibliothèque de quiconque s'intéresse à Voltaire. Il peut être regrettable qu'un index ne facilite pas l'interrogation.

CLAUDE LAURIOL.

Vol'ter contre Rossii. Bibliogranceskij ukazatel' 1735-1995. Russkie pisateli ou Vol'tere (Voltaire en Russie. Bibliographie 1735-1995. Jugements d'écrivains russes sur Voltaire). Moscou, "Rudomino", 1995. Vol. 21 x 29 de 389 pages, 11 planches H.T., gravures sur cuivre et fac-similés, jaquette illustrée.

Cet ouvrage sur la Russie et Voltaire est une rareté bibliographique (500 exemplaires). Comme on peut le voir dans les sous-titres, il s'organise autour de deux pôles : d'une part, une bibliographie très riche (plus de 200 pp.) qui comprend une liste des traductions de Voltaire en russe (ouvrages et correspondance), des publications sur Voltaire en Russie, et Opinions sur Voltaire dans la littérature russe ; d'autre part, un très intéressant recueil de jugements d'une cinquantaine d'écrivains russes sur Voltaire, classés chronologiquement, de Trediakovsky à Bounine, sans oublier le passage de la princesse Dachkova à Ferney, Karamzine et quelques autres. De nombreuses références bibliographiques contiennent des références croisées, des index ou des citations étendues. Le livre comporte quatre entrées : œuvres de Voltaire en français, traductions russes, traducteurs et noms de personnes. Il contient aussi, en traduction, quelques Opinions et Epîtres en vers de Voltaire.

Deux articles présentent cette somme bibliographique : le premier, de l'éminent voltairien Piotr Zaborov, présente Voltaire dans les publications russes du XVIIIe siècle à nos jours. L'auteur évoque pour la première fois la réception de Voltaire en Russie jusqu'au premier tiers du XIXe siècle et rappelle les faits remarquables développés dans son ouvrage Littérature russe et Voltaire 1. La première audience de Voltaire en Russie est notable : la première traduction (c'est si des vers) date de 1743, la première mention du poète (par Trediakovsky) est encore plus ancienne (1735, dans La Henriade). Sans aucun doute, les Russes n'ont vraiment connu Voltaire que dans les années 1756-1759, lorsque les traductions des contes de fées les plus célèbres Microtnegas, Memnon, Zadig et Attendant Candide (1769) sont apparues. Les traducteurs venaient alors d'horizons très variés. Mais qu'il s'agisse d'œuvres d'écrivains célèbres ou de soldats obscurs, d'hommes talentueux ou sans talent, les traductions montrent la même passion, mais elles sont sans égal. Pourtant, cette première période du destin de Voltaire en Russie ne fut pas sans nuage : la censure et un fort contrecoup chrétien précédèrent la simple interdiction de publication des ouvrages de 1793 entamée deux ans plus tôt : Catherine la Philosophe terrifiée par la Révolution française, fit l'impression de Rachmaninov. , qui devait publier vingt volumes de Voltaire.

Dans la dernière décennie du siècle, marquée par une forte réaction anti-Lumières, Voltaire n'est traduit et cité que "par indolence". Au début du XIXe siècle, sous Alexandre Ier, une certaine libéralisation du régime permet des rééditions et des retraductions, la publication d'un grand nombre d'articles ou d'allusions à l'homme et à son œuvre. En cette période faste, les relations de la Russie avec Voltaire ne sont pas moins complexes : disciples enthousiastes et ennemis acharnés se heurtent ; les écrits antivoltariens de l'abbé Guénée et de l'abbé Guyon furent traduits.

1. Voir notre avis sur le R.H.L.F. mars-juin 1979, n. 2-3, p. 504-506.

1194 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

L'aversion pour le poète et penseur est encore plus perceptible à l'époque romantique : même l'admiration de Pouchkine ou de Viazemsky pour le patriarche Ferney n'est pas sans réserve. L'esthétique de Voltaire est perçue comme dépassée : on préfère Shakespeare, Byron, Schiller ou Walter Scott. Cependant, les attaques contre l'homme et sa philosophie « destructrice » sont relativement rares. Et le traditionnel pèlerinage à Ferney ne s'arrête pas : Gogol, le poète Joukovsky, l'historien Pogodine et bien d'autres y font des sacrifices.

Le livre de P. Zaborov s'achève sur cette troisième phase de la réception de Voltaire en Russie. Votre article conclut avec bonheur les recherches de ces dernières années. Au milieu du XIXe siècle, Voltaire est perçu presque exclusivement comme un combattant progressiste : Belinsky et Herzen célèbrent le penseur et accordent peu de valeur à l'artiste. Après les "sept années noires" (1848-1855), au cours desquelles le règne de Nicolas Ier s'achève et Voltaire est quasiment banni, de nouvelles perspectives s'ouvrent sous Alexandre II : Il s'agit, de manière intéressante, des traductions des Histoires du XVIIIe siècle (de Friedrich Schlosser, par T.H. Buckle et par G. Hettner) qui a encouragé de nouvelles publications sur Voltaire pendant cette période de croissance du mouvement social. En particulier, Pisarev a publié un célèbre article louant Voltaire comme le militant et "l'agitateur". La censure est certes toujours en vigueur : elle s'applique aussi bien aux contes de fées réédités en 1870 qu'aux traductions (les Six conférences sur Voltaire de David Strauss, traduites en 1871, seront bientôt interdites et détruites). Dans les années 1880 et 1890, les œuvres de Voltaire ne sont presque jamais réimprimées. En revanche, la critique est abondante et variée : traduction des ouvrages de Condorcet, Morley et Vial sur Voltaire et publication en 1893 du pamphlet de la célèbre révolutionnaire Vera Zassoulitch (non cité dans la bibliographie de Mary-Margaret Bar).

L'intérêt pour Voltaire ne renaît en Russie qu'au début du XXe siècle : dans ces années pré-révolutionnaires, ses ouvrages sont réédités, des traductions d'ouvrages qui lui sont consacrés paraissent ou sont rééditées (Strauss, Lanson, Vial), de nouvelles revues sont publiées ( par exemple .B. 1907 le livre de A. A. Chakhov* qui ne figure pas dans la bibliographie de Mme Barr). Après 1917, Voltaire est considéré comme le destructeur des fondements du « vieux monde » et un allié des nouveaux souverains. Depuis, dès 1919, à l'initiative de Gorki, une édition est programmée. Au fil des ans, le nombre de publications d'ouvrages moins connus ou inédits en Russie, de traductions corrigées et de nouveaux commentaires s'est multiplié. La connaissance de Voltaire est également enrichie par les travaux de M. P. Alekseev, V. P. Volguine, V. S. Lioublinski, P. R. Zaborov et bien d'autres, dont K. N. Berkova, dont l'ouvrage de 1931 a été édité par M.-M. barres Enfin, P. Zaborov rappelle l'édition du catalogue de la Bibliothèque Voltaire en 1961 et la publication du Corpus des notes marginales, qui comptera huit volumes, dont quatre étaient déjà disponibles au moment de la rédaction de l'article (un cinquième volume paru en 1994).

Le second article introductif intitulé « La seconde vie de Voltaire » est l'œuvre de J. G. Friedstein. Dès le début, l'auteur affirme que son but est d'étudier "la vie de Voltaire en Russie" (c'est aussi le titre de son article publié dans Voprosy Littérature, 1995, n° VI). Ce dernier titre semble plus pertinent : Voltaire n'a-t-il pas eu une « seconde vie » en Angleterre ou en Allemagne, et encore moins en France, après 1778 ?

* Enfin, il faut arrêter d'utiliser le russe pour l'allemand ou l'anglais : il n'y a aucune raison d'écrire les noms russes commençant par Ch par Sch (en allemand) ou par Sh (en anglais).

RAPPORTS 1195

Dans cet essai sur l'histoire du voltairisme et de l'antivoltairisme en Russie, J. Friedstein affirme à juste titre que Voltaire n'est pas de ces auteurs dont les œuvres sont lues et relues encore et encore : un certain poids dans ses poèmes explique sans doute pourquoi Pouchkine , non déjà traduit, compte vingt-cinq vers de La Pucelle ; ses tragédies, autrefois populaires sur la scène russe, n'appartiennent plus qu'à l'histoire du théâtre. Seuls les récits et la correspondance sont lus : à cet égard, l'auteur regrette que la plupart des lettres de Voltaire, notamment celles adressées à Adnreï Petrovich Chouvalov*, soient inconnues des lecteurs russes.

Qu'est-ce que le voltairianisme ? Se demande J. Friedstein, Une certaine indépendance (malgré des jeux dangereux avec les puissants), une certaine liberté intérieure inhérente à l'écrivain, au philosophe, à l'historien et surtout à l'homme, qui rend Voltaire toujours actuel et dont il ne peut se départir .il indifférent. Lui-même est avant tout un « farouche voltairien », selon la formule célèbre d'un des personnages de Griboïedov, qui représente ainsi le héros de la pièce.

L'histoire du voltairisme et de l'antivoltairisme en Russie regorge de thèmes "fantastiques". Exemple : en 1767, le jeune écrivain F. A. Émin traduit l'histoire de l'Empire russe sous Pierre le Grand ; Après avoir accompli cette tâche ardue, il a envoyé une lettre à l'Académie des sciences renonçant à son travail et aux idées de Voltaire. et trois mois plus tard, il publiait sa propre histoire de la Russie, dans un tout autre sens, en trois volumes ! Autre exemple : l'article de Viazemski sur les nouvelles lettres de Voltaire, écrites en 1819, immédiatement interdites, ne paraîtra que soixante ans plus tard...

J. Friedstein rappelle l'étrange fascination et le dégoût de Catherine II pour Voltaire, la création du futur Paul Ier, qui, admirateur de Voltaire, deviendrait son acharné poursuivant sur le trône. Il évoque le « voltairisme » des écrivains russes, de Pouchkine aux frères Tourgueniev, l'influence de Voltaire sur l'idéologie décembriste. Il souligne que la vie de l'État russe, comme celle des individus, est littéralement « nourrie » par Voltaire : chez les écrivains, tant en prose qu'en vers, dans les journaux et les mémoires, les pamphlets et les dénonciations de la censure, partout et toujours, par Voltaire. c'est la conversation.

Si l'on devait douter de l'influence de Voltaire en Russie, ce livre nous en ferait prendre pleinement conscience : l'impressionnante bibliographie a le mérite de répertorier non seulement les ouvrages spécifiquement consacrés à Voltaire, mais aussi les nombreuses publications qui portent parfois un jugement sur l'homme ou la personne. il contenait des œuvres 2. Ainsi, il donne une idée exceptionnellement plus riche de la "vie de Voltaire" en Russie. Elle doit aussi nous inviter à reconsidérer l'image que Voltaire se fait de la Russie : nous ne l'apprécions pas toujours chez nous. Bien avant d'écrire son histoire de l'Empire russe sous Pierre le Grand, Voltaire était littéralement obsédé par la nouvelle grande puissance du Nord. Assurément une œuvre de commande, son récit, clairement compris comme un grand comparatiste, l'académicien M. P. Alekseev, correspondait sans doute à une exigence de sa pensée.

(Video) Valéry ou la Littérature (1) - William Marx (2022-2023)

MICHEL MERVAUD.

2. Par exemple, les références à Voltaire sont nombreuses dans les notes prises par Pouchkine lors de la préparation de son Histoire de Pierre le Grand, qu'il n'a pas eu le temps de terminer. Mais une erreur typographique s'est glissée dans la bibliographie (p. 152, n° 2415) : Pouchkine écrit que Pierre a correspondu avec Leibniz, Fontenelle et Wolf (pas Voltaire, bien sûr) en esquissant son projet d'Académie des sciences. .

1196 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

Essai de lecture. Livres et lecteurs dans le roman d'Ancien Régime. Actes du Colloque de la Société d'Analyse de la Topique Romane pp. Jan Herman et P. Pelckmans. Löwen-Anvers, 1921, mai 1994, Löwen-Paris, Éditions Peeters, coll. "Bibliothek grammaticalischer Informationen", 1995. Un vol. 15x1 (5 sur 502 p.

Les archives répartissent chronologiquement (probablement à tort) les travaux présentés au colloque selon un thème qui reflète la complexité et l'ampleur du problème en question. Comme je dois rapporter une cinquantaine de textes qui composent une riche collection -dont, bien sûr, je ne peux qu'essayer de donner une idée-, je me permets de redistribuer le matériel de ma part, pour de simples raisons de viabilité, nécessairement réduire .

Quant à la théorie - en particulier la présentation analytique et historique du topos considéré - la Préface (Nicole Boursier, Jan Herman, Paul Pelckmans) apporte un bon éclairage préalable tant sur les principes du "thème romantique" lui-même que sur la très positive résultats de ce dernier colloque.-Age (Danielle Régnier-Bohler) ou pour le XVIe siècle, qui a permis à Yves Delègue de s'armer des préfaces des grands romans des Lumières pour mieux aborder la « théorisation » du romantisme « descriptif » dans Montaigne... Evidemment, d'autres auteurs ne choisissent leur corpus que pour démontrer la fonctionnalité du thème : c'est le cas, par exemple, de Michèle Weil pour la "dialectique de la lecture chez Robert Challe", mais aussi de Francis Assaf pour l'année et 1715, pour Didier Masseau pour le XVIIIe siècle ; de Jean-Paul Sanfourche pour La Vie de Marianne, etc. Le danger de ces "lectures" est évidemment que le lecteur honnête - le test du lecteur est très précis - rencontre une formalité qui ne s'impose que lorsqu'il ne s'agit pas de travestir un besoin précis 1, répondant en fait à la fameuse demande de Paul Valéry : " ALLEZ-Y !... Que tout soit clair, que tout paraisse vain..."

L'occurrence la plus simple et la plus évidente des topos concerne ce qu'on pourrait appeler des « bibliothèques romanesques », ou (on l'espère) des lettres persanes étudiées en elles-mêmes (Marie-Hélène Chahut) ou accessoirement éclairantes par rapport à d'autres romans. XVIIIe siècle (Annie Rivara, Elisabeth Zawisza) ; La contribution la plus originale sur le sujet est cependant celle d'Alexandre Stroev, qui traite des "Livres et bibliothèques dans le roman et dans la vie des aventuriers" des Lumières, à commencer par le livre, avec ce qui est considéré comme "une œuvre potentiellement subversive métaphore de "l'amour"...

On voit déjà émerger ici un thème qui devrait inévitablement prévaloir dans la conversation : celui du danger des romans... Au début, bien sûr, Don Quichotte de Cervantès (Michel Bareau) et toutes les chimères de la chevalerie. roman (Michel Bideaux), avec Paul Pelckmans, relie enfin le cas particulier des romans ultérieurs de Prévost, en proie à la folie livresque. Mais, on le sait, au XVIIIe siècle, ce qu'Henri Coulet, dans le titre de son étude très riche et concise, appelle le "roman corrupteur" se développe avec une audace croissante, qui, de même, produit soudain une inflation encore plus grande des références. plus explicite pour les œuvres plus libres. D'autre part, de nombreux ro1.

ro1. citée au hasard et pas la pire : "De toute évidence, le récit passe par son auto-questionnement, voire son auto-abolition euroborique" (p. 452).

RAPPORTS 1197

Les managers modernes ne perdent pas de vue, avec plus ou moins de bonne foi, ce qui leur semble être leur devoir d'enseigner voire de prêcher, selon une approche que Jenny Mander décrit au début du siècle sous le titre de Cercle". Mais si les bons livres sont souvent opposés aux mauvais livres (Carole Dornier fait habilement allusion aux « lectures d'hypocrites soumis »), une ambiguïté fondamentale demeure, que Pierre Testud, à son tour, associe très bien à la lecture comme « acteur » de l'œuvre. de Rétif de la Bretonne.

Au-delà de cette distinction arbitraire entre le bien et le mal, une partie du génie des Lumières aura sans doute consisté à se tailler un paradigme du roman érotique (on pourrait le qualifier de libertin ou lubrique) qui produit des « taupes en quête de plaisir ». lecteur." . (Jean-Christophe Abramovici) et permet tous les jeux intertextuels (Jean Mainil et Thérèse Philosophe); Un cas particulier, assez intrigant, est le "marquage" (au fer) de Justine pour le plus grand plaisir des libertins de Sade (Mladen Kozul )...

D'autres genres privilégiés au XVIIIe siècle sont les romans épistolaires et/ou féminins, auxquels les Actes donnent toute la place qu'ils méritent. Dans le premier cas, bien sûr, la lecture est essentielle en soi, mais les livres se mêlent aussi à la fiction pour développer souvent leur propre dynamique, ce que Nathalie Ferrand analyse très bien pour La Nouvelle Héloïse, Les Liaisons et Lémigred, alors que d'autres auteurs ont suivi des parcours singuliers. œuvres, majoritairement féminines : Mrs. Riccoboni, Mme. de Graffigny et Mme. ). « Lire ou broder » (Suzan van Dijk) : Cela pourrait être l'axe des représentations féminines dans ce genre littéraire, même si les deux métiers peuvent se combiner (Lettres d'un Péruvien) et la lecture des héroïnes reste déterminée par l'idéologie masculine ( Colette Piau-Gillot), même s'il refuse volontairement (Marie-Hélène Chabut ; "Lecture et délire" dans les lettres persanes).

De manière générale, le topos du livre et de la lecture peut conduire à une remise en cause radicale du genre romanesque. Et cela d'abord avec des interrogations sur son statut (vrai ou fiction ?) ; et à commencer par l'ambiguïté des prologues, par lesquels le « topos du non-topos » d'Yves Delègue est lié à ce que Jan Herman appelle le « paradoxe du menteur » à propos de Marmontel. Le « lecteur vorfacier » (Christian Angelet) est bien un « personnage » qui peut impressionner par sa duplicité, comme on le voit par exemple dans l'étude magistrale de Frédéric Calas sur « le discours préfacial » des Liaisons dangereuses. Au-delà du péritexte, l'intrusion des livres dans les romans peut aussi donner lieu à une mise en abyme : rappelons notamment l'exemple de La Nouvelle Héloïse, véritable « matrice romantique » pour les élèves de Jean-Pierre Jacques, comme Loaisel de Treogate à Dolbreuse (Geneviève Goubier-Roberf). Selon l'analyse incisive d'Erik Laborgne, cette obsession du livre peut aussi fonctionner comme un véritable mécanisme de transmission pour les « héros de la lecture » de Prévost, et on ne peut qu'imaginer ce que peut apporter le décryptage de Théophé, « l'odalisque du livre ». », à travers une analyse rigoureuse de la stratégie « livresque » de la pathétique narratrice (Elisabeth Laayezzi)... Un pas de plus et le roman devient le lieu où la fonction de l'auteur lui-même est interrogée : c'est ce que révèle Pierre Hartmann en isolant les lettres successives du Paysan perverti, dans lesquelles on voit comment Gaudet a rapidement mis fin à la "carrière" littéraire d'Edmond... La boucle est ainsi bouclée.

Malgré des irrégularités et des lacunes, bien connues des éditeurs (pp. 11-12), L'Épreuve du Reader est donc un ouvrage important, p.

1198 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

apport de recherche nouveau et intéressant au roman français, notamment pour l'Illustration 2.

JACQUES RUSTIN.

PIERRE LAUREAU, L'Amérique découverte. Edition créée, présentée et commentée par Renata Carocci. Fasano et Paris, Schena/Nizet, Collection "Biblioteca della Ricerca, Testi stranieri", No. 23, 1994. Vol. 14 x 21 sur 192 pages.

Parmi les textes du XVIIIe siècle inspirés par la découverte du Nouveau Monde, L'Amérique Découverte de Pierre Laureau est le plus récent et l'un des moins connus. Renata Carocci donne une édition richement commentée de cette épopée en six livres, publiée en 1782. Clairement et précisément, l'introduction présente d'abord l'auteur (1748-1845), historiographe du comte d'Artois, qui donna successivement le roi, la république, à l'empereur, puis en 1815 encore au roi ! Avec quelques modifications, R. Carocci reprend un article qu'elle a elle-même publié dans les Cahiers Roucher Chénier (nº 12) en 1992, puis replace l'œuvre dans la tradition poétique colombienne du XVIIIe siècle. Laureau s'inspire de La Colombiade (1756) de Mme du Bocage, également en partie des épopées colombiennes de N.-L. Bourgeois (1773) et R.-M. Le Suire (1781), mais l'originalité de son œuvre réside avant tout dans le fait qu'elle est écrite en prose ; et son Christophe Colomb, prédécesseur et modèle des Lumières, devient le héros idéal des Lumières, l'homme qui, par des moyens exclusivement humains, accomplit une œuvre surhumaine qui met l'humanité en possession de l'univers. La perspective chrétienne, qui était celle de Madame du Bocage, est évacuée. Il y a aussi des influences de l'Historia de Saint-Domingue, du père Charlevoix, et des Incas, de Marmontel, publié cinq ans plus tôt.

Le livre I traite des préparatifs du premier voyage de Christophe Colomb. Les deux livres suivants racontent le voyage, les discussions entre l'amiral et son équipage, l'arrivée et la découverte des Indiens. Le livre IV est le plus historique qui évoque l'Amérique depuis l'arrivée des Espagnols à Cuba dans la République des États-Unis et la récente victoire de Washington avec l'aide française à Yorktown (1780). Les deux derniers livres, qui racontent le retour en Europe, mêlent l'historique et le miraculeux, une évocation de la Cordillère des Andes et du condor quasi mythique, une description du Temple du Soleil, l'histoire tragique et heureuse de deux jeunes amants indigènes , le mythe des Géants de Patagonie, le fanatisme et l'ignorance qui tentèrent en vain de menacer l'expédition de Christophe Colomb sont enfin honorés à la cour d'Espagne.

R. Carocci reproduit l'édition originale, apparemment la seule existante, celle d'Autun de 1782, sans le nom de l'auteur. En plus de l'introduction générale, l'auteur a fourni des introductions appropriées à chaque livre, contenant parfois quelques répétitions mais ajoutant beaucoup d'informations de fond. L'annotation textuelle est agréablement luxuriante. Une bibliographie sur le Nouveau Monde au XVIIIe siècle et une liste chronologique des études sur le même sujet de 1800 à 1992 complètent l'étude.

Renata Carocci reconnaît objectivement les faiblesses de l'œuvre de Laureau : le style plus historien qu'épique, le manque d'homogénéité de sa prose,

2. Le livre est bien présenté et comprend un utile catalogue raisonné. Quant aux erreurs typographiques, je me contenterai de deux passages amusants : Marivaux, « Précurseurs de Sade et de saint Anonius » (p. 220, n. 3) ; "le même matériau m'ennuie si on y pense trop" (p. 237)...

RAPPORTS 1199

Manque de couleur, longues digressions, bravoure accentuée. Sur l'inévitable question de la nature des sauvages, Laureau ne prend pas clairement position dans le débat contemporain entre les sauvages intellectuellement supérieurs de Pernety et les indigènes ignorants et stupides de De Pauw. D'autre part, « de nouvelles formes et formes d'expression apparaissent qui donneront naissance à des poèmes exotiques et naturels à la fin de ce siècle ». L'histoire des deux amants indiens dans le livre met en scène un peu Paul et Virginie, certaines descriptions commençant par celle de Chateaubriand. Ouvrage en partie suranné, mais qui contient quelques ferments littéraires du futur. Le numéro 1 de R. Carocci fournit un lien utile à l'étude du thème colombien du XVIIIe siècle.

ROLAND VIROLLE.

Isabelle de Charrier (Belle de Zuylen). Texte compilé par Yvette Went-Daoust. Amsterdam-Atlanta, GA, Rhodes B.V., 1995. C.R.I.N. #29. vôo 17 x 24 de 144 p.

La correspondance de Madame de Charrière est ici enrichie d'une lettre inédite de Benjamin Constant, écrite par J.-D. bonbons. Plusieurs contributions éclairent les interactions qui se tissent entre correspondances, œuvres de fiction et relations avec de grands auteurs. B. Bray explique l'évolution de l'art du lettrage de Mme de Charrière et l'apport de Mme de Sévigné. R. Trousson et P. Smith soulignent l'importance des références à Voltaire, « un méchant homme d'une grande intelligence », et au « cher La Fontaine ». C. P. Courtney et P. Pelckmans proposent deux analyses psychologiques qui mettent en lumière le bovarisme de l'auteur et l'intérêt quelque peu égoïste qui planait sur la relation de Belle avec sa femme de chambre. M. van Strièn-Chardonneau identifie la fonction éducative des lettres de Madame de Charrière et en déduit la qualité de l'œuvre littéraire que l'auteur leur reconnaît. I. Vissière, s'appuyant sur les premiers mois de 1793, signale les points de contact entre le journalisme et l'art des lettres, montrant que dans ses romans épistolaires Mme de Charrière annexe un champ essentiellement masculin de la littérature en temps de crise, celle de la littérature politique. discours Une étude de S. Houppermans joue de toutes les liaisons possibles que permet l'idée de pli et de chute dans les Lettres de Neuchâtel, tandis que Y. Went-Daoust montre comment et pourquoi les deux parties des Lettres écrites de Lausanne réagissent avant les uns les autres. A travers l'analyse des Trois Femmes, W. Poelsta éclaire la responsabilité de l'écrivain et de ses oeuvres dans la construction, "l'architecture d'une morale".

GUILLEMETTE SANSON.

BENJAMIN CONSTANT, Œuvres Complètes. Écrits littéraires (1800-1813). Volumes mis en scène par Paul Delbouille et pour le théâtre par Martine de Rougemont. Tübingen, Niemeyer, 1995. Deux tomes 16 x 24 de [VI]-542 et [VI]-XII-710 p.

Ces deux grands volumes font partie d'une œuvre monumentale 2 dont la plénitude finira par dépasser l'image restrictive de Constant comme

1. Très peu d'erreurs typographiques, mais le texte à la fin du Livre IV, p. 125, malheureusement coupé à la fin de la dernière phrase.

2. Voir la recension par Béatrice Didier du premier volume de correspondance de la même série (R.H.L.F., septembre-octobre 1995, p. 818).

1200 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

"l'auteur d'Adolfo" ; pendant longtemps la publication d'écrits intimes a entouré ce célèbre chef-d'œuvre d'utiles accents ; Tout est constant cette fois, y compris une infinité de fragments inédits qui nous parviennent, du moins à l'échelle de circulation imaginable pour des livres aussi chers. Ainsi, on trouvera ici (pour la partie chronologique considérée) des histoires qui incluent Adolphe, actuellement édité par Françoise Tilkin, et Cécile ; Essais de longueur et d'intérêt variés (souvenez-vous, entre autres, de deux esquisses d'essai sur Les Martyrs, interrompues trop rapidement) ; Théâtre, essentiellement Wallstein, dont l'intéressant prologue est encore parfois cité ; quelques versets (pauvres, c'est-à-dire conformes à ce qui était alors écrit) ; article de journal. L'édition de tout cela ne suggère aucun reproche : l'élaboration scrupuleuse des textes, et surtout des inédits (entraînant de sévères pompes critiques en bas de page), les copieuses annotations (heureusement également placées en bas de page ), la bibliographie, les index, les illustrations de grande qualité (nombreux fac-similés précieux), tout porte la signature d'une équipe qui a voulu rendre son travail définitif et qui y parvient sans aucun doute. Ce sera bien sûr l'édition scientifique de référence. Devant un monument aussi luxueux, presque personne n'ose (et ose encore) se demander si Benjamin Constant en vaut la peine. Quelque chose de Benjamin Constant ? En réalité ?

PATRICK BERTHIER.

MARIE PINEL, Chateaubriand et la Renaissance épique. Les Martyrs. La Rochelle, Rumeur des âges, 1995. Une fuite. 15 x 21 sur 104 pages.

Marie Pinel, admiratrice claire et nuancée d'une œuvre sur laquelle elle a déjà pu apporter un éclairage intéressant avec sa dissertation plus générale sur La mer et le sacré à Chateaubriand1, s'engage ici à la défendre des réserves d'entre nous que je ne n'y voyons pas qu'un roman raté : essentiellement Léon Cellier et Béatrice d'Andlau, dont l'analyse il y a près d'un demi-siècle a marqué un tournant 2. Leur étude, après une brève et claire réminiscence théorique sur le problème de l'épopée comme genre et son évolution jusqu'à la fin du XVIIIe siècle se concentre successivement sur des situations, des personnages et des attitudes ; Soucieuse de rapporter Les Martyrs au génie du christianisme qui sous-tend tant de manières sa fondation, Marie Pinel ne se livre pas à un dithyrambe et, surtout, s'abstient de défendre le chrétien merveilleux (pp. 41, 68, 76...) ; mais il veut sauver l'ouvrage dans sa propre perspective religieuse et littéraire, celle d'« un florilège de beautés au service d'une pensée chrétienne tolérante et médiatrice » (p. 23) ; la façon dont il montre comment Chateaubriand parvient à donner aux personnages principaux « une profondeur psychologique sans violer le dessein apologétique » (pp. 62-63), ou comment il explique le sens des paysages (« la poésie de la nature ne peut venir que de la perception de le sacré », p. 35), exprime facilement la conviction. Au terme de ce parcours bref et rigoureux, on a le sentiment que la prédilection déclarée de Marie Pinel pour une œuvre dont le "charme" lui manquait (p. 53), n'a pas endormi sa sensibilité critique, mais lui a procuré un plus grand discernement. Cette interprétation, dans un cadre historique parfait, loin de toute illusion, est d'autant plus agréable que la réalisation matérielle de l'oeuvre est quasi parfaite : sauf erreur de ma part,

1. Albertville, Claude Alzieu, 1993 ; ver em particulier pp. 180-209 et p. 215-216.

2. Chateaubriand et "Les Martyrs", Naissance d'une épopée, Corti, 1952.

RAPPORTS 1201

pas un seul obus ! Cela devient si rare que l'éditeur et l'auteur sont à féliciter pour leur vigilance commune 3.

PATRICK BERTHIER.

Balzac. Edité et présenté par Michael Tilby, Londres et New York, Longman, 1995. Un vol. Relais 14x21,5x-364P.

Ce n'est pas la vie d'un romancier, mais une anthologie savamment annotée des critiques publiées de son œuvre, de Sainte-Beuve à nos jours. L'exercice acrobatique consistant à capter seulement vingt-cinq noms dans le courant discursif plus que profane de Balzac est brillamment exécuté, surtout si l'on considère le souci exprimé par Michael Tilby dans son introduction d'inclure ce choix parmi les noms incontournables (Hugo, Barbey, Gautier, Baudelaire, Proust , Béguin, Poulet, Lukacs, JP Richard et autres), quelques observateurs moins connus dont la contribution novatrice a semblé digne de mention ; pour nous Français, l'enluminure anglo-saxonne renforce cette impression de dépaysement relatif : je pense à des textes de Leslie Stephen des années 1970 (pp. 52-53) ou de Frédéric Jameson, largement cité (trop long ?) pour l'approche psychanalytique d'une cousine Bette (pp. 225-247). La présentation de la collection est de grande qualité : les textes, dont la source et, le cas échéant, le traducteur sont nommés, sont présentés sous forme d'extraits complémentaires ou d'informations bibliographiques. Glossaire (termes techniques critiques et noms des auteurs cités), notes, bibliographie finale, index, outre l'élégance matérielle du volume, font de ce manuel, à des fins expressément pédagogiques, un outil remarquable dont l'équivalent en français n'existe pas dans cet ouvrage. former. .

PATRICK BERTHIER.

MARINA MURESANU IONESCO, La Littérature - ein triadisches Modell. Iasi, Verlag der Stiftung "Chemarea", 1995. Bande 14 x 20 com 242 Seiten.

Sous ce titre énigmatique se cache une réinterprétation de certains textes de Gérard de Nerval. Le livre représente la publication « condensée » d'une thèse soutenue il y a plus de dix ans, qui préserve l'intérêt de ses analyses et la pertinence de ses propositions.

Le point de départ serait la conviction que la littérature peut être abordée d'un point de vue logico-philosophique, les deux efforts (littéraire et philosophique) ayant beaucoup en commun. Marina Muresanu résume les similitudes entre la pensée triadique de Ch. Les obsessions de S. Peirce et Nerval et propose une nouvelle classification — et donc une nouvelle interprétation — de l'ensemble de l'œuvre et de la production littéraire de Nerval. La théorie du signe de Peirce (défini comme « un premier reliant un second et un troisième ») établit trois catégories phanéroscopiques, première, deuxième et troisième, et par conséquent trois types de littérature. Placée sous le signe du hasard et de l'indice, la littérature des premiers-premiers privilégie les discours descriptifs

3. Je n'ai trouvé que deux mots deux fois (p. 88, 1.5) et une virgule mal placée (p. 95); et quant à la syntaxe, un oubli que je crains n'est que la faute de l'auteur (l'un d'eux se référant à un nom singulier, au milieu de la p. 27).

1202 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

et "preuve" ; chez Nerval sont les récits de voyage qui entrent dans cette catégorie, les textes qui enregistrent les impressions du voyage, du présent sensationnel. La littérature secondaire met en scène une confrontation ou un dialogue, en l'occurrence entre le moi présent et le moi passé, l'extérieur et l'intérieur ; c'est une littérature de mémoire et d'expérience, de fragmentation et de circularité fermée, comme dans Les Filles du feu et Les Illuminés. Enfin, on parle de littérature tierce qui reconstitue le contexte du monde sur l'écran personnel de l'auteur. C'est le cas d'Aurélia, La Pandora, Les Chimères, textes dans lesquels Gérard de Nerval cherche à mener à bien son projet totalisant de « recomposer la gamme dissonante ».

Dans cette intervention théorique et pratique en littérature, le livre accorde une attention particulière à la production graphique du sens : la matière du texte est explorée chez Nerval avec une remarquable délicatesse.

Parfois intimidante en termes de terminologie, la démonstration de Marina Muresanu invite à la réflexion.

IOANA MARASESCU.

Socialismes français (1796-1866). formes de discours socialistes. Textes compilés par Jacques Birnberg. Préface de Maurice Agulhon. Paris, S.E.D.E.S., 1995. Un vol. 16 x 24 de IV-268 p.

Ce volume publie, longtemps après, une partie des actes d'un colloque organisé en mai 1986 à l'École Normale Supérieure par la Société des Études romantiques ; il est heureux que ces pages soient enfin publiées car, comme le souligne à juste titre Maurice Agulhon dans sa préface, elles représentent un très rare exemple de véritable collaboration entre historiens de la littérature et historiens ; une telle convergence de points de vue et d'analyse était nécessaire pour le thème abordé ici : Pierre Leroux et son compagnon Jean Reynaud, à qui est consacrée la plus grande partie (huit études), mais aussi le saint-simonisme, Fourier, Lamennais et a fortiori Victor Hugo, sur lequel tout s'achève, touche à la fois à la littérature et à l'histoire des idées et des courants sociaux. La compétence indiscutable de certains des spécialistes qui se sont prononcés ces jours-ci (Frank-Paul Bowman, Ceri Crossley, Jean-Pierre Lacassagne, Louis Le Guillou, Peter Byrne) les place dans une position différente si l'on considère leurs centres d'intérêt comme chercheurs, les croisements stratégiques des idées au XIXe siècle : entre religion et société laïque, entre idéologies et poésie, entre polémique et journalisme. Ce recueil d'études reflète cette ambivalence et montre qu'il est nécessaire de comprendre l'ensemble du XIXe siècle.

PATRICK BERTHIER.

GÉRARD GENETTE, L'Œuvre d'art. immanence et transcendance. Seuil, collection "Poetik", 1994, 301 p.

"L'Oeuvre d'Art" est un beau titre. Son clin d'œil organise un double mouvement théorique et éditorial, puisque G. Genette propose de traiter de « l'œuvre d'art » dans cet ouvrage et de « l'œuvre de cette œuvre » dans un livre ultérieur.

1. J. Birnberg rappelle (p. 8) que les articles non repris ici ont été édités par la revue Quaderno filosofico de l'Université de Lecce (voir n. 12-13 et 14-15, datés de 1985 et 1986, mais publiés en septembre 1988 et juin 1989).

RAPPORTS 1203

œuvre qui est évidemment de l'art lui-même » (p. 8). Mais précisément cette distinction pose un problème : comment traiter l'œuvre d'art en séparant la question de l'œuvre de la question de l'art ? Et, en effet, on peut se demander par quels critères les objets recensés et analysés ici sont-ils réellement appelés « œuvres d'art » si la notion d'œuvre se définit essentiellement comme « la manière dont le texte agit » (p. 275 ), critère dont l'investigation est expressément reportée à une période de réflexion plus approfondie, c'est-à-dire au prochain volume consacré à l'"œuvre en action de l'"art à l'oeuvre" (p. 288), L'approche, de l'art à la fois objectif et exigence préalable à sa définition , affaiblit la validité d'une catégorie dont le paradigme de l'apparence comprend des textes littéraires, des œuvres musicales, des feux d'artifice (p. 117), des bijoux, des meubles, des vêtements de haute couture (p. 41) ou des créations culinaires (p. 102).

Le livre, qui tente de classer les œuvres (d'art) selon leur « régime d'immanence » et leur « mode de transcendance », est peut-être avant tout victime d'une méthodologie issue du structuralisme rhétorique appliqué au champ de l'art. Il y a certainement un rapport entre cette "impression désagréable de provoquer des banalités devenues banalités" (p. 285-286), qui, de l'avis même de l'auteur, est parfois dépassée à la lecture de cet ouvrage, et l'exercice incessant du fonctionnalisme , ce qui conduit à la parfaite comparaison entre un texte littéraire, une partition et une recette de cuisine (p. 106). Des distinctions fonctionnelles qui masquent des distinctions conceptuelles, G. Genette, sous l'impulsion de la "philosophie américaine" (le référent principal est Nelson Goodman), évacue un débat qui débouche notamment sur les notions de poièsis et de tekhnè, débat ancien, mais qui revient être mis à jour précisément du fait de son absence. En fait, on ne parle pas forcément de la même chose quand on compare « la recette du beurrier », « le plan de la cathédrale d'Amiens », et « la partition de Tristan et Isolde » (p. 140). La dérive vient des philosophes pragmatiques qui, comme Richard Shusterman, peuvent unir la peinture, « l'art de la mode » et la conduite automobile sous le même label « d'expérience esthétique ». C'est précisément l'ambiguïté incontestable du concept d'art qui permet de réunir dans un même tiroir « l'art littéraire », « l'art culinaire », « l'art d'improviser » au théâtre et l'art d'improviser sur un terrain de football (p. 67). ) auquel, si nous sommes logiques, nous pouvons ajouter "l'art" de se sortir d'une mauvaise situation, ou de perdre du temps.

Cette confusion extension-sens trouve son origine dans l'irénisme esthétique (et son éthique et sa politique implicites) des conceptions pragmatiques de l'art : faire de la vie, comme le propose John Dewey, une œuvre d'art. Mais sans théorie de l'art -et aussi de la vie- puisque le critère retenu, celui de l'émotion, l'idée d'artiste, que G. Genette se plaît à distinguer de l'esthétique (p. 156), renvoie aux dimensions d'un « Fonction », qui demeure ici dans l'héritage kantien : l'œuvre « n'exclut pas a priori les innombrables produits artisanaux du domaine de l'art, puisque toute production humaine qui comporte une fonction esthétique est incluse dans notre définition » (p. 40 ) .

Mais peut-être le problème central de L'Œuvre de l'art réside-t-il dans un tournant de la poétique qui se présente comme « un canton de la théorie de l'art et donc sans doute de l'esthétique » (p. 7, je souligne). ). En effet, dans sa démarche, l'ouvrage clôt la question implicitement posée par le « sans aucun doute ». Car reconnaître que la littérature « est (aussi) un art » (p. 7) ne signifie pas faire dépendre la poétique d'une esthétique générale (qui, soit dit en passant, est pragmatique dans sa version) ; ce qui légitime exactement la distinction entre l'artistique et l'esthétique. Avec l'assujettissement de la poétique, une partie de son efficacité disparaît :

1204 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

l'articulation des objets de pensée avec les pratiques et théories du langage qui les constituent explicitement ou implicitement.

GÉRARD DESSONS.

VIVIENNE G. MYLNE, Dialogue dans le roman français de Sorel à Sarraute. Sous la direction de Françoise Tilkin, préface de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1994. Un vol. 17,5 x 24 sur 226 pages.

"Cet essai très clair, humble et plein d'humour", écrit Jean Sgard dans le prologue d'un ouvrage que Vivienne G. Mylne terminait lorsque la mort la surprit. L'éloge est nuancé (au-delà de l'évidence fantaisiste, prétentieuse et du sérieux sans faille). Cependant, nous voulons pousser un peu pour considérer le mérite d'une étude qui, comme le souligne encore Jean Sgard, analyse trois siècles de production romanesque avec la même actualité et (ici éclate une première forme d'humour) avec la même ingéniosité pédagogique. . L'humour devient complice de la clarté lorsqu'il permet de redéfinir sans parti pris des termes comme « réalisme ». Mais elle permet aussi d'égratigner délicatement Sartre, coupable d'interdire à ses confrères de contaminer divers genres alors que lui-même enrichit ses dialogues romanesques de procédés théâtraux, ou Nathalie Sarraute, acharnée théoricienne dont les romans présentent heureusement un autre visage. Utilisées de façon productive, les œuvres de Genette ne sont pas une bible : en présentant les dialogues comme des mots « traditionnels », Figures III contourne la fonction « d'imitation » du roman. On ne voit guère d'aspect du problème, depuis les contraintes éditoriales imposées par les imprimeurs jusqu'à l'illusion de réalité véhiculée par les personnages du dialogue, qui n'est pas abordé ici avec des exemples soigneusement analysés. Avec son ton familier et captivant, l'œuvre de Vivienne G. Mylne se présente principalement comme une œuvre didactique (au sens de la littérature de Nabokov). On se dit parfois que d'autres exemples auraient encore mieux servi la démonstration : parmi les romans de Balzac, Le Curé de Tours propose un procédé unique de démasquage du mensonge grâce à l'entretien avec l'Abbé Troubert et le Baron de Listomère L'amant anglais est un cas limite d'un roman dialogué. Dans son étude du « nouveau roman », Vivienne G. Mylne omet également les prolongements les plus audacieux du mouvement : si les romans de Beckett sont à peine évoqués, les références à Robbe-Grillet, Claude Simon ou Nathalie Sarraute ne dépassent pas 1960, quand le questionnement sur les moyens de langage, aussi répété soit-il, se développe dans le roman français au point de bloquer complètement la communication initiée par Joyce. L'essentiel est que tous les outils d'analyse que le nouveau lecteur peut utiliser en fonction de ses centres d'intérêt ou de ses programmes soient réunis ici.

PIERRE-LOUIS REY.

ALLAN H. PASCO, allusion, une greffe littéraire. Toronto, University of Toronto Press, 1994. Un vol. de 247 pages.

Depuis les travaux de Kristeva et Genette, la notion d'intertextualité a suscité de nombreuses études et clarifications. L'intérêt des travaux d'Allan Pasco est, après une solide introduction, d'apporter la preuve « pratique » de cette notion essentielle à travers une série d'analyses inventives et diversifiées. L'allusion, cette greffe d'un texte sur un autre, est ainsi examinée dans le contexte

RAPPORTS 1205

d'Un coeur simple (et sa relation avec les béatitudes et la vie de Santa Felicidade). Dans Antigone, Anouilh traduit (notamment l'œuvre de Sophocle), imite, voire plagie ; dans Le Rideau crimoisi, Barbey s'inspire du Rouge et du Noir ; dans La Recherche, ce sont Les Mille et Une Nuits, le Thème de Parsifal et le Roi Pêcheur qui fournissent quelques-uns des modèles formels les plus évidents. Allan Pasco considère également Electre, La Symphonie pastorale, Eugénie Grandet, La Faute de l'abbé Mouret et deux textes fondateurs : La Nausée de Sartre et Les Gommes d'Alain Robbe-Grillet.

Peut-être serait-il souhaitable d'avoir une conclusion qui mettrait mieux en évidence les différences apparentes dans l'usage de l'allusion elle-même (modèle admis, référence codée, plagiée, déviée, etc.) et introduirait une brève typologie du procédé. Mais les titres des chapitres l'annoncent, et le lecteur dispose sans doute d'assez d'échantillons pour en tirer les conclusions qui s'imposent.

MARTIN REID.

Michel Sandra. Lisez le poème en prose. Paris, Dunod, 1995. Tome 13 x 22 de 206 pp.

Ce petit ouvrage a une mission essentiellement pédagogique et se distingue par la clarté méthodologique de son thème. Il est divisé en deux parties, la première qui cherche à présenter le poème en prose selon une triple approche théorique, historique et poétique, et la seconde qui consiste en une double anthologie de poèmes en prose et de textes critiques sur le poème en prose. La présentation se termine par des notes biographiques utiles, suffisamment de résumés et de références bibliographiques et un index pratique. Les informations sont sûres et abondantes, mais évitent le risque d'induire en erreur les lecteurs inexpérimentés pour qui ce livre est destiné à la sophistication savante et byzantine, et M. Sandras sera particulièrement reconnaissante d'avoir là un outil de travail utile et précieux en soi par sa pertinence. précision et finesse de l'analyse. Le plus remarquable est que M. Sandras, de ce genre ou quasi-genre, qui échappe aux théorisations rigides, inscrit sans cesse, ligne à ligne pour ainsi dire, une réflexion sur la poésie elle-même et sur le poétique. Le résultat est impressionnant et rendra sans aucun doute un grand service aux étudiants.

PIERRE LAFORGUE.

Paris et l'Europe musicale. Textes présentés par Joseph-Marc Bailbé, Centre d'art, d'esthétique et de littérature, C.A.E.L., Université de Rouen, 1994. Un vol. 14,5 x 20,5 de 108p.

A l'occasion du 20ème anniversaire de la création du Centre d'Art, d'Esthétique et de Littérature (C.A.E.L.) de l'Université de Rouen, J.-M. Bailbé a compilé une série d'études sur le thème « Paris et l'Europe musicale ». Rossini, Berlioz et Wagner, bien sûr, mais aussi Salieri, Casella et Stravinsky sont les protagonistes des dix articles réunis dans cette brochure. A eux seuls, chacun d'eux, qui est aussi consciencieux et érudit, n'apporte rien de bien novateur, mais c'est l'ensemble qui fait sens quand on voit comment « l'influence grandissante d'une 'conscience européenne' comme J.-M . Bailbé Il l'a formulé dans sa présentation.

PIERRE LAFORGUE.

PROTOCOLE

POUR L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 17 NOVEMBRE 1995

L'Assemblée générale de la Société française d'histoire littéraire s'est tenue le vendredi 17 novembre 1995 à la Sorbonne, Sala Louis Liard, sous la présidence de M. René Pomeau, Membre de l'Institut, Président de la Société.

Présent : Mme. et Sr. M. Ambrière, Auba, J.‑M. Bailbé, Bassan, Bénichou, Beretta-Anguissola, Berthier, Bessire, Beugnot, Billaz, Bonnerot, Bray, Callu, Cave, Chastang, Cirrincione, Coirault, Comparot, Coulet, Dagen, Delon, Del Panta, Deprun, Didier, Duchet, Faudemay , Forestier, Frycer, Gorilovics, Guitton, Gundersen, Hourcade, Kibédi-Varga, Loskoutoff, Marchai, Menant, M. Ménard, Mervaud, J. Mesnard, Michel, Millet, Milner, Naudin, Nies, Picois, R. Pierrot, Pomeau , Pommier, Prevot, Rancoeur, Ricken, Roussel, Swahn, Virolle, Wehle, Whitaker, Yllera, Zuber.

Perdão: Sra. e MM. Albertan-Coppola, pág. Ambrière, Aris, Aulotte, Bancquart, Becker, Bem, Bérard, Berretini, Bertrand, Bertière, Blanc, Bompaire-Evesque, Bony, Caizergue, Caminiti-Pennarola, Campion, Cazauran, Cazenobe, Céard, Cesbron, Chauveau, Cheng, Chollet, Chotard, Citron, Collinet, Cotoni, Dubu, Ehrard, Fraisse, Gilot, Giraud, Glaudes, Griffith, Haroche, Himelfarb, Himmelsbach, Hofer, Jammes, Jouanny, Kies, Lafond, Laubriet, Lecercle, Le Yaouanc, Lioure, Little, Lund , Marchai, Marmier, Martin-Smets, Meininger, Mercier-Campiche, Molinié, Moutote, Mozet, Nakagawa, Nakam, Neefs, Nemeth, Népote-Desmarres, Niderst, Niklaus, Plagnol, Plantié, Racault, Sagnes, Serray, Sharrat, Sicard , Terreaux, Thierry, Van Buuren, Vandegans, Vercruysse, de Villaumes, von Proschwitz, Zatloukal.

A 9h40, le Président ouvre la séance et vote le renouvellement partiel du Conseil d'Administration et présente son avis moral.

1. Commentaire moral du président, M. René Pomeau

Mesdames et Messieurs, chers collègues,

Nous voici donc réunis dans cette prestigieuse salle Liard, où nombre d'entre nous se sont assis auparavant. Mais les chambres sont très demandées. Tout d'abord, je voudrais remercier Mme. le Recteur Gendreau-Massaloux, Chancelier des Universités, qui a bien voulu mettre à disposition cette salle pour notre Assemblée Générale.

PROTOCOLE 1207

A la fin de nos séances de ce matin, nous sommes reçus dans l'imposante salle des autorités. Je voudrais encore remercier le doyen.

Au cours de l'année écoulée, nous avons perdu plusieurs de nos confrères les plus importants. Je commence par honorer sa mémoire.

Peu de temps après notre dernière rencontre, le 30 décembre 1994, Lloyd James Austin, membre honoraire de notre société, nous a quittés. Avec lui a disparu un chercheur éminent dans le domaine de la littérature française des XIXe et XXe siècles. Il laisse des ouvrages remarquables sur Baudelaire, Paul Bourget, Paul Valéry. Son œuvre principale reste cependant la grande édition en onze volumes de la correspondance de Mallarmé. Mais permettez-moi de vous renvoyer à la note détaillée et très précise In memoriam publiée par Bertrand Marchal dans la Revue numéro 5, septembre-octobre 1995. Nous pleurons sa disparition :

Le décès d'Enea Balmas au début de cette année nous a également profondément touchés. Il a eu la gentillesse d'être l'un de nos correspondants en Italie jusqu'en 1990. Puis il est devenu l'un de nos membres honoraires. C'était un ami très cher à beaucoup d'entre nous et surtout à celui qui vous parle. Originaire du Valdotain, Enea Balmas fait partie des Italiens d'origine française. Enea Balmas a rapidement acquis une grande autorité académique dans son pays. Il fut un animateur à succès d'études françaises. Beaucoup d'entre nous se souviennent d'avoir été reçus par lui lors d'une conférence, d'un symposium. En particulier, on n'oublie pas celle qu'il organisa sur les rives du lac de Garde en 1980 sur le thème "Le bon sauvage". Notre littérature du XVIe siècle mais aussi du XVIIIe siècle a fait l'objet d'un travail de fond. Mais notre magazine publiera bientôt, à la mémoire d'Enea Balmas, l'attention que mérite cet ami fidèle et grand explorateur.

Parmi nos chagrins les plus douloureux, je voudrais mentionner le décès soudain de M. Albert Brunois, ancien Bâtonnier de l'Ordre des Avocats de Paris. Notre conseil d'administration lui avait proposé de devenir l'un de nos membres d'honneur et le bâtonnier du Barreau Brunois a accepté avec grand plaisir. Membre distingué de l'Académie des sciences morales et politiques, Albert Brunois était une figure respectée du monde juridique. Il détenait entre autres le titre de président d'honneur du Palais littéraire. Son dernier livre était un mémoire, très engageant et remarquablement écrit. Oh! Nous n'avons même pas eu le temps d'inscrire le nom d'Albert Brunois sur la liste de nos membres d'honneur, en haut de la troisième page de notre première page. La maladie l'a emporté en quelques jours au printemps dernier.

Il y a quelques mois, nous avons dû faire à nouveau le deuil de Simon Jeune. Il a été l'un de nos membres les plus actifs, assistant à nos réunions et contribuant à notre magazine. Son travail est centré sur Musset, sujet de sa thèse (Musset et sa fortune littéraire, 1970). Il a également créé le Teatro de Musset à la Bibliothèque de la Pléiade (1990). Musset caché, musset auteur féministe ? », Musset et « la fuente impura » de El hombre no juguete con el amor, ceux-ci ont fait l'objet d'articles publiés dans plusieurs revues, dont la nôtre, et la rémunération n'est pas exhaustive. Simon Jeune s'intéresse aussi à Vigny, notamment à sa relation avec Marie Dorval. On lui doit enfin plusieurs études sur Nodier, publiées en 1980 et 1981 à l'occasion du bicentenaire de l'écrivain. Enfin, n'oublions pas le livre paru en 1968 : Poésie et système : Taine interprète La Fontaine. C'est donc la personne de Simon Jeune, l'un des plus grands connaisseurs du roman et de la littérature du XIXe siècle, qu'il nous a fallu manquer.

1208 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

Notre vice-président Claude Picois a eu la gentillesse de nous faire part d'un autre douloureux décès, celui de Raymond Pouilliart, décédé le 16 août. Ce confrère a longtemps été notre correspondant en Belgique. À partir de 1958, il enseigne à l'Université catholique de Louvain. En 1966, il prend la direction de la Littérature romane et l'année suivante le Centre d'études théâtrales. Il ne cessera de faire revivre ce centre jusqu'à sa retraite en octobre 1984. Son autre passion était la musique, en particulier celle d'Albert Roussel. On lui doit de nombreux articles sur les écrivains de la fin du XIXe siècle, en particulier Maeterlinck, qu'il a bien connu. Il collabore aux Lettres françaises de Belgique et rédige le tome XIV, 1869-1896, le recueil de littérature française dirigé par notre ami Claude Picois. Nous avons demandé à Mme. Raymond Pouilliart et sa famille pour vous exprimer nos tristes condoléances.

Enfin, nous avons appris le décès de deux autres membres des nôtres : M. Mohamadou Kane, qui était notre correspondant au Sénégal ; M. Kurt Wais, spécialiste de littérature comparée, professeur à l'Université de Tübingen. Il a dû traverser toute la période difficile du national-socialisme. Né en 1907, il était sans aucun doute l'un des plus anciens membres de notre société. Nous honorons respectueusement sa mémoire.

L'année 1994 a été celle du centenaire de notre société et de notre magazine. Nous vous rappelons qu'il y a un an, nous avons organisé un symposium extraordinaire pour célébrer cet événement. Le procès-verbal sera publié prochainement. Ils formeront un numéro supplémentaire spécial de notre magazine. Il est fourni gratuitement à tous nos abonnés si spécifié.

L'année 1995 en cours est la première du deuxième siècle de notre existence. Commençons par dire que nous avons poursuivi sur notre lancée durant ces 12 mois. Le rythme de nos conférences et tables rondes a été maintenu. Notre table ronde du 14 janvier, organisée en partenariat avec la Société française d'études du XVIIIe siècle, était particulièrement brillante, compte tenu du thème choisi. En effet, nous avons bénéficié d'un triple événement : le tricentenaire de la naissance de Voltaire, l'inscription du Dictionnaire philosophique au programme d'agrégation et la parution de l'édition critique du même dictionnaire sous la direction de Christiane Mervaud dans les Œuvres complètes, actuellement en progrès à la Voltaire Foundation d'Oxford. Cet après-midi du 14 janvier, la foule s'est rassemblée dans la salle Milne Edwards de la Sorbonne. Le succès ne tient pas seulement au thème, mais aussi à la qualité des intervenants, dont je souhaite retenir les noms : Marie-Hélène Cotoni, José-Michel Moureaux, Sylvain Menant, Christiane Mervaud. Les textes des communications peuvent également être lus dans le nº 2 du magazine de mars-avril 1995.

Demain, nous aurons le colloque de cette année. Le programme est prometteur. Il vous a été envoyé, mais avec une omission dont je m'excuse. Le titre omis par notre secrétariat est : Images de Madame de Sévigné.

De cette façon, le rythme de nos activités est maintenu, ainsi que la publication périodique de notre magazine. Mais je laisse son directeur, Sylvain Menant, vous le dire. Je veux juste saluer la publication de la bibliographie de la littérature française pour l'année 1994 en double numéro 3-4, réalisée par notre vice-président, M. René Rancœur. Ce ne sera pas la dernière, mais l'avant-dernière édition bibliographique, que nous devons à notre ami. René Rancoeur nous a informés qu'il a l'intention de terminer son travail de comptage le 31 décembre. Ainsi, en 1996, il rééditera la bibliographie de 1995. René Rancoeur prendra sa retraite. Nous avons dû accepter avec beaucoup de réticence une décision qui nous avait été annoncée il y a quelque temps. me permettra

PROTOCOLE 1209

ici pour célébrer tout ce que nous devons à notre ami. Lors du renouveau d'après-guerre de la Revue d'Histoire littéraire de la France, la section bibliographique est d'abord réduite à quelques maigres notes en 1947 et 1948. Mais en 1949 apparaît René Rancoeur, d'abord soutenu par Pierre Josserand. Puis la bibliographie s'est étoffée et, parallèlement, les études de la littérature française se sont développées. Différentes formules sont tentées successivement : publication d'une partie bibliographique dans chaque numéro, puis d'une bibliographie dans un volume annuel, distinct de la revue. Enfin, nous avons adopté la solution actuelle, la bibliographie, qui forme chaque année un double numéro de la revue. Mais c'est toujours René Rancoeur qui s'est occupé de ces différentes formules. Ainsi, il a assuré une partie importante de nos activités de 1949 à 1996, soit pendant 47 ans. Il n'a jamais manqué d'accomplir un travail énorme avec une persévérance admirable, une ponctualité parfaite et un altruisme exemplaire. Au moment où je quitte cette tâche, je voudrais vous rendre un hommage solennel au nom de tous. Puissiez-vous trouver ici l'expression de notre profonde gratitude pour tout ce que vous avez fait pour notre entreprise, dont vous continuerez bien entendu à assurer la vice-présidence.

Nous ne remplaçons pas René Rancoeur. Mais nous devons trouver un successeur. Son départ coïncide avec un changement fondamental. La Bibliothèque nationale, notre B.N., est devenue la Bibliothèque nationale de France (B.N.F.). Elle s'appuiera sur les Tours de Tolbiac : une toute nouvelle organisation, largement informatisée. M. Menant et moi avons été en contact avec la B.N.F. ainsi que le Centre National du Livre (C.N.L.) et le C.N.R.S. inclus pour assurer la continuité de notre bibliographie.

Nous sommes nous-mêmes convaincus de la mutation de l'ordinateur. Actuellement, nous ne prévoyons pas d'entrer dans le système Internet. Parce que cela permettrait aux membres de lire notre avis sans s'inscrire. Le progrès a des pièges dont il faut être conscient. Mais maintenant nous allons installer deux ordinateurs avec une imprimante dans notre petite boutique du 112 rue Monge. Nous demandons maintenant à notre équipe d'envoyer vos articles de deux manières : copie dactylographiée et disquette. M. Menant fournira prochainement tous les détails utiles à ce sujet.

Cette transformation de nos procédures coïncide avec un jeu. Mme. Dusuzeau, notre secrétaire administratif dévoué, prendra sa retraite le 31 décembre de cette année. C'est l'occasion d'honorer publiquement notre employé discret mais efficace. Nos collègues ont l'habitude de vous voir à chacune de nos AGA pour des tâches de secrétariat afin de permettre le bon déroulement de nos réunions. En 1983, il entre au service de la Société historique littéraire française et de notre revue. Pendant douze ans, dans nos bureaux successifs, d'abord rue de l'Industrie, puis rue Monge, Mme. Dusuzeau assurait la réception de la correspondance, le tri de nos copieux papiers et livres, la dactylographie, bref, tout le contrôle de nos affaires. Vous avez joué un rôle indispensable et vous l'avez fait avec un dévouement total, en nous consacrant votre temps à tout prix, en prenant nos activités et nos publications au sérieux, en les faisant vraiment vôtres. Je vous exprime ici notre profonde gratitude pour tous les services que vous nous avez rendus. J'y ajoute mes meilleurs vœux pour une retraite heureuse aux côtés de votre famille : vos enfants et petits-enfants, auxquels je sais combien vous tenez. De plus, notre entreprise n'exprimera pas sa gratitude avec des mots seuls.

Nul doute que nous ne remplacerons plus Mme. Dusuzeau comme M. Rancœur à un autre niveau. Mais nous devons aussi leur trouver un successeur. Nous y travaillons.

1210 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

Ainsi, pour résumer 1995, la première de notre nouveau siècle, deux mots me paraissent essentiels : continuité, mais aussi changement. Après tout, c'est la loi de la vie, c'est aussi la formule du succès. Cela me permet de terminer cette déclaration avec une touche d'optimisme.

RENÉ POMEAU

Ce rapport est approuvé à l'unanimité. Le Président donne la parole à M. Olivier Millet pour le reporting financier.

2. M. Olivier Millet, trésorier

ETATS FINANCIERS POUR L'EXERCICE 1994-1995 (1er juillet 1994 au 30 juin 1995)

revenu

1. Chargeur 873 182,00

Abonnements 842 494,00

Ventes au nombre 25 969,00

Droits d'auteur 3,922.00

Port (avion) ​​727,00

Trop-perçu social 983,00

2. Bourses d'études 153 462,10

C.N.R.S. 15 000,00

F. Singer-Polignac 128 462,10 Jours fériés

(centenaire) 10 000,00

Total 1026 644,10

COÛT

1ère édition du magazine 715 532,00

(bibliographie) 27 740,00

2. Autres frais

Salaires et charges sociales 101 427,72

Section locale 3 792,99

Frais de bureau et d'affranchissement 22 738,88

Congrès et Symposiums 34 179,88

Plongeurs 200.00

Total 905 611,47

RÉSULTAT + 121 132,70

(- Édition spéciale du centenaire - 100 000,00)

PROTOCOLE 1211

Le résultat ci-dessus intègre en produits le don de la Fondation Singer-Polignac pour le Colloque du Centenaire. Dès lors, afin d'avoir une idée précise du résultat réel que l'on peut attendre à partir de 1995, il faut tenir compte des frais d'impression et de distribution du numéro spécial du magazine dans lequel le procès-verbal de la réunion seront compilés. Colloque publié. Dépenser 100 000 F pour cet article représente une supposition maximale.

.Les revenus du magazine restent stables (+3,86%). Une légère hausse du prix de l'abonnement 1995 (F398 vs F390), une légère baisse du nombre d'abonnés (normale dans la situation actuelle, selon l'éditeur) et la stabilité des ventes au détail expliquent ce résultat.

Les éditions du magazine ont augmenté (+5,77 %), ce qui s'explique par l'augmentation du nombre de pages (1 120 contre 960) en 1995. On soulignera le prix de la bibliographie en raison du poste supplémentaire assez important que représente le coût d'entrée dans le ordinateur des données recueillies par M. Rancœur.

Les autres dépenses montrent une augmentation significative des salaires et honoraires sur le dernier exercice (+ 14 %), une diminution des dépenses liées aux installations de la rue Monge et des dépenses de bureau et postales. Le segment des conférences et symposiums a connu une croissance significative en raison du symposium du centenaire. Il est également possible que les rubriques actuelles (à l'exception de celles liées à la revue) ne soient pas assez analytiques, ce qui expliquerait en partie ces différences d'une année à l'autre.

Un véritable bilan doit être dressé à chaque assemblée générale. Je tiens à souligner la situation financière précise de l'entreprise, notamment sa capacité à investir dans un programme immobilier et d'équipement.

Outre le compte d'exploitation et le résultat 1994-1995, la société dispose d'importantes réserves :

- 41 162 F sur un prospectus complet servant à constituer un fonds de roulement ;

- 686 737 F investis en valeurs mobilières (S.I.C.A.V.).

Une rente perpétuelle émise en 1970 pour 768 F figure dans notre dossier. Les faits suivants ressortent de l'enquête : Impossible d'exiger des intérêts sur ce titre après une période initiale de 5 ans (1975), donc tous les 5 ans notre société a fini par perdre son droit d'intérêt et d'intérêt sur ce titre, c'est-à-dire. h un montant d'environ 20 000 F. Reste le capital que ce titre représente aujourd'hui : 25 000 F. Suite à une demande de dissolution du titre déposée à l'automne, la somme correspondante sera versée à la société dans les prochains jours. Cette bonne nouvelle, et les mauvaises nouvelles qui l'accompagnent, soulignent la nécessité de rapports réguliers et précis sur la situation financière de notre entreprise.

Les comptes d'exploitation présentés par M. Olivier Millet sont approuvés à l'unanimité. Le Président donne la parole à M. Menant pour le rapport de la Revue d'Histoire Littéraire de la France.

3. M. Sylvain Menant, secrétaire général, directeur de la R.H.L.F.

Mesdames et Messieurs, chers collègues,

Le centenaire de notre revue, après la préparation d'un dossier de candidature pour une convention de quatre ans avec le C.N.R.S., a poussé la R.H.L.F. faire le point sur son activité et son orientation, accepter une

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important par rapport au grand nombre de décisions détaillées que vous devez prendre. Permettez-moi de vous résumer les principaux points.

Émanation de la Société d'histoire littéraire française, la R.H.L.F. Depuis sa création, elle poursuit des objectifs scientifiques constants qui restent pleinement valables dans le temps, quelle que soit l'évolution de la critique et de ses méthodes.

D'abord, fournir aux chercheurs les éléments d'une compréhension précise des œuvres littéraires de langue française dans leur contexte historique, tant au moment de leur émergence que dans leur devenir ultérieur. Cet objectif ne peut être atteint qu'au travers de méthodes différentes et complémentaires, qui seront définies et prises en compte au fur et à mesure par l'examen, depuis la biographie classique de l'auteur ou la recherche de sources jusqu'à l'enquête génétique, thématique, rhétorique ou de réception. Des approches non historiques de l'œuvre littéraire sont évidemment possibles et ont été régulièrement pratiquées (déjà par Lanson lui-même), mais leur pratique sort du cadre de la Revue. Les réactions subjectives n'y sont intégrées que comme autant de documents sur la réception datée des œuvres.

Deuxièmement, pouvoir prendre en compte en permanence les acquis de la recherche internationale. Comme la revue promeut une connaissance objective des mouvements, des auteurs, des œuvres et du public, les éléments révélés par le travail en commun constituent un point de départ essentiel, en constante mutation, qui constitue la base de chaque nouvelle œuvre. Ce point implique une exigence minutieuse de la part du Comité de lecture que les bases bibliographiques de chaque article soient absolument à jour (ce qui peut être vérifié par des bureaux d'études spécialisés). Cela inclut également la large place consacrée dans les pages de la revue à la partie véritablement documentaire : bibliographie annuelle de la littérature française rédigée à ce jour par M. René Rancoeur, qui occupe un double numéro (n. 3-4 ou n. 4 ) après une longue il y a quelque temps, j'avais produit une longue annexe pour chaque édition ; rapports très nombreux et pour la plupart très détaillés.

Troisièmement, pour éviter une division entre différentes périodes, la littérature française a la particularité d'une forte continuité de la Renaissance à nos jours. Ces objectifs expliquent dès le départ les choix éditoriaux : proposer au lecteur des articles qui ne se limitent pas à son propre domaine de recherche, mais englobent l'ensemble de la littérature française, privilégier les études au long cours, concilier des œuvres de différentes époques, sans exclure aucun genre. les échanges méthodologiques et documentaires entre groupes de spécialistes sont favorisés, les recherches de chaque époque s'enrichissent et se renouvellent, attirant l'attention sur des pratiques innovantes et des résultats d'autres époques.

Cette politique académique, souvent discutée et précisée dans les comités de lecture, ainsi que dans les colloques de la Société française d'histoire de la littérature, explique la force et les difficultés de notre publication.

C'est un outil de travail central et incomparable pour tous les chercheurs en littérature française, quelle que soit leur orientation critique. C'est pourquoi la R.H.L.F. il est présent dans toutes les grandes bibliothèques du monde, souvent complet à partir de zéro (les bibliothèques récentes ont acquis la réimpression, épuisée depuis toutes ces années). C'est une autre raison pour laquelle les abonnés forment un groupe extrêmement stable avec un taux de renouvellement supérieur à 90 %. Pour plus de la moitié, et pour la plupart des établissements, ces abonnés sont des étrangers. Le titre est connu, la fréquence des renvois à la revue est élevée, les demandes de reproductions

PROTOCOLE 1213

d'articles ou fragments d'articles sont très réguliers et proviennent d'éditeurs de tous pays.

Mais encore une fois, la largeur de champ du R.H.L.F. le met en concurrence avec les magazines les plus spécialisés dans tous les domaines ; et seul un lecteur hautement compétent peut vraiment tirer parti de la variété des études scientifiques présentées dans ses pages ; ce qui exclut, du moins pour une lecture régulière et complète, la part de plus en plus importante du public universitaire en France et à l'étranger, dont la spécialisation a été précoce. La vocation de la R.H.L.F. Comme il ne s'agit pas de diffusion, son contenu intégral n'est accessible qu'à un public restreint, averti et lecteur, bien que l'évitement de terminologies et d'abréviations très spécifiques pour les initiés permette la communication entre les différentes sphères du savoir. La R.H.L.F. interdit donc les gros cadeaux. Cependant, la recherche a montré qu'un nombre important d'institutions et de chercheurs constituent un vivier d'abonnés potentiels qu'il est possible de conquérir.

L'ambition de rendre compte de toutes les recherches sur toute la littérature française depuis la Renaissance impose une charge très lourde, tant dans le domaine bibliographique que dans celui de la révision. La distribution des publications dans tous les pays oblige R.H.L.F. consacrant une part croissante de ses pages à la documentation, au prix d'un effort important d'organisation, d'analyse, d'édition et de rapidité. D'autre part, à mesure que le champ s'élargit avec l'émergence de nouveaux champs d'étude, épuisant les écrivains du XXe siècle, champs annexés à la littérature par les recherches récentes, le nombre et la variété des articles devraient se poursuivre, sous peine d'être répandre et épousseter. Les suggestions de contributions ne manquent pas, mais il y a de la place.

Nous devons actuellement rejeter trois articles sur quatre ; nous pourrions en publier deux sur quatre sans sacrifier nos critères de précision si l'espace n'était pas limité. Nous aimerions également pouvoir solliciter des articles de chercheurs non inscrits, notamment pour un spécial annuel consacré à une question importante de l'histoire de la littérature à laquelle seul un concert de plusieurs spécialistes pourra répondre adéquatement. (comme la question de la traduction dans la littérature française). En revanche, on pourrait demander des critiques de nouveaux livres plus spécifiquement si l'on ne craignait pas de ne pas pouvoir publier à temps les critiques correspondantes faute de place. Cependant, nous avons perdu une part importante de la production, principalement celle publiée par des éditeurs généralistes au lieu d'éditeurs spécialisés dans les livres scientifiques ou académiques. Ces livres méritent souvent d'être connus, ou du moins analysés, car ils jouent un rôle non négligeable dans le façonnement de l'histoire littéraire contemporaine. Pour financer environ 150 pages supplémentaires à partir de 1996, nous avons décidé d'introduire une redevance spéciale pour les institutions (548 F au lieu de 398 F pour les particuliers) plutôt que d'utiliser la revue collectivement. Cette mesure légitime ne suffit pas et le soutien supplémentaire du C.N.R.S. c'est la vraie solution. C'est pourquoi nous avons présenté à cet organisme un plan de développement sur quatre ans basé sur un financement exceptionnel et une avance significative sur la modeste subvention que nous recevons actuellement. Le C.N.R.S. n'a pas pu s'engager cette année faute de ressources suffisantes ; Nous renouvellerons notre adhésion l'année prochaine,

Si on regarde un peu en arrière, on verra que dans quatre ans la R.H.L.F. aura publié un total de 4 486 pages de texte, avec une forte augmentation : 1 096 pages en 1992, mais 1 270 en 1995 (dont le numéro 6, sous presse). Cette augmentation correspond à une décision éditoriale d'assumer le risque de déséquilibre

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financièrement, pour mieux assurer les objectifs de la publication, notamment dans le domaine des revues. En 1992, nous avons publié 210 revues, mais en 1995, ce nombre est passé à 303. Des efforts particuliers sont faits pour mieux refléter la production internationale. A cet effet, les correspondants étrangers sont priés de fournir régulièrement des listes de publications dans leur langue ; Les éditeurs demandent des livres pour examen; Cette pratique très utile entraîne une augmentation du nombre de livres reçus. D'autre part, depuis 1994, le magazine a réussi à imprimer des critiques de presque tous les livres publiés l'année précédente. Cette vitesse, on le rappelle, a été atteinte grâce à un nouveau dispositif. Une équipe de quinze jeunes comptables bénévoles, pour la plupart de nouveaux médecins, a été recrutée ; Ils s'engagent à présenter brièvement les œuvres qui pourront être présentées dans un délai de trois mois. Après une demande écrite d'approbation, les relecteurs les plus spécialisés ne reçoivent que les livres qui nécessitent une relecture large et approfondie pour leur portée ou leur nouveauté. Ce système, qui fonctionne bien aujourd'hui, augmente encore le nombre de critiques publiées, car aucun livre n'est oublié par un critique occupé, comme c'était le cas pour un tiers des ouvrages dans le passé.

Notre Président vient d'indiquer que le successeur de M. René Rancoeur a été sécurisé dans les meilleures conditions possibles. Suite à une convention entre la Direction du livre du ministère de la Culture, la Bibliothèque nationale de France et la Société d'histoire de la littérature française, la création de la bibliographie de la littérature française a été confiée à un conservateur de la B.N.F. nommé à un poste spécialement créé à cet effet. C'est l'aboutissement d'une longue recherche de notre entreprise, poursuivie depuis des années à la demande de M. Rancoeur, qui, comme nous tous, aspire à la poursuite de son œuvre. Le résultat a finalement été obtenu grâce à la volonté éclairée de M. Dupuit, Directeur du Livre au Ministère de la Culture et Président du Centre National du Livre, à l'intervention de M. Marc Fumaroli et les deux rendez-vous cruciaux de l'été au cours desquels M. René Pomeau et moi vous présentons notre entreprise que nous représentons.

Avec sa forte audience internationale, son actualité, son haut niveau de contenu et la richesse de ses informations, notre revue se porte bien. Il doit beaucoup à ceux qui y travaillent bénévolement dans un climat de confiance et d'amitié : les membres des comités, les spécialistes consultés pour chaque manuscrit, les relecteurs, les secrétaires de rédaction, Mlle Bonfils et M Quero. Aux remerciements que je leur dois, je voudrais ajouter ceux que nous devons également à nos partenaires d'Armand Colin, en particulier à M. Richard de Sèze, dont le rôle dans la création de chaque édition joue un rôle important, et à Mme. Dusuzeau, qui prend sa retraite, nous quitte après avoir repris notre secrétariat sans grand effort pendant de nombreuses années.

M. René Pomeau, président, remercie M. Menant de son rapport et le félicite pour la "forte impulsion" qu'il donne à la R.H.L.F. Un échange de vues commence par le constat d'une légère baisse des abonnements individuels, notamment des abonnés français. Dans sa réponse, M. Menant précise qu'avec 2 000 abonnés, la R.H.L.F. garantit son équilibre et sa diffusion à l'étranger. Il convient également de noter que de nombreux membres de la Société ne sont pas abonnés. M. Pomeau suggère de poursuivre les créances irrécouvrables et éventuellement de reprendre les radiations. M. Menant a également informé la réunion des efforts déployés pour augmenter les abonnements des bibliothèques et des instituts.

Le rapport mis aux voix par M. Menant est approuvé à l'unanimité. Le Président donne la parole à M. Rancoeur d'expliquer la situation de la bibliographie de la littérature française,

PROCÈS-VERBAL 1215

4. Rapport de M. René Rancoeur sur la bibliographie de la littérature française

M. Rancoeur, qui travaille à la bibliographie depuis 1949, pose à nouveau le problème de sa succession. Après avoir discuté avec le directeur du département de la Bibliothèque nationale et défini le profil de la personne à embaucher pour ce successeur, il semble que la solution à ce problème soit en bonne voie. M. Rancoeur aidera à la transition, mais rappelle les difficultés d'analyse que pose actuellement le transfert d'ouvrages et de périodiques de l'ancienne Bibliothèque nationale vers la nouvelle.

Le président a rendu hommage au travail et à l'engagement de M. Rancœur. Avant de passer la parole à M. Pichois pour le reportage des correspondants de l'entreprise à l'étranger, a remercié les correspondants présents, qui se sont multipliés à chaque assemblée générale, pour le travail et le service rendus à l'entreprise.

5. M. Claude Picois, vice-président chargé des relations avec les correspondants

M. Pichois a d'abord présenté les membres assemblés aux correspondants présents : Mme. Gundersen (Norvège), Mme. Swahn (Suède), M. Kibédi-Varga (Pays-Bas), M. Nies, Ricken, Wehle (Allemagne), M. Frycer (République tchèque), M. Gorilovics (Hongrie), M. Beretta-Anguissola, Mme. Del Panta (Italie), Mme. Yllera (Espagne), M. Beugnon (Canada)

MM Krauss (Allemagne), Himmelsbach (Autriche), Van Buuren (Pays-Bas), qui n'ont pas pu assister à la réunion, avaient parlé à M. Picois les jours précédents. Mme. Nemeth a envoyé des informations de Hongrie. Les autres correspondants qui ne peuvent être présents figurent sur la liste des membres révoqués.

M. Picois informe l'Assemblée de la nomination de M. Alden (correspondant américain) en tant que chevalier de la Légion d'honneur. L'Assemblée félicite notre collègue.

Voilà – poursuit M, Picois – comment on fonctionne avec. Plusieurs fois par an, M. Alden nous envoie la liste des livres de littérature française publiés aux États-Unis. Nous recherchons les œuvres que nous avons déjà reçues et indiquons celles qui nous manquent et celles qui, selon nous, méritent d'être répertoriées. M. Alden et ses associés, MM Patty et Thomson, commandent alors les titres manquants aux éditeurs américains.

Deux autres systèmes ont été établis, l'un avec des correspondants allemands et l'autre avec des correspondants italiens. Ils diffèrent du système américain. En fait, tout le monde devrait pouvoir parler anglais. Avec l'allemand et l'italien, c'est différent : nous avons peu de comptables qui parlent ces langues. Il est également demandé aux correspondants : 1) de compléter la liste des articles reçus à la rédaction de la revue ; 2) indiquer la valeur relative de ces œuvres : sont-elles insignifiantes, méritent-elles une revue détaillée ou succincte ? 3) nous suggérer des noms de relecteurs allemands ou italiens pouvant rédiger des rapports ou des critiques en français. Cette pratique demande beaucoup d'engagement de la part de nos collègues à l'étranger et je vous remercie au nom de l'entreprise pour le soutien efficace qu'ils nous apportent.

Ce système, qui fonctionne avec l'Allemagne et l'Italie, peut et doit être étendu à d'autres langues occidentales. La Russie semble désormais aussi lointaine qu'avant la dissolution de l'URSS.

1216 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

M. Pichois suggère que la réunion du Conseil d'administration lors de l'assemblée générale de la Société n'ait pas lieu immédiatement après l'AG pour permettre le dialogue avec les Correspondants présents. Il passe ensuite la parole à M. Kibédi Varga, qui veut parler d'étudier le français aux Pays-Bas.

M. Kibédi Varga rapporte que si la littérature française est enseignée en français aux Pays-Bas, elle est de plus en plus discutée en néerlandais. En 1994, il y eut trois colloques, à Groningen sur Lacan et la littérature française, à Utrecht sur la stylistique, à Amsterdam sur la littérature comparée française et américaine. Il y avait des ouvrages sur Proust et Madame de Charrière. Enfin, M. Kibédi Varga pointe du doigt la multiplication des traductions d'écrivains français aux Pays-Bas ; Baudelaire et Maurice Scève récemment.

M. Pichois complète cela en pointant cette année deux éditions des Fleurs du Mal en néerlandais et une du Spleen de Paris, selon une communication de M. Van Buuren.

M. Pomeau informe l'assemblée que l'une des correspondantes de la Société chinoise, Mme. Meng Hua, vient de publier une étude en chinois sur Voltaire et Confucius. Une traduction est souhaitée.

M. Pomeau a remercié M. Picois les relations qu'il noue avec tous les correspondants. La parole a été donnée à Mme. Ambrière pour présenter les activités prévues de l'entreprise pour 1996.

6. Présentation de Mme. Madeleine Ambrière sur les projets d'activités 1996

Aucune table ronde n'est prévue pour 1996. Plusieurs thèmes commémoratifs sont possibles pour le Colloque de novembre : Descartes (né en 1596) ; centenaire de la mort de Verlaine ; 100e anniversaire d'André Breton. L'Assemblée souscrit à l'idée d'un colloque sur un thème général important ; le choix se porte sur ce colloque de novembre 1996 sur les problèmes de traduction. M. Niess suggère d'élargir le sujet : Échange international d'idées et problèmes de traduction dans ce domaine. M. Fumaroli intervient également. Un rapport plus détaillé sur l'organisation et le contenu de ce symposium sera présenté à la réunion du Conseil de juin 1996.

Pour commémorer le bicentenaire d'Alfred de Vigny, Mme. Ambrière veut organiser un colloque ou une table ronde en 1997. Il demande des suggestions et des suggestions.

A terme (1999), le colloque prévu par M. Hofer sur Louis-Sébastien Mercier [voir procès-verbal de la séance du Conseil du 10 juin 1994] demeure d'intérêt pour l'Assemblée.

M. Pomeau agradece a Sra. Ambrière.

7. Renouvellement partiel du Conseil d'administration

L'élection s'ouvre à nouveau, puis le Président proclame le résultat du vote. Huit postes devaient être pourvus. 127 électeurs. Sont réélues : Mme. Callu, MM Autrand, Céard, Citron, Leading, Picois, Rancor, Zuber.

Comme il n'y a plus de questions, l'ordre du jour est épuisé.

La séance s'est terminée à 11h25.

Le Président, R. POMEAU

Le secrétaire, R. VIROLLE

CONSEIL D'ADMINISTRATION

Séance du 17 novembre 1995

Le conseil d'administration de la Société d'histoire de la littérature en France s'est réuni le vendredi 17 novembre 1995 à 11 h 45 à la Sorbonne, salle Louis Liard, sous la présidence de M. René Pomeau, membre de l'Institut, président de la entreprises

Etaient présents : Frau et MM. Ambrière, Bénichou, Callu, Coulet, Delon, Duchet, Fumaroli, Huchon, Menant, Mervaud, Michel, Millet, Milner, Picois, Pierrot ; Pomeau, Rancor, Roussel, Virolle, Zuber. Excusez-moi : M. Autrand, Céard, Citron, Frau Meininger.

1. Lecture et approbation du procès-verbal de la réunion du conseil d'administration du 9 juin 1995.

2. Approbation, en l'absence d'intéressés, du remboursement de frais accordé à certains membres du Bureau.

3. Renouvellement du Conseil : Le Conseil sera renouvelé dans sa composition actuelle.

4. Membres honoraires de la Société : M. Pomeau rappelle le décès récent de plusieurs membres honoraires (M. Austin, Balmas, Perrod, Brunois). Après un échange de vues sur diverses propositions de nouveaux membres, le Conseil a retenu M. Terence Cave (Oxford) et M. De Nardis (Rome).

M. Pomeau enverra une lettre à MM. Cave et De Nardis.

5. Correspondants : L'entreprise en veut un. Correspondant en Pologne. M. Duchet précise que la société n'a plus de correspondant en Israël ; le Conseil décide de poursuivre l'examen de cette question. De plus, le conseil accepte que M. Duchet prend contact avec des correspondants potentiels lors de sa visite dans les universités marocaines.

6. Proposition de nouveaux membres : Mme. Ambrière informe le Bureau qu'il a reçu à ce jour 3 réponses sur les 28 propositions qu'il a soumises suite aux précédentes réunions du Bureau. Le chef de MM Picchois, Duchet et, dans des lettres au Conseil, deux autres membres ont proposé les noms de huit nouveaux membres possibles.

7. Divers : Le Conseil est unanimement d'accord avec M. Menant d'accorder à Mrs. Dusuzeau une prime de retraite après 12 ans de service à la R.H.L.F.

N'ayant plus rien à discuter, la séance est levée à 12h30.

Président,

R. POMEAU

Le secrétaire, R. VIROLLE

APERÇU DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE FRANÇAISE (96e Ann.) XCVI 39

CONTINUER

Réflexions sur le classicisme, la littérature et la société française au XVIIe siècle

Le classicisme est un art social. La société est composée de la cour et de la ville, dont les goûts se complètent, mais diffèrent. La littérature se lit, mais surtout se voit et se discute, à la cour et dans les fêtes, mais plus encore au théâtre, à l'église et dans les salons ; Le classicisme accorde donc aux femmes une place importante. L'image que le classicisme a aujourd'hui dans les manuels scolaires est erronée dans la mesure où ils insistent presque exclusivement sur des textes sans leur contexte social, si différent du nôtre.

ARON KIBEDI VARGA.

Psyché découvre Cupidon :

consignes symboliques d'un épisode,

de La Roche a La Fontaine

Partant du double constat que la scène dans laquelle Psyché contemple l'Amour endormi est l'une des plus marquantes, tant par son intensité émotionnelle que par ses connotations symboliques, et celle de La Fontaine dans sa relecture de la fable des Pouilles traitée avec une certaine indifférence , le déformant par une intervention de la figure du narrateur-auteur, l'article entend interroger le traitement de cet épisode en trois versions narratives, en vers ou en prose, antérieures à celle du fabuliste. Cette mise en perspective permet d'apprécier l'originalité et la portée d'une telle rupture dans l'équilibre narratif : La Fontaine s'éloigne de la tradition pessimiste incarnée par le poète La Roque dans sa « Fable de Psiché » (1595) et s'éloigne de celle allégorique tradition partialité de P Joulet dans Les Amours spirituelles de Psiché (1600), et rejette enfin l'émotion facile explorée par Puget de La Serre dans "Les Amours de Cupidon et de Psiché" (1624). Se concentrant davantage sur des réflexions à caractère poétique, son traitement renouvelle complètement le sens symbolique de la découverte de l'amour.

Edwig Keller.

SOMMAIRE 1219

Wit in Arlequin poli par Love and The Dispute

Arlequim Polido pelo Amor et A Disputa sont des utopies d'ingéniosité, non d'innocence : la vanité s'y révèle inséparablement de l'éveil de l'être à soi, bien sûr, les naïfs l'ignorent. des sensibilités qui empêchent les célébrités d'exprimer leur désir, mais la transparence de leur langage révèle en réalité - comme chez les hommes du monde réel dans Le Cabinet du Philosophe - l'ambiguïté fondamentale d'une conscience de soi qui n'est jamais pure (pour) lui-même, puisque qui est composé de l'autre.

Si les deux pièces tracent un processus d'acculturation, le principe est tout autre : Arlequin, poli par l'amour, confronte l'amour à un obstacle extérieur, La Dispute met en jeu la dynamique interne de l'impermanence en associant le pôle féminin et le pôle masculin de soi -la conscience, générant deux modes d'action du désir qui déterminent le rapport de force entre les sexes.

Cécile Cavillac.

Nœuds linguistiques dans les lettres d'un Péruvien

Si la plupart des études publiées aujourd'hui sur le roman de Madame de Grafigny traitent de la question du statut et de l'éducation des femmes dans la société, le XVIIIe siècle s'est beaucoup intéressé au sujet des quipos, qui, comme dans les lettres d'une Péruvienne, apparaît, la transmission d'idées à caractère largement anthropologique est appropriée. Notre étude tente de montrer que, surtout, une réflexion sur le langage se développe autour des quipus. Grâce à leur valeur métaphorique, aux situations qu'elles évoquent dans l'intrigue et à la particularité qu'elles représentent en tant que système de signes, les cordes nouées sont liées à l'essentiel des expériences vécues par l'héroïne : apprendre une langue, apprendre un monde et dominer. de la critique. discours. Ainsi, on voit comment ce roman fait écho et complète le grand débat qui a animé le XVIIIe siècle sur la question de l'origine et de la transparence du langage.

FRANÇOIS ROSSET

La lettre apparaît dans les discussions

à l'Assemblée nationale constituante (Du préjugé social à la citoyenneté restreinte)

Lors du débat sur le suffrage de décembre 1789, les électeurs sont confrontés à la fois aux espoirs des minorités, exclus de l'ancien et du nouveau régime, et à leurs propres préjugés. Victimes de préjugés persistants, certaines catégories de Français voient leurs droits restreints ; Les acteurs en font partie.

La lettre sur les lunettes constitue le cœur du processus de plainte que le parti hostile aux acteurs présente à l'Assemblée nationale. De ce texte il tire la plupart de ses arguments. Au nom de la moralité et au mépris de la loi, le parti bien intentionné n'autorise qu'une citoyenneté limitée aux personnes travaillant dans l'industrie du divertissement. Le décret du 24 décembre 1789 justifiait ce terrible procès ; Les acteurs sont désormais de véritables citoyens.

RENÉ TARÍN.

1220 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

Du code civil au code pénal : une revue de Villiersche de Stendhal

Du point de vue historico-littéraire et répondant à une question des critiques de Stendhal, cet article entend montrer, à partir de l'analyse d'une des atrocités du Comte de Villiers de l'Isle-Adam - "L'Invité de la dernière Feste" - comment s'exerce de manière décisive ce que « j'aurais appelé l'influence » de Stendhal, mais plus que cela, il propose d'analyser l'intertextualité comme un travail de réécriture qui appartient précisément à la poétique de l'hypertexte en question (dans la terminologie de Genette) sans la effet inévitable d'une lecture négligente, qui affecte le modèle hypothétique : « le petit côté de Villiers de Stendhal ». Ainsi, il faut gagner, même avec une enquête restreinte, pour mieux comprendre la relation nécessaire de deux voix qui partagent pourtant des esthétiques très différentes.

BERTRAND VIBERT.

Eine Ironiestudie en Mallarmés Sacred Pleasure

Les concerts dominicaux dirigés par Charles Lamoureux jouissaient d'un immense prestige à la fin du XIXe siècle et donnaient parfois l'impression d'une grande liturgie collective. Ce prestige presque religieux de ces célèbres concerts est dû en grande partie à l'interprétation exubérante des œuvres de Richard Wagner, accueillie avec enthousiasme par le public français. Dans Plaisir sacré, essai critique de 1891, Mallarmé joue sur tous les registres de l'ironie pour rendre un hommage douteux à Wagner et dévaloriser la fonction socio-religieuse des concertos de Lamoureux. Or, cet élément subversif de l'ironie est intimement lié aux rêves humanitaires et utopiques dont le poète avait longtemps rêvé : pour désacraliser le culte de la musique par une dérision insidieuse, il cherche à ouvrir la voie pour couronner un autel de poésie.

JAN MARGARET MITCHELL.

« Son nom se mêle au sien » : la première lettre connue de Mallarmé à Sarah Helen Whitman

Sarah Helen Whitman, brièvement fiancée à Edgar Allan Poe, était son avocate, aussi efficace qu'humble. Stéphane Mallarmé, d'une quarantaine d'années son cadet, adorait Poe depuis sa jeunesse. Madame Whitman servait en quelque sorte de lien vivant entre Mallarmé et le poète américain, dont il vénérait et admirait le génie comme son célèbre prédécesseur Baudelaire. Cet article relate les circonstances de la première lettre adressée à l'Américain par Mallarmé, présente le texte du document autographe (le texte contenu dans la correspondance Mondor-Austin est une traduction française des versions anglaises du destinataire), catégorise la lettre et les correspondant sur les projets textes littéraires et relations de Mallarmé.

DAVID DEGENER.

CONTENTE

compris dans la quatre-vingt-seizième année

en dehors de

Revue d'histoire littéraire de France

Article

BONY (J.), Musset et les formes poétiques... 483

BRAY (B.), premier lecteur, premier admirateur : Cousin Bussy-Rabutin 366

BURY (E.), Madame de Sévigné in siglo XIX: Sainte-Beuve e consortes 446

CAVILLAC (C), esprit en arlequin, poli par l'amour et la lutte 1084

CAZAURAN (n.), Les déviants de l'Heptaméron et leur "nouvelle" 879

CAZENOBE (C), L'histoire de Madame de Montbrillant : un laboratoire de formes

romantique 229

CHARTE (R.), George Dandin, ou, La leçon de courtoisie... 475

COTONI (M.-H.), Les migrations de deux néophytes dans le monde : La Vallée

un méicour 45

DEGENER (D.), "Votre nom se mêle au sien" : la première lettre connue de

Mallarmé et Sarah Helen Whitman 1166

DROIXHE (D.), "Voici un livre dit avoir été imprimé à Liège": le Codex Naturel

De Morelly 943

DUCHÊNE (R.), Metamorfose 359

DUCHÊNE (dcha.), Madame de Sévigné, figura romana em La Recherche du

temps perdu 461

FARCHADI (A.), Le silence de la mer, ou l'humeur sensuelle... 983

FEINSILBER (A.) y CORP (E.), Crébillon fils y Marie-Henriette Stafford, historia

Anglais. Dans une lettre inédite du 21

FINN (M.-R.), Proust et le roman du neurasthénique 266

GEORGES (A.), L'appel de Polyeucte et de Néarque au martyre 192

GRASSI (M.-C.),. Naissance d'un nouveau modèle : l'apparition de Madame de

Sévigné et Briefhandbüchern 378

HAROCHE-BOUZINAC (G,), Voltaire : louange en contrepoint 394

HARTMANN (P.), Bildung und Entfremdung in Les Égarements du coeur et de l'esprit 71

HUET (J.-Y.), Madame de Sévigné en Angleterre : Walpole et Madame du Deffand 404

HUNWICK (A.), Tragédie et dramaturgie : ambiguïtés dans l'Antigone d'Anouilh 290 JURANVILLE (F.), Un apprenti roman au XVIIIe siècle : écriture gaie et savoir

dans Freaks of the Heart and Mind 98

KELLER (E.), Psyché découvre Cupidon : Signification symbolique d'un épisode, de

La Roque à La Fontaine 1069

KIBEDI VARGA (A.), Réflexions sur le classicisme français : littérature et société

au 17ème siècle 1063

LAFORGUE (P.), Baudelaire, Hugo et le royaume des poètes : le romantisme 1860 966

MARX (J.), Verhaeren et France 246

MITCHELL (J.-M;), A Study of Irony en Mallarmés Sacred Pleasure 1144

PLACECELLA SOMMELLA (P.), Madame de Sévigné en italien

1222 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

POMMIER (R.), Sur une clé d'Amphytrion 212

ROBINSON (PH.), Notes sur Comedy Jacks et Fair 934

ROSSET (F.), Les nœuds du langage dans les lettres d'un Péruvien 1106

ROULIN (J.-M.), Le grand siècle futur : Voltaire, de la prophétie épique à

faire l'histoire 918

SGARD (J.), Catálogo de Werke von Claude Crébillon 3

TARIN (R.) La lettre apparaît dans les débats de l'Assemblée nationale

composant, 1128

VIART (T.), Le Sylphe ou les lumières d'une allégorie 111

VIBERT (B.), Du Code civil au Code pénal : une réécriture villierienne de Stendhal 1137 VIENNOT (É.), Sur la Saint-Barthélemy et les Mémoires de Marguerite

de Valois : Authenticité du texte et réception au XVIIe siècle 894

notices et documents

INGUENAUD (M.-TH.), Nicolas-Antoine Boullanger, encyclopédiste et ingénieur de

Routes et Ponts, Documents Inédits 990

LEI (F.), La Valérie romaine jugée par Goethe, Jean-Paul et Sophie Laroche 313

rapports

Actes du XXVe colloque de la North American Society for Seventeenth-Century

Littérature française: «Pierre Charron», Lexington, mars 1993 (M. ESCOLA) ... 1189

ALBERTAN-COPPOLA (S.), Abbé Prévost, Manon Lescaut (F. MARCHAL) 327

ALCOLOUMBRE (T.), Mallarmé, la poétique du théâtre et de l'écriture (P. LAFORGUE) 1047

ALMAS (D.) e BANCIU (A.), Voltaire der Historiker (Historien voltarien) (I. DIENSTAG) 1029

animalité. Hommes et animaux dans la littérature française (P. ALEXANDRE) 530

Annales, numéro spécial "Literatura e Historia", mars-avril 1994 (M. ESCOLA) 138

ARICO (S. L.), El arte de la persuasion de Rousseau en La Nouvelle Héloïse (P. LEFEBVRE) 506 Antoine Arnaud. Drei Studien de J.-R. Armogathe, J. Lesaulnier e D. Moreau

(ÉCOLE M.) 1185

AUBIGNÉ (A. D'), Les Tragiques, hrsg. F. Lestringant (R. CRESCENZO) 134

AUBIGNE (A. D'), História Universal, IX (R. CRESCENZO) 1021

AUDIBERTI (J.), Le mur du fond. Écrits sur le cinéma (B. VOUILLOUX) 1056

Revue australienne d'études françaises : "Reform Studies", sept.-déc.

1994 (D. BJAÏ)

Babylone en Poitou. Agrippa d'Aubigné et le multilinguisme (R. CRESCENZO) 1022

BAILBÉ (J.), Agrippa d'Aubigné (R. CRESCENZO) 134

BAILBÉ (J.), Saint-Amant y la Normandía literaria (B. DONNE) 321

BALZAC (H. DE), Sarrasine, Gambara, Massimilla Doni, éditeurs. P. Brunel (CH. DÉDÉYAN)

DEDEYAN)

BALZAC (H. DE), Lettres à Madame Hanska, éd. R. Pierrot (I. TOURNIER)

Balzac, Hrsg. M. Tilby (P. Berthier) 1201

BANVILLE (TH. DE), Œuvres poétiques complètes, III (P. LAFORGUE) 1040

BARBEY D'AUREVILLY, Un conte sans nom, édité par M. Miotti (D. PERNOT)

BARBEY D'AUREVILLY, 15: "Auf Stil" (D. PERNOT) 1044

BASILIO (K.), Mécanique et vie. Métonymie chez Zola (J. NOIRAY) 153

BAYARD (P.), Maupassant, peu avant Freud (CH. DOUMET) 516

BEAUJEU (C. DE), Entouré de silence... Poèmes sélectionnés et édités par G. Mathieu Castellani

Mathieu Castellani BJAÏ) 133

(Video) La Littérature, pour quoi faire ? - Antoine Compagnon (2006)

BERMAN (A.), Pour une critique des traductions : John Donne (L. D'HULST) 348

BERTRAND (D.), Dire rire à l'époque classique (J. EMELINA) 138

BERTRAND (J.-P.) et al., Ou roman unique (D. PETY) 1050

BETTS (CH.), Montesquieu, Cartas Persas (F. MARCHAL) 1028

BEUGNOT (B.), La mémoire du texte. Essai de Poétique Classique (M. ESCOLA) 501

BISSIRI (M.), Fils Fidèles et Fils Prodigue d'Europe (M.-A. GRAFF) 528

Corps et texte au XVIIIe siècle, p.p. V. Kelly et D. von Mücke (B.

TOUITOU) 146

BOLSTER (R.), Stendhal, Le Rouge et le Noir (M. REID) 510

BONZON (A.), Racine et Heidegger (B. LOUVAT) 1187

BORIAUD (J.-Y.), Littérature française du XVIe siècle (D. BJAÏ) 123

BRODY (J.), Palestras de La Fontaine (B. DONNE) 322

INDEX 1223

BRUSH (C. B.), De la perspective à soi, Autoportrait de Montaigne (J.

REBEN) 128

Cahiers de littérature populaire, n° 15 (P. LAFORGUE)

CALVIN, Œuvres choisies, éd. O. Millet (D.BJAI)

CAROFIGLIO (V.), Honoré de Balzac. Vieillards dans le labyrinthe du roman (P. BERTHIER) 509 CÉARD (H.), Une belle journée. D'autre part, Hg. R.-P. Coline (m.

NIP) 156

CENDRARS (B.), Eubage aux antipodes de l'unité, hrsg. J.-C. Fluckiger (D.

Alexandre) 517

CENDRARS (B.), Vie et mort du soldat inconnu, éd. J.Traschel (D.

Alexandre) 517

CHALLE (R.), mémoires. Correspondance complète. Reportages sur l'Acadie et autres

Pièces, éditeurs F. Deloffre et J. Popin (G. ARTIGAS MENANT) 1188

CHARBONNEAU (à droite), la France et nous. Journal d'un combat (S. VACHON) ..... 525

Isabelle de Charrière (Belle de Zuylen), S. P. Y. Went-Daoust (G. SAMSON) 1199

Une Européenne : Isabelle de Charrière dans son siècle, Actes de la Conférence de Neuchâtel,

Neuchâtel, 1993 (G. SAMSON) 148

CHAUVEAU (J.-P.) e COLLINET (J.-P.), Jean de La Fontaine. Zwei Ansätze zu

l'œuvre (B.DONNEES) 1184

CHENET-FAUGERAS (F.), Les Miserables ou "Bottomless Space". (P. LAFORGUE) 1035

CHEVREL (Y.), Literaturrecherche (M. ESCOLA) 166

CHOMARAT (J.), Paroles et croyances (Présence du latin, II) (R. CRESCENZO) 124

CLARK (H.C), La Rochefoucauld et le langage d'exposition au XVIIe siècle

XVIIe siècle (ÉCOLE M.) 503

CLAUDEL (P.), Travaux diplomatiques. Ambassadeur aux États-Unis, 1927-1933 (p.

Alexandre) 524

CLAUDEL (P.), Supplément aux Œuvres Complètes, III (P. ALEXANDRE) ............ 525

COLEMAN (D.), Montaigne, quelques vieillards et l'écriture (R. CRESCENZO) 1019

COLLET (A.), Catalogue des livres du XVIe siècle. conservé dans l'ancienne collection

Gemeinde Montbrisori, Bibliothèque Diana (R. CRESCENZO) 123

COLLET (A.), Alexandre Dumas e Nápoles (P. BERTHIER) 151

COLONNA (F.), El sueño del polifilo, éd. J. Polizzi (D.BJAI) 122

CONLON (P.M.), Le Siècle des Lumières, t. XIII e XIV (N. MASSON) 328

CONSTANT (B.), Oeuvres Complètes. Écrits littéraires (1800-1813) (P. BERTHIER) 1199

CORDLE (T.R.), André Gide, édition mise à jour (A. GOULET) 162

Correspondência inédita de A. von Lamartine, editor C Croisille (P. BERTHIER) 508

COUTON (G.), chair et âme. Louis XIV entre ses amants et Bossuet (b.

DONNÉ) 324

CRYLE (P.), Géométrie sur la coiffeuse. Configuration du récit érotique français (B.

Tourru) 146

CYRANO DE BERGERAC, La Mort d'Agrippine, éd. D. Moncond'huy (B. LOUVAT) 1024 DALLA VALLE (D.), Aspects pastoraux dans l'italianisme du XVIIe siècle (B.

Chevalier) 141

DEFAUX (G,), Le poète dans son jardin (R. POMEAU) 1176

DELAISEMENT (G.), A modernidade de Maupassant (D. PERNOT) ... 1049

DESGRAVES (L.), Inventaire des collections Montaigne à Bordeaux (R. CRESCENZO), 1020

DEMARETS DE SAINT-SORLIN, Los videntes, ed. G. Pasillo (B. LOUVAT) 1023

DES PERJERS (B.), Le Cymbalum mundi, éd. Y. Délégué (D. BJAI)

DETEMPLE (S.), Voltaire, les travaux : pour le tricentenaire (N. MASSON) 329

DE VOS (W.), Le singe dans le miroir. Emprunt de texte et rédaction scientifique en

Comic-Romane von Charles Sorel (B. DONNÉ) 322

La dignité de l'homme, Actes de la conférence de la Sorbonne, novembre 1992, pp. 1992 ;

P. Magnard (J. VIGNES) 130

DISCANNO (T.), Villiers de L'Isle-Adam et os limites do humano (D. PERNOT) 154

Merveilleux discours sur la vie, l'oeuvre et la conduite de Catherine de Médicis,

Royne-Mère, Hrsg. N. Cazauran et ai. (D. BJAI) 1020

"La diversité, c'est ma devise". Études de littérature française du XVIIe siècle

século 324

DOIRON (N.), L'art de voyager : déplacement à l'époque classique (S. REQUEMORA)

RÉCLAMATION)

1224 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

Dom Carlos et autres histoires de France du XVIIe siècle, éd. R. Guichemerre (B.

Chevalier) 144

DONAT (C), Entre réforme et révolte (S. MICHAUD) 334

DÖRING (ci-dessous), Antoine Furetière. Réception et usine (M. ESCOLA) 1183

you bella Ancien et Nouveau Mondes dans les collections romaines (D. BJAÏ) .. 1016

DUBOIS (C.-G.), Le baroque en Europe et en France (F. GALTAYRIES) 1025

DUCHÊNE (R.), Das Unmögliche Marcel Proust (L. FRAISSE) 518

DUCHÊNE (R.), Sehr geehrte Madame de Sévigné... (B. DADO) 1184

Sur le goût, la conversation et les femmes, S. A. Montandon (M. ESCOLA) .. 141

DUMAS Vater (A.), La corte del rey Petaud, hrsg. F. Bassan (P. Berthier)

L'École des Lettres, II, Nº 12 : „Maupassant 1“ ; Nº 13 : „Maupassant II. Hmm

du Horla“ (D. PERNOT) 154

Essai de lecture. Livres et lecteurs dans le roman de l'Ancien Régime (J.

rouille) 1196

ESPIAU DE LA MAESTRE (A.), Paul Claudel „bibliste“ et sesphetes (J.-N.

SAISIE) 161

Études rabelaisiennes, XXX (D. BJAÏ) 496

Études du 18ème, 22ème siècle (F. MARÇO) 332

Le Fablier, nº 6 (M. ESCOLA) 1184

FARGUE (L.-P.), Trente lettres à Bécat, éditeurs. M. Saillet (C. DOUMET)

FENELON, Les Aventures de Télémaque, éd. J. Le Bran (ÉCOLE M.) 504

FERGUSON (P. P.), Paris comme révolution, Écrire la ville du XIXe siècle (M. REID) 1052

Figures, nº 1 1 : L'ange romantique (M. REID) 509

FLAUBERT (G.), Plans et Paysages de Madame Bovary, éd. Y. Leclerc (R. DEBRAYGENETTE)

DEBRAYGENETTE)

FLAUBERT (G.), A Louis Bouilhet, p. A. Raitt (M. REID) 1043

FLECK (S.H.), musique, danse et rire. Création comique dans les ComedyBallets de Molière

Comédie Ballets LOUVAT) 143

FONYI (A.), lire, écrire, analyser. Littérature dans la pratique psychanalytique

(M. MILNER) 167

FORESTIER (G.), Essai sur la génétique théâtrale, Corneille au travail (R. ZUBER) ... 1181

FREEMAN (E.), Rostand, Cyrano de Bergerac (M. REID) 517

Fusco (R.), Maupassant et ou récit américain (D. PERNOT) 155

GARAVINI (F.), Routes à Montaigne. Jeux de texte (J. VIGNES) 128

GAUTIER (TH.), Correspondance générale, IX, éd. C. Lacoste-Veysseyre (P. BERTHIER) 510

GENETTE (G.), L'œuvre d'art. Immanence et Transcendance (G. DESSONS) 1202

GHELDERODE (M. DE), correspondance, t. IV (J. BLANCART-CASSOU) 1053

GIDE (A.) et BECK (C), Correspondance, éds. P. Masson (A. GOULET) 162

GOBLOT (J.-J.), Jeune France libérale, El Globo et son groupe littéraire (P.

MICHEL) 333

GOLDBERG MOSES (C.) et WAHL (L.), Féminisme, socialisme et romantisme français

(P. LAFORGUE) 1039

GORDON (D.), Citoyens sans souveraineté (R. YENNAH) 508

GORUPPI (T.), Images du Rédempteur en français du XIXe siècle (D. PERNOT) 1048

GRASSI (M.-C), L'art d'écrire à la Nouvelle Héloïse et à l'époque romantique (J. CHERY-SOBOLEWSKI) 332

GRAUBY (F.), La création mythique à l'âge du symbolisme (R. LLOYD) 339

GRIMM (J.), Le pouvoir des fables. Études Lafontaine I (B. DONNE) 323

GUNN (J.A.W.), reine du monde : opinion dans la vie publique française

de la Renaissance à la Révolution (D. MASSEAU) 1027

HACKETT (C.A.), L'écrivain et son autre soi (M. REID) 351

HADDAD-WOTLING (K.), L'illusion qui nous frappe (F. DURAND) 1053

HALLYN (F.), Le sens des formes. Etudes sur la Renaissance (R. CRESCENZO) ... 124

HALSALL (A.W.), Victor Hugo et l'Art de Persuasion (P. LAFORGUE) 1037

Hammond (N.), Jouer avec la vérité. Langage et condition humaine en Pascal

Pensées (ÉCOLE M.) 1185

HODGSON (R.G), mensonge camouflé. Le démasquage de la vérité à La Rochefoucauld

(ÉCOLE M.) 1187

Hommage à Paul Bénichou, p.p. S. Romanowski et M. Bilezikian (ÉCOLE M.) .. 500 Hommage à Madeleine Neveu et Catherine Fradonnet, Dames des Rochers de

Poitiers (D.BJAI) 1017

Horreur et abomination dans la prose française du XIXe siècle (D. PERNOT) 1045

INDEX 1225

HOWELLS (R.), Deficient Powers: A Reading of Voltaire's Tales (CH. MERVAUD) 506

Victor Hugo et l'Europe de la Pensée (P. LAFORGUE) 1038

HULLIUNG (M.), L'autocritique des Lumières (R. YENNAH) 507

HUTTON (J. G.), Le néo-impressionnisme et la recherche du sol ferme (D. PERNOT) 342 L'Insularité. thèmes et spectacles. Annales du Colloque de Saint-Denis

Ile de la Réunion (M.-A. GRAFF) 352

JACQUET-PFAU (J.), Corpus d'enquêtes, 1900-1930, t. 1 (M. AUTRAND) .......... 521

JOHNSON (E.A.), Savoir et société, une épistémologie sociale de Montaigne.

Essais (J. VIGNES) 128

JOURDE (P.), L'esprit du silence. De la décadence (D. PERNOT) 340

KÉCHICHIAN (P.), L'usage de l'éternité. Essai sur Ernst Hallo (D. PERNOT) .. 157

KELLER (B. G.), Le Moyen Âge Repensé (P. BERTHIER) 149

KRELL (J. F.), Elemental Tournier (P. ALEXANDRE), 527

LACLOS, Dangerous Liaisons, Ed. Y. Le Hir (F. MARCHAL) 1031

LAMBERTZ (S.), Une "Lettre" dans le "Second Reich" (D. PERNOT).

LAUREAU (P.), A la découverte de l'Amérique, hrsg. R. Carocci (R. VIROLLE) 1198

LAZARD (M.), Pierre de Bourdeille, Herr von Brantôme (R. CRESCENZO) — 137

LEMIRE (L.), Malraux. Antibiografia (M.-F. GUYARD) 526

LERY (J. DE), Histoire d'un voyage en terres brésiliennes, éd. F. Lestringens

(D. BJAÏ)

LESCHEMELLE (P.), Montaigne, o vilão da farsa (R. CRESCENZO) 1017

LEVILLAIN (H.), Die Prinzessin von Kleve von Madame de La Fayette (B. LOUVAT) 144 LÉVY-BERTHERAT (A.-D-), Der romantic Kunstgriff. Byron et Baudelaire (P. LAFORGUE) 1040

LINE (CH.-J. DE), Una mirada a Beloeil, ed. B. Guy (C. LE MEUR) 1031

LINGUA (C), Ces anges du bizarre. Découvrez une aventure esthétique

Dekadenz (B, VOUILLOUX) 159

Littérature classique, nº 22 : La vision du monde au XVIIe siècle (M. ESCOLA) 501

Littérature classique, n° 24 : Satire en vers au XVIIe siècle (B. DONNE) .. 325

Littérature classique, n° 25 : L'irrationnel au XVIIe siècle (M. ESCOLA) 1179

LOMBARDI (M.), Procédé pour le Théâtre (B. LOUVAT) 1180

LOSSE (D.N.), Échantillon du livre. Prologues de la Renaissance et les Conteurs français

(D. BJAÏ)

LOUYS (P.), DETINAN (J.), Correspondência, hrsg. J.-P. Goujon (D. PERNOT) 1052

LINCH (L.), Júlio Verne (D. PERNOT) 156

MAGRI (V.), La parole de l'autre. À travers quatre récits de voyage à travers l'Orient

(M. REID) 1043

MAINGON (C.), la médecine dans l'oeuvre de J.-K. Huysmans (D. PERNOT) ..... 158 Marguerite de France, Reine de Navarre et son Temps, Acte de la Conférence d'Agen,

Dehors. 1991 (R. CRESCENZO)

Jacques Maritain antes da modernidade (J. GUÉRIN) 524

MARIVAUX, Le Bilboquet, Hrsg. F.Rubellin (C.BONFILS) 1191

MAUZI (R.), Maintenant je suis mon chemin... (M. DELON) 147

Mezclas a la obra de Paul Bénichou (M.-A. GRAFF) 352

MERCIER-CAMPICHE (au centre), retouche du portrait du jeune André Gide (A. GOULET) 162

MESCHONNIC (H.), Politique du rythme, politique du sujet (R. NAVARRI) 345

MICHEL (P.), Die Kämpfe von Octave Mirbeau (D. PERNOT) 1046

MICHAUD (G.), Le symbolisme lui-même (R. LLOYD) 339

MILLET (O.), Calvin et la dynamique du langage (M. MAGNIEN) 318

MTRBEAU (O.), Chroniques du Diable, éd. P.Michel (D.PERNOT) 157

MIRBEAU (O.), Drôle d'amour. Mariage à Paris, éd. P. Michel (D. PERNOT) 1046

MONNEYRON.(F.), Le romantique androgyne (D. PERNOT) 150

Montaigne et la rhétorique, Actes de la Conférence de St. Andrews, mars 1992 (R.

CROISSANCE) 1018

Montaigne et l'histoire des Hélène, Actes de la Conférence de Lesbos, septembre 1992,

pages K. Christodoulou (J. VIGNES) 128

MORLET-CHANTALAT (CH.), Mademoiselle de Scudérys Enträtselung (A. GÉNETIOT) 497

MORRISON (I.R.), Rabelais, Livre Trois, Livre Quatre, Livre V (D. BJAÏ) 1015

MOUSSA (S.), La Relation Orientale (P. HALEN) 335

MURESANU IONESCU (M.), La literatura, un modelo triádico (I. MARASESCU) 1201 MYLNE (V. G.), Le Dialogue dans le roman français de Sorel à Sarraute (P.-L.

REY) 1204

NEUMANN-RIEGNER (H.), Le principe de vie (K, SCHOELL) 344

1226 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

NICOLLIER (A.) et DAHLEM (H.-C), Lexique des écrivains expressionnistes suisses

Francisco (A.VANONCINI) 166

NODIER (CH.), Correspondance juvénile, hg. J.-R. 511. P. Berthier

Nouveau Monde, Autres Mondes : Surréalisme et Amérique (MA GRAFF) 523

Nouvelles françaises du XVIIIe siècle, I e II, eds. J. Hellegouarc'h (S. MENANT) 1028

A Noite, S. F. Angelier et N. Jacques-Chaquin (L. PEETERS) 529

Ouvrages et Revues, XX, 1 : « Du Bellay avant la Critique de 1550 à nos jours »

(D. BJAÏ)

Ouvrages et revues, XX, 2 : "Exégèse biblique au XVIe siècle" (M. ESCOLA) 1177 Ouvrages et revues, XX, 3 : "Réception critique de la licence au XVIIe siècle"

(ÉCOLE M.) 1177

ORLANDO (F.), Les objets obsolètes dans les images de la littérature (M. BONGIOVANNI

Bertini) 351

The New Molierist, pp. R. McBride et N. Peacock, n° 1 (B. LOUVAT)

Paris et l'Europe musicale, S.J.-M. Bailbé (P.LAFORGUE)

PASCO (A.H.), Allusion, une greffe littéraire (M. REID) 1204

PASQUALI (A.), Un voyage à travers les horizons (S. ALEXANDRE) 529

PASQUIER (P.), La mimesis dans l'esthétique théâtrale du XVIIe siècle (R. ZUBER) 496

PAULHAN (J.), SAINT-HELIER (M.), Correspondance, éditeurs. J.-F. Tappy (J. MEIZOZ) 1055

La pensée de l'image, S. G. Mathieu-Castellani (E. KAES) 350

FALESE (H. DE), Dictionnaire des Misérables (P. LAFORGUE) 1036

PIERROT (der.), Honoré de Balzac (I. TOURNIER) 1032

PINEL (M.), Chateaubriand et la renaissance épique. Les Martyrs (P. BERTHIER) .. 1200

PLANTIÉ (J.), La vogue du portrait littéraire en France (1641-1681) (M. ESCOLA) 139

POIRIER (G.), Corneille témoin de son temps, II : Le Cid (G. FORESTIER) 504

FISH (R.), Sick Holland, éd. L. Navailles (C. BONFILS) 498

POMMIER (R.), Études sur Britannicus (B. LOUVAT) 1186

POUGIN DE SAINT-AUBIN (C), Correspondance littéraire de Karlsruhe, éd.

J. Schlobach (E.WAHL) 145

POUILLOUX (J.-Y.), Montaigne, das Erwachen des Denkens (J. VIGNES) 128

Pour encourager les autres. Études pour le 300e anniversaire de Voltaire (c.

LAURIOL) 1192

PUIG (J. DE), Les sources de la pensée philosophique de Raimond Sebond (Ramon

Hermannstadt) (J. VIGNES) 128

QUAST (A.), Le nouveau et la révolte. termes clés de pointe

Guillaume Apollinaire et Carl Einstein (P. GEYER) 160

QUINAULT (P.), Alceste suivi de La Querelle d'Alceste. Ancien et moderne à l'avant

1680, sg. W. Brooks et al. (B. LOUVAT) 143

Rabelais, Gargantua, éd. F. Gray (D. BJAI) 1014

Rabelais en contexte, p. BC Bowen (D. BJAÏ)

RACCANELLO (M.) et BENELLI (G.), introduction au roman de Claude Simon (D.

Alexandre) 528

RADULESCU (D.), André Malraux. Le « Farfelu » comme expression du féminin

et l'érotique (M. AUTRAND) 344

Recherche sur Diderot et l'Encyclopédie, Nr. 17 (F. MARCHAL) 330

Witzsammlung, IX, hg. A. Tissier (R. CRESCENZO) 1013

Réflexions sur le genre moraliste au XVIIe siècle, S. K. Waterson (B. DONNE) 326

La Renaissance et le rationalisme du XVIIe siècle (M. ESCOLA) 498

RENAN (E.), Histoire de l'origine du christianisme, éd. L. Rétat (F. P. BOWMAN) 1041 représentant la Révolution française. Littérature, histoire et art (P. BERTHIER)

Resenha de Cartas Modernas, "Paul Claudel", no. 16 : « Claudel et l'Apocalypse,

I » (S. ALEJANDRO) 525

Revue des Lettres Modernes, "André Malraux", nº 9 : Notre siècle dans "Spiegel

Limbes" (P. BRUNEL) 163

RIEU (J.), La Estética de Du Bellay (D. BJAÏ) 494

Romains 20-50, n. 17 : Céline, Voyage au bout de la nuit (L. RASSON) 343

ROUDAUT (F.), Joachim du Bellay, Lamentos (D. BJAI) 494

ROUGET (F.), L'Apothéose d'Orphée. L'esthétique de l'ode dans la France du XVIe siècle.

de Sébillet bis Scaliger (J. VIGNES) 131

SANDRAS (M.), Lecture du poème en prose (P. LAFORGUE) 1205

SAINT-BALMON (Mme DE), Les Jumeaux Martyrs (B. LOUVAT) 1024

Saint-Denys Garneau e La Relève (M.-A. GRAFF) 523

INDEX 1227

SANTANGELO (G. S.), G. A. Cesareo, «pioneiro» de la francophonie belge en Italie

(J.-P. DENOLA) 520

SANTOS (J.), A arte da história com Jean Lorrain (D. PERNOT) 1048

SCALIGER (J.-C), Poetik, Buch V, hrsg. J. Chomarat (M. MAGNTEN) 317

SCARRON (P.), Le gardien de lui-même. CORNEILLE (TH.), Le geôlier de moi-même,

soymesme, E. Montet (B. LOUVAT) 142

SCHOENTJES (P.), Recherche de l'ironie et ironie de la Recherche (A. HERSCHBERGPJERROT)

HERSCHBERGP JERROT) 342

SCHUHE (P.) Claude Simon par correspondance (D. ALEXANDRE) 528

SCHRENCK (G.), La Réception d'Agrippa d'Aubigné (R. CRESCENZO) 1021

SEALY S.J. (R.J.), Le mythe de la Reine Margot. Pour supprimer un

Légendes (R. CRESCENZO) 134

SEGALEN (V.), Obras Completas, ed. H. Bouillier (B. VOUJLLOUX) 522

La France d'aujourd'hui au XVIIe siècle. Statut et perspectives de la recherche, Actes de la conférence

Internationale, Monopoli, mai 1993 (ÉCOLE M.) 136

SIES (J.), voix d'homme écrite de femme (F. MARCHAL) 320

STENZEL (H.), Le classique français. » (ÉCOLE M.) 500

STENZEL (H.), Le Classique Français (R. BERNECKER) 1178

STIVALE (CH. J.), L'art de casser. Désir narratif et duplicité dans les histoires

von Guy de Maupassant (D. PERNOT) 1045

Socialismos Franceses (1796-1866), S. J. Birnberg (P. BERTHIER) 1202

Études de la France moderne, n° 1 : Parole et image (B. DONNÉ) 326

Études sur Voltaire, n° 323 (F. MARCHAL) 329

Études sur Voltaire, n. 324 : Politique et révolution chez Jean-Jacques Rousseau

(C.BONFILS) 506

TAVENEAUX (R.), Le catholicisme dans la France classique (1610-1715) (M. ESCOLA) 499

homme témoin. Hommage à Pierre-Henri Simon (F. ALEXANDRE) 527

TERDIMAN (R.), Présent, passé, époque moderne et crise de la mémoire (M. REID) 1057

Théâtre Français de la Renaissance, Première Série, Vol. 6 : Comédie de l'époque

Henri II. et Charles IX. (D. BJAÏ) 127

TOURNON (A.), « Au sens agile ». Les acrobaties de l'esprit selon Rabelais (R.

CROISSANCE) 1016

Flora Tristan, la paria et son rêve, correspondance de S. Michaud (M.

REID) 513

Flora Tristan, George Sand et Pauline Roland. Les femmes et l'invention d'un

Neue Moral (1830-1848), S. S. Michaud (P. LAFORGUE) 1038

L'univers salésien. Actes du Colloque de Metz, septembre 1992 (B. DONNE) 320

Venance Dougados et son temps. Actes du colloque de Carcassonne, mai 1994

(F. Mariscal) 331

VERHAEREN (É.), Poésie complète, t. Moi, éditeur Herr Otten (J.-P. DE NOLA) 158

VERHOEFF (H.), Marivaux ou le dialogue avec les femmes (C. BONFILS) 1192

Jules Verne, 7 : Voir Feu (D. PERNOT) 338

VERNE (J.) et ENNERY (A.D'), Michel Strogoff. Jouer dans les actes cinq et seize

Pintura (D. PERNOT) 156

VlALLON (M.-F.), Catalogue de la Collection italienne (XVIe s.) Auguste Boullier da

Bibliothèque municipale de Roanne (R, CRESCENZO) 123

VIVANT DENON (D.), Pas demain, suivi de BASTIDE (J.-F.), La Petite Maison,

édition Señor Delon (B. TOUITOU) 145

VOLTAIRE, Lettres concernant la nation anglaise, Éd. N. Cronk (C. MERVAUD) .. 328

Vol'ter V Rossii (M. MERVAUD) 1193

VOUILLOUX (B.), peinture in texte, symboles XVIII-XX. Siglo (E. KAES) .......... 349

Voyages et aventures de François Leguat..., éd. JM Racault (M.ESCOLA) 504

WALLER (M.), Maladie masculine, impuissance Fictions dans le romantisme français

Romano (M. REID) 1039

Willy [J. DE TINAN], Herrinnen der estheten, éd. J.-P. Goujon (D. PERNOT) 1051

1228 REVUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE FRANCE

ZEGNA RATA (O.), René de Lucinge entre écriture et histoire (R. CRESCENZO) 126 ZOLA (É.), correspondance, X, éd. BH Bakker (PAGES A)

Bibliographie, par RENÉ RANCUR 541 à 876

En mémoire de Pierre-Georges Castex 183

Informations 182, 358, 878, 1062

Livres reçus, par AXEL PREISS 169, 531

Procès-verbal de l'assemblée générale de la Société d'histoire littéraire

France, 17 novembre 1995 1206

reprend 176, 353, 537, 1058, 1218

Contenu de l'année 1996 1223

Le directeur de la publication : CHRISTOPHE BINNENDYK

Tirage réalisé pour la Société française d'histoire littéraire en novembre 1996

von CHIRAT Imprenta, 42540 Saint-Just-la-Pendue

Dépôt légal effectué au 4ème trimestre 1996 - Numéro d'imprimeur : 2706 - Numéro d'éditeur : 6744

Publication enregistrée à la Commission mixte sous le numéro 52557

Société littéraire française

reconnu d'utilité publique 112, rue Monge, B.P. 173, 75005 Paris

Président d'honneur

Pierre-Georges Castex +, de l'Académie des sciences morales et politiques.

membres honoraires

Mme. B. Jasinski, A. Rouart-Valéry, MM. W.H. Barber, G. Blin, E. Bonnefous, T. Cave, L.G. Crocker, L. De Nardis, J. Favier, B. Gagnebin, R. Jouanny, Y. Kobayashi, J.L. Lecercle, G. Lubin, J. Monfrin, R. Mortier, M. Nadeau, R. Nicklaus, R. Pintard, A. Pizzorusso, G. von Proschwitz, LS Senghor, P. Vernière, chap. Wirz.

Bureau

Président : René POMEAU, de l'Académie des sciences morales et politiques.

Vice-présidents : Claude PICHOIS, professeur à la Sorbonne et Vanderbilt University ; René RANCOEUR, Conservateur en chef honoraire de la Bibliothèque nationale.

Secretária-Geral: Madeleine AMBRIERE-FARGEAUD, Profesora en an der Sorbonne; Sylvain MENANT, Professor da Sorbona.

Secrétaires : Claude DUCHET, Professeur à l'Université Paris-VIII ; Roland VIROLLE, professeur à l'Université de Rouen.

Secrétaire adjoint : Michel AUTRAND, Professeur à la Sorbonne.

Trésorier : Olivier MILLET, Professeur à l'Université Paris XII-Val-de-Marne.

Trésorier adjoint par intérim : Emmanuel BURY, Professeur à l'Université de Versailles-Saint-Quentin.

Conseil d'administration

M. P. Benichou, Sra. F. Callu, MM. J. Ceard, P. Citron, H. Coulet, M. Delon, M. Fumaroli, Frau Huchon, Frau A.-M. Meininger, Chr. Mervaud, A. Michel, MM. M. Milner, R. Pierrot, J. Roussel, R. Zuber.

correspondants étrangers

Afrique australe (RSA): MM Shackleton. Allemagne : MM W Bahner, H Hofer, H Krauss, M Naumann, Fr Nies, U Ricken, Frau R Schober, W Wehle. Australie : Mme. J. Fornasiero. Autriche : MS Himmelsbach. Belgique : MM.R. Pouilliart + , A. Vandegans , J. Vercruysse . Brésil : Mme. C. Berretini. Canada : MB Beignot. Chine (République populaire) : M. M. Cheng Zenghou, Mme. Meng Hua, M. Zeng Kelu. Corée du Sud : Mme. Ki-Jeong Song. Danemark : M.H.P. Lund. Espagne : Mme. A. Yllera. États-Unis : Aciman MM, Alden D, Patty J, Thompson W. Royaume-Uni : MM P Sharratt, M ​​​​Tilby. Hongrie : MT Gorilovics ; Néméth. Irlande : MR Little. Italie : MA Beretta Anguissola, Mme. L Pennarola Road, porte en tissu. Japon : Y. Abe, MM H. Nakagawa, Ms. E. Nakamura. Norvège : Mme. K. Gundersen. Pays-Bas : MM van Buuren, A Kibedi Varga. Pologne : Mlle Kasprzyk. Portugal : Mme. M.-A. Sixième. Roumanie : Mme. Muresanu Ionescu. Russie : Député Zaborov. Sénégal : Sr. Mohamed. Suède : Mme. S. Swahn. Suisse : MM.Y. Giraud, P.O. Waltz. République tchèque : MM. J. Frycer, A. Zatloukal. Yougoslavie : Mme. L. Matic.

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1. Marceline Desbordes-Valmore | Autrices oubliées de l'histoire littéraire #3
(Bibliothèque nationale de France BnF)
2. Marie-Anne Barbier | Autrices oubliées de l'histoire littéraire #2
(Bibliothèque nationale de France BnF)
3. Valéry ou la Littérature (2) - William Marx (2022-2023)
(Lettres, langage, philosophie - Collège de France)
4. La dernière survivante des Valois : la Reine Margot | DHEH #21 [ST]
(D'Histoires en Histoire (DHEH))
5. Actualité des Lumières - Antoine Lilti (2022)
(Collège de France)
6. Nouvelles recherches sur la littérature (5) - William Marx (2022-2023)
(Lettres, langage, philosophie - Collège de France)

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Author: Amb. Frankie Simonis

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Name: Amb. Frankie Simonis

Birthday: 1998-02-19

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Hobby: LARPing, Kitesurfing, Sewing, Digital arts, Sand art, Gardening, Dance

Introduction: My name is Amb. Frankie Simonis, I am a hilarious, enchanting, energetic, cooperative, innocent, cute, joyous person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.